Marc Fallon : " Le risque de privatisation doit être nuancé. " © BENOÎT SNEESSENS

La Brussels International Business Court, cour arbitrale ou chambre anglophone du tribunal de commerce?

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

La BIBC réglera des litiges internationaux comme n’importe quelle juridiction belge, à l’instar du tribunal de commerce d’Anvers, observe Marc Fallon, professeur de droit de l’UCL.

La BIBC pose-t-elle question sur son principe et permettra-t-elle de traiter des contentieux qui échappent actuellement aux tribunaux belges ordinaires ?

La création de la BIBC ne pose pas question sur son principe, du moins en tant que tribunal utilisant l’anglais comme langue de procédure. Le Conseil d’Etat n’y a pas objecté pourvu qu’elle ne connaisse que d’affaires concernant le commerce véritablement international. Il a exigé qu’elle ne soit compétente que si l’anglais est utilisé couramment par les parties dans le cadre de leurs relations. En revanche, l’affirmation que les contentieux sont de ceux qui échappent actuellement aux juridictions ordinaires n’est exacte que dans le sens où un tribunal belge ne peut pas aujourd’hui utiliser l’anglais comme langue de procédure. Elle est inexacte sous l’angle des règles de compétence judiciaire. Dès à présent, les juridictions belges peuvent connaître de toute affaire en matière de commerce international du seul fait que les parties en ont fait le choix, par un accord librement consenti.

La BIBC sera une institution publique au contraire d’autres tribunaux de ce type 100 % privés. Le soutien du gouvernement belge à ce projet se justifie-t-il ?

La justification avancée sous l’angle juridique est que cette juridiction étatique fonctionnerait comme un arbitre mais que ses jugements pourront être reconnus dans l’ensemble des Etats membres de l’Union en raison du principe européen de confiance mutuelle entre juridictions des Etats membres, alors qu’une sentence arbitrale n’en bénéficierait pas. On peut donc y voir une forme d’instrumentalisation de ce principe. Un autre objectif vise une attractivité internationale accrue de la Belgique pour les acteurs du commerce international, en particulier dans le contexte du Brexit. Il est cependant douteux que l’attente d’une  » augmentation exponentielle du nombre de litiges commerciaux internationaux  » induira un bénéfice si ce n’est pour les  » cabinets d’avocats et autres conseillers  » (sic) des acteurs concernés, mais au détriment d’une surcharge du service public de la justice. Si elle se vérifie, cette augmentation pèsera sur le fonctionnement et les conditions de travail des personnels de la justice, voire sur le budget de l’Etat si la BIBC devait s’installer dans une infrastructure nouvelle spécialement adaptée à son fonctionnement.

Faut-il voir dans ce projet une amorce de privatisation de la justice ?

C’est une crainte souvent relayée par les médias. Toutefois, l’appréciation doit être nuancée, notamment du fait que le projet de loi déposé à la Chambre est nettement en retrait par rapport à l’avant-projet sur un élément essentiel, au point de compromettre tout projet de privatisation de la justice. Le système repose sur une composition du tribunal inspirée de l’arbitrage. Et le Conseil d’Etat n’y a pas vu d’objection de principe, puisque le tribunal de commerce connaît déjà la participation de juges consulaires, magistrats  » non professionnels « . Cependant, leur traitement n’est pas à la charge des justiciables, comme ce serait le cas des  » jetons de présence et frais de voyage et de séjour  » des juges non professionnels de la BIBC. L’objectif du gouvernement est une  » autosuffisance  » de la BIBC, financée par des  » droits d’inscription substantiels  » que, probablement, un justiciable moyen ne pourrait honorer. Mais le projet a dû céder sur une pierre angulaire de l’édifice, à savoir la faculté pour la BIBC de soumettre le litige à un droit non étatique, au choix des parties, comme un arbitre. Or, en tant que juridiction belge, la BIBC devra, comme le reconnaît le projet de loi à la suite de l’avis du Conseil d’Etat, soumettre les litiges à un droit étatique, à l’instar de tout tribunal de commerce. Disparaît alors la nécessité de composer la BIBC  » d’éminents experts respectés au plan international  » comme le prévoit encore le projet de loi. Ainsi, le tribunal de commerce d’Anvers traite de nombreuses affaires en matière maritime avec une composition normale, dont l’expertise est reconnue internationalement, notamment pour l’application fréquente des droits étrangers. Ne subsiste alors que l’intérêt de doter le tribunal de commerce d’une chambre anglophone, à Bruxelles mais pourquoi pas aussi à Anvers ?

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