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La Belgique réquisitionne le Plaquenil, potentielle arme contre le coronavirus

Le Vif

Le Plaquenil, ou hydroxychloroquine, séduit jusqu’au président Trump. Il est entré en essai clinique majeur en France et aux Etats-Unis. Mais il est tellement convoité qu’il est souvent dérobé. L’Agence fédérale du médicament l’a réquisitionné pour les malades qui en ont vraiment besoin.

Il n’aura pas fallu beaucoup de temps pour qu’à un large scepticisme affiché succède une véritable ruée sur l’hydroxychloroquine, commercialisée sous le nom de Plaquenil. A tel point que l’Agence fédérale du médicament et des produits de santé vient de réquisitionner les stocks du produit, réservé aux hôpitaux qui traitent des patients atteints par le Covid-19. « Réquisitionné n’est pas le bon terme, nous avons mis en place un contingentement, en demandant aux firmes et grossistes-répartiteur de livrer seulement aux hôpitaux ou aux officines de pharmacie dans le cadre des patients chroniques (NDLR : pour le lupus et la polyarthrite rhumatoïde). Nous souhaitons ainsi remédier à la situation où les stocks de Plaquenil s’épuisent car certains acteurs font du surstockage, ou parce qu’il est prescrit off-label aux patients peu malades, voire même en prophylaxie », confirme-t-on à l’Agence.

Où l’on justifie : « Cette intervention est nécessaire pour éviter une pénurie qui mettrait en péril la continuité des traitements de patients chroniques sous Plaquenil. L’AFMPS procède également à un suivi des stocks des firmes, grossistes-répartiteurs et hôpitaux deux à trois fois par semaine. En outre, nous avons sécurisé un stock stratégique du vrac hydroxychloroquine, permettant de traiter près de 22.000 patients. Ce stock sera distribué aux différents hôpitaux dès le mardi 24 mars. Les hôpitaux peuvent déjà se procurer du Plaquenil auprès de la firme ou des grossistes-répartiteurs. L’AFMPS a également mis en place une boîte mail pour tout besoin urgent d’un hôpital. Une équipe de garde en assure le suivi, permettant de trouver rapidement un stock pour dépanner l’hôpital en attendant la livraison du stock stratégique. Enfin, une autre source de chloroquine phosphate devrait arriver bientôt également pour distribution aux hôpitaux ».

L’armée en renfort

Le geste est logique après la recommandation officielle d’utiliser l’hydroxychlroquine pour quasi la totalité des patients hospitalisés en Belgique, que nous révélions la semaine dernière. Et a dû être prompt : le nom de l’hydroxychloroquine et ses résultats à première vue quasi miraculeux ont fait le tour de la planète. En France, c’est l’armée qui a débarqué chez certains grossistes après des vols répétés dans les hôpitaux. Christian Perronne, chef de service d’infectiologie à l’hôpital de Garches, a témoigné sur LCI que « la pharmacie centrale des hôpitaux a annoncé que les stocks avaient été pillés dans les hôpitaux, que les armoires avaient été dévalisées, c’est lamentable ». Or, ainsi que l’indique l’Agence du médicament, « utiliser les stocks limités de ces médicaments pour des traitements préventifs non nécessaires ou non justifiés met en danger la disponibilité de ces médicaments pour les patients qui en ont besoin : patients chroniques et patients hospitalisés gravement atteints par le COVID-19. L’AFMPS compte sur la compréhension et le professionnalisme de chacun pour pouvoir garantir la disponibilité des médicaments essentiels pour les patients qui en ont besoin. ».

