En mars 2019, un char du carnaval d'Alost, inscrit au patrimoine culturel immatériel de l'humanité, associait des juifs orthodoxes à des sacs d'or. L'Unesco a dénoncé une représentation antisémite et a appelé les autorités belges à réagir. On attend toujours. © DR

« La Belgique tolérante que j’aimais a disparu »

Carte blanche

Directeur du bureau bruxellois de l’European Union for progressive judaism, William Echikson s’inquiète de la progression du Vlaams Belang, de la répétition des actes antisémites et, surtout, du renoncement des responsables publics à les dénoncer.

Je vis en Belgique depuis 25 ans, j’ai pris la nationalité belge et ai adoré voir mon fils aîné représenter, en rouge et noir, la Belgique lors du championnat mondial de golf amateur. Mon épouse et moi sommes l’une des sept familles à avoir fondé l’International Jewish Centre, seule synagogue progressiste, internationale et anglophone du pays. Jusqu’aux dernières élections, ma patrie d’adoption, réputée pour ses chocolats et ses carnavals, me séduisait pour sa tolérance et sa joie de vivre. Mais le parti d’extrême droite Vlaams Belang a remporté près de 20 % du vote flamand, en hausse de 13 %. Cet événement troublant intervient en outre après une série inquiétante d’incidents antisémites. Ce ne sont pas seulement ces incidents, pris isolément, qui m’inquiètent. C’est surtout le silence des responsables politiques belges, qui s’abstiennent de les dénoncer.

L’hostilité en rue et dans les stades

Les problèmes ont débuté cet hiver dans la petite ville flamande d’Alost, située à l’ouest de Bruxelles, dont le carnaval est reconnu par l’Unesco comme faisant partie de  » l’héritage culturel immatériel de l’humanité « . Dans la parade figurait cette année un char caricaturant les juifs par des personnages grotesques se tenant sur des piles d’argent. Des images directement inspirées par Der Stürme, la bible de l’antisémitisme nazi. Une fois informés du trouble causé, les concepteurs du char, un pompier, un technicien, un fonctionnaire du ministère de l’Enseignement et un employé de la section de police, pour n’en citer que quelques-uns, ne se sont pas excusés. Ils ont au contraire prétendu que  » c’était drôle  » et ont appelé les juifs à développer leur sens de l’humour (étant donné la longue histoire de la comédie juive, je n’aurais jamais pensé que cette répartie puisse être utilisée contre les juifs). Le bourgmestre d’Alost, le nationaliste flamand Christoph D’Haese, a défendu le char. Aucun responsable public belge n’a formulé de critique, même s’il est difficile de voir en quoi cela leur eût causé un désagrément politique.

J’espérais que cela serait un fait isolé. Malheureusement, cela ne le fut pas. Lors d’un match de football à Bruxelles, des supporters du club de Bruges ont été filmés en train de chanter  » Al wie niet springt, dat is een jood » ( » Qui ne saute pas est un juif « ) et  » Alle joden zijn homo’s  » ( » Tous les juifs sont gays « ). Le procureur fédéral de l’Union belge de Football a réclamé une lourde amende. Mais la commission des litiges d’appel de cette même Union belge a innocenté le club en arguant que  » ces chants devaient être considérés comme neutres et sans caractère offensant « .

Ces incidents antisémites n’empêchent pas de mener une vie juive, même selon le mode de vie orthodoxe. Mais une autre mesure récente affecte directement l’exercice des traditions juives – l’interdiction flamande, de fait, de l’abattage rituel juif des animaux, depuis le début de l’année. Une interdiction similaire est programmée en Wallonie à partir du mois de septembre. Le motif est le bien-être animal. Bien que la Cour constitutionnelle ait demandé à la Cour de Justice européenne d’examiner si les décrets régionaux n’enfreignaient pas le principe de liberté religieuse, ces dispositions conservent leur validité jusqu’à la décision de justice finale.

Diverses enquêtes récentes ont encore renforcé mes inquiétudes. La dernière édition annuelle du Kantor Centre report on global antisemitism conclut que, mis à part la France,  » les juifs ne se heurtent dans aucun autre pays de l’UE à autant d’hostilité en rue qu’en Belgique « . Unia (ex-Centre pour l’égalité des chances), institution publique, a divulgué avoir traité 101 cas d’antisémitisme en 2018, contre 56 l’année précédente. L’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne a pour sa part établi que 42 % des juifs belges avaient envisagé d’émigrer au cours des cinq dernières années, l’un des pourcentages les plus élevés parmi les douze pays étudiés.

William Echikson, directeur du bureau bruxellois de l'European Union for progressive judaism, ancien directeur du bureau bruxellois de Dow Jones.
William Echikson, directeur du bureau bruxellois de l’European Union for progressive judaism, ancien directeur du bureau bruxellois de Dow Jones.© DR

Un virus profondément ancré

Pourquoi maintenant la Belgique ? Mon rapport récemment publié sur le Révisionnisme de l’Holocauste (1) a montré que la Belgique avait fait des progrès significatifs en matière d’éducation ainsi que dans la reconnaissance de la culpabilité de ses collaborateurs de guerre, y compris la reconnaissance que la majorité d’entre eux provenaient de la communauté flamande. Lorsqu’un terroriste a tué quatre personnes en mai 2014 au Musée juif de Belgique, les responsables politiques se sont unis dans l’expression de leur horreur, et une cour a condamné l’auteur français de l’attaque.

Jusqu’au scrutin du 26 mai, le pays avait évité le développement des extrêmes de droite ou de gauche qu’avaient connus les pays voisins, tels que la France et les Pays-Bas. La percée du parti d’extrême droite Vlaams Belang a soudainement mis fin à cette autosatisfaction, en montrant qu’une large partie de la région néerlandophone avait été atteinte du même virus, empreint de racisme, d’intolérance et d’hostilité aux immigrés.  » Le sujet de cette élection était notre peuple et notre peuple doit venir en premier lieu « , a déclaré Tom Van Grieken, le président du Vlaams Belang, lors de son discours de victoire devant ses militants.

La montée du populisme, de l’intolérance et de l’antisémitisme n’est pas uniquement un problème belge, mais un défi pour l’ensemble de l’Europe. Lorsque j’ai récemment visité la cathédrale de Bruxelles, j’ai vu des images dérangeantes, reflétant un virus profondément ancré, datant du Moyen Age. En 1370, les chrétiens locaux ont accusé les juifs bruxellois de profanation d’hosties, ont exécuté vingt d’entre eux et ont banni le reste de la communauté. Au xixe siècle, alors que la Belgique avait gagné son indépendance, le roi Léopold Ier a célébré le massacre en commandant les cinq vitraux de la cathédrale. Il n’existe pas non plus d’espace pour discuter de la conquête sanglante du Congo par son fils, Léopold II. Espérons que la Belgique apprenne des chapitres sombres de son histoire, et évite de les répéter.

Par William Echikson.

(1) Voir www.holocaustremembrance-project.com.

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