Muriel Targnion considère les "returnees" comme des "bombes à retardement". © Hatim Kaghat pour Le Vif/L'Express

« La Belgique ne s’arme pas assez contre le radicalisme », selon la bourgmestre de Verviers (PS)

En revenant au pouvoir à Verviers, le PS a changé de ligne en matière de lutte contre le radicalisme. La nouvelle bourgmestre, Muriel Targnion, s’en explique.

Verviers, 56 000 habitants, un assaut réussi contre la proto- cellule des attentats de Paris et de Bruxelles, 21 noms sur la liste Ocam, 6 returnees, un changement de majorité en cours de législature : le MR éjecté de la majorité et le PS de retour avec une nouvelle bourgmestre, Muriel Targnion, qui a succédé au CDH Marc Elsen.

A quoi attribuez-vous le radicalisme dans votre commune ?

La proximité avec l’Allemagne et les Pays-Bas nous a apporté un salafisme qui a conduit à une certaine radicalisation. Tous les salafistes ne sont pas violents mais les 21 personnes figurant sur la liste de l’Ocam (NDLR : Organe de coordination pour l’analyse de la menace) et celles qui ont été arrêtées dans le cadre d’enquêtes  » terrorisme  » fréquentaient deux mosquées verviétoises à tendance salafiste. Verviers est une ville de province entourée de villages : elle concentre tous les services, les principales écoles et les quartiers les plus paupérisés, le long de la rivière où, historiquement, l’immigration s’est toujours installée. A la différence d’autres villes multiculturelles, les citoyens ont peu de vie en commun. Cette division a été accentuée par la campagne électorale de 2012.

Quand le PS a été accusé de faire du racolage communautaire…

Pendant les années 2000, le politique a cru aux accommodements raisonnables. En permettant à toutes les confessions de s’exprimer, même au sein de l’Etat ou à l’école, on espérait amener les gens à mieux se comprendre mais, à Verviers comme ailleurs, cela a plutôt créé des clivages. La campagne de 2012, qui a marqué la fin de cette politique, a engendré chez les libéraux une rupture du tabou auquel le monde politique démocratique essayait de se tenir, pour ne pas attiser les tensions. On a raconté que le bourgmestre sortant, Claude Desama, faisait venir des cars entiers du Maroc pour avoir plus de voix, alors qu’on sait bien que les étrangers ne votent pas…

Néanmoins, un autre socialiste, Jean-François Istasse, a présenté des excuses pour les dérives de cette époque…

Il évoquait la conférence de presse où nous avions présenté notre liste en mentionnant l’origine des candidats, pour montrer que la société verviétoise était multiculturelle et que le PS en tenait compte. Ce qu’il a voulu dire, et je suis assez d’accord avec lui, c’est que si l’on veut arriver à vivre ensemble, il faut plutôt mettre l’accent sur des combats communs.

Votre voisin liégeois, Willy Demeyer (PS), a fermé une mosquée extrémiste. Allez-vous en faire autant ?

En avril dernier, j’ai fermé une mosquée pour des raisons de salubrité publique. C’est l’approche que recommande le gouvernement wallon. Willy Demeyer, lui, a justifié sa fermeture par le radicalisme, et ça, c’est nouveau. Courageux, aussi. Pour le moment, j’ai choisi une autre voie. On essaie de faire comprendre aux mosquées salafistes qu’elles doivent  » déradicaliser  » les jeunes et ne pas se contenter de les mettre dehors. Pour un bourgmestre, c’est délicat de fermer une mosquée, de jeter l’opprobre sur un ensemble de croyants alors que seule une poignée pose problème. En France, une telle décision est de la compétence de l’Etat. D’une manière générale, je trouve que la Belgique ne s’arme pas assez, pas assez vite. Il n’y a pas que Daech. On commence aussi à avoir de la radicalisation des deux côtés. A chaque attentat, la tension monte.

Vous avez reçu une lettre de menace. Cela vous fait peur ?

La lettre ne m’inquiète pas beaucoup. Au vu de l’écriture, c’est l’oeuvre d’une personne plus âgée. Par contre, le combat que je mène contre les returnees est un peu plus téméraire car il s’agit de personnes potentiellement dangereuses. Les bourgmestres ne veulent pas en parler pour ne pas donner une mauvaise image de leur commune… Moi, je n’ai rien à perdre. Je vois que le gouvernement ne fait rien, alors qu’il retient des familles avec enfants dans des centres fermés. Ces returnees – il y en a six à Verviers – ont parfois des blessures de guerre, ils sont convaincus d’avoir mené un juste combat et passent pour des héros dans les cafés et associations de quartier. On ne peut pas les enfermer parce qu’on ne peut pas prouver qu’ils n’ont pas été en touristes en Syrie et on ne peut pas prouver, non plus, qu’ils vont faire quelque chose ici. Pour moi, ce sont des bombes à retardement, pour la ville et pour les jeunes, fragiles, qu’ils pourraient influencer… Pourquoi ne les écarte-t-on pas, le temps de voir où ils en sont ? C’est ce que le gouvernement avait pourtant annoncé.

Quelle est votre politique de prévention ?

Notre service d’accompagnement des familles et de l’entourage en matière de radicalisme est opérationnel depuis le 1er juillet. Avec les 100 000 euros octroyés par l’Etat fédéral, on a engagé une psychologue et une politologue. Celles-ci ont déjà fait le tour des mosquées. Le président de l’Association des mosquées verviétoises nous soutient. Il faut que nous, les pouvoirs publics, travaillions main dans la main avec les musulmans. Les familles peuvent aussi s’adresser à un numéro vert. Le marché pour une étude approfondie de la situation verviétoise (écoles, entreprises, institutions publiques, mosquées…) a été attribué à une université. Beaucoup de messages nous parviennent. Il faut pouvoir les décoder. Ce n’est pas parce qu’un jeune ne veut pas faire la minute de silence pour Charlie Hebdo qu’il va déposer une bombe. Mais s’il y a vraiment un problème, il faut qu’on puisse le déceler. Ensuite, nous avons créé, comme le veut le fédéral, une  » cellule de sécurité intégrale locale « , à laquelle participent au moins le bourgmestre et le chef de la police locale. Nous l’avons élargie à d’autres intervenants. On échange confidentiellement des informations dans un but, non pas policier, mais de prévention et de protection. C’est aussi un endroit où l’on peut démonter les rumeurs. On cite toujours les mêmes noms, que les gens ne retiennent pas, ce qui donne l’impression d’un phénomène en expansion.

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