La controverse reste forte

Ce boom, c’est notamment le président américain Donald Trump qui en est responsable, vantant en milieu de semaine dernière les mérites de la molécule en conférence de presse et se disant « convaincu » qu’elle pouvait changer le cours de la lutte contre le virus. Ce à quoi le commissaire de l’Agence américaine du médicament (FDA) Stephen Hahn, a rétorqué prudemment que « le produit serait inclus dans une extension des tests cliniques auprès de plus grandes populations ». Car la controverse reste aussi grande que l’espoir en cette molécule. Comme nous le révélions la semaine dernière, l’hydroxychloroquine, un vieil anti-paludéen utilisée aujourd’hui pour soigner le lupus et la polyarthrite rhumatoïde, a effectivement prouvé son efficacité chez le patient humain contre le Covid-19. Le professeur Didier Raoult, de l’IHU Méditerranée-Infection, l’a utilisé chez 24 patients humains, avec comme résultat une diminution de la présence du virus chez 75% de ses malades après seulement six jours de traitement. Dans l’article publié dans « International Journal of Antimicrobial Agents », il explique qu’en y rajoutant de l’azithromycine, un antibiotique, actif contre la superinfection bactérienne provoquée par le virus, il est parvenu à un résultat étonnant : aucun de ses patients n’avait plus de virus au bout de ces six jours. Mais ce n’est pour l’instant vrai que sur 24 personnes. Pour le gouvernement français, c’est néanmoins suffisant pour rajouter en urgence un « bras » aux essais cliniques qui ont débuté dimanche auprès de 8.000 patients.

« De grâce, commençons tout de suite »

Pour le public, c’est aussi suffisant : il y a aujourd’hui des centaines de personnes qui font la queue devant l’entrée de l’Université du professeur Raoult. Mais ce ne l’est pas encore pour certains scientifiques. Comme le professeur Jean-François Bergmann, chef du département de Médecine Interne de l’Hôpital Lariboisière et professeur de Thérapeutique à l’Université Paris Diderot, une voix reconnue, qui ne veut pas qu’on déroge aux règles qui garantissent une médecine par les preuves… « Aujourd’hui je ne peux pas prendre le risque, je n’ai pas de preuves solides. J’ai lu l’essai de Marseille. Malheureusement il est mal fait et ne peut pas convaincre. Il est peut-être vrai mais il y a tellement de biais, avec plein de données manquantes que l’on ne peut pas y croire. Et c’est dommage », réagit-il sur le site « Pourquoi docteur ». Et de condamner les médecins qui s’apprêtent à le prescrire en dehors des essais en cours. « C’est croire à quelque chose d’hypothétique. Si en médecine, on commence à croire aux hypothèses de X ou Y, tout intelligents ou géniaux qu’ils soient, on va faire des bêtises ».

Mais d’autres voix soufflent en sens inverse. Dont celle du professeur Jean-Luc Harousseau, ancien directeur de la Haute Autorité de Santé (HAS), cité par la même source : « Je connais les règles de la recherche clinique. Je sais qu’il faut avoir des preuves pour aller plus loin. Mais c’est quand on le temps ! Et là, on n’a pas le temps. On est devant une vague énorme qui va tout engloutir. Combien de morts pendant les 15 jours pendant lesquels il va falloir attendre ? De grâce, ne perdons pas de temps, nous n’avons eu pas eu beaucoup de masques, pas de tests pour tout le monde, nous avons pris du retard pour le confinement… Notre seule chance est d’avoir un traitement efficace. Commençons tout de suite ! ».

Et en prévention ?

Peu cher, au risque réduit s’il est administré à l’hôpital, le Plaquenil pourrait donc devenir l’arme majeure contre le virus. Mais en aura-t-on assez ? Le laboratoire français Sanofi s’est dit prêt à offrir aux autorités françaises des millions de doses de l’anti-paludique Plaquenil, pouvant traiter potentiellement 300.000 malades. Quant à Sanofi Belgique, il est très vraisemblablement à la source des 64 kg donné il y a peu pour traiter 22.000 patients. Mais préfère rester discret sur la manière dont la firme collabore avec les autorités. Et si l’on donnait aussi de l’hydroxychloroquine en traitement préventif aux professionnels de la santé en première ligne ? « Nous n’en donnons pas au personnel soignant », répond Pierre Gillet, directeur médical du CHU de Liège. Jusqu’à quand ?

Frédéric Soumois

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