Jérôme de Hemptinne

La Belgique n’est pas en guerre !

Jérôme de Hemptinne Juriste au Tribunal spécial pour le Liban et enseignant en droit international humanitaire à l'UCL.

Un mot vient régulièrement à la bouche des journalistes et experts appelés à commenter les événements terroristes qui secouent en ce moment la Belgique et d’autres pays européens : celui de guerre. Les autorités politiques elles-mêmes empruntent un vocabulaire martial. En témoignent les propos tenus par le sénateur Alain Destexhe dans le quotidien français « Le Figaro », s’interrogeant sur « Pourquoi la Belgique est aussi en guerre ? ». Le coprésident des écologistes, Olivier Deleuze, n’a pas non plus sourcillé à l’évocation des mots « guerre contre le terrorisme » à l’occasion d’un entretien avec un journaliste de la RTBF.

Que n’avons nous pas entendu cette dernière semaine ! « Guerre » menée par des terroristes contre la démocratie. « Guerre » instiguée par des mouvements extrémistes sur le territoire belge. « Guerre » intimement liée aux actions militaires entreprises par la Belgique au Moyen-Orient. « Guerre » mise en oeuvre par la police et les forces spéciales pour rétablir la sécurité du territoire et de ses citoyens. « Moyens de guerre » déployés par ces forces pour neutraliser les terroristes.

Que n’avons nous pas vu ces derniers jours ! Des forces d’intervention donner l’assaut contre une cellule de djihadistes présumés à Verviers. Des suspects répliquer à cet assaut en ouvrant le feu avec des armes de guerre pendant plusieurs minutes. Des tireurs embusqués encagoulés surveillant les toits des habitations avoisinantes. Des officiers de police et des militaires lourdement armés postés aux alentours des lieux sensibles de la capitale. Des arsenaux de guerre saisis par les forces de l’ordre à l’occasion d’interpellations dans diverses villes du royaume.

Il n’existe pas en droit une espèce de u0022guerre en temps de paix u0022 qui pourrait être menée contre des individus isolés susceptibles d’être éradiquées par n’importe quel moyen.

Ne nous fourvoyons pas : la Belgique n’est pas en guerre sur son territoire. En effet, l’état de guerre suppose, en droit international, une confrontation d’une certaine intensité entre des forces armées issues d’Etats ou de groupes militaires organisés. Et ces forces peuvent avoir recours, dans les conditions fixées par ce droit, à des moyens extrêmes pour combattre l’ennemi, reprendre le contrôle d’un territoire ou rétablir la sécurité. Elles peuvent, par exemple, détenir ou tuer les combattants adverses, sans autre justification que la menace qu’ils représentent en temps de guerre. Mais en l’absence de conflit armé, le droit commun et les droits de l’homme s’appliquent et seules des situations exceptionnelles – par exemple la légitime défense – justifient, sous contrôle judiciaire, des restrictions à la liberté et des atteintes à l’intégrité physique d’individus, fussent-ils présumés  » terroristes ». Aucune place n’est donc laissée à une espèce de « guerre en temps de paix » qui pourrait être menée contre des individus isolés se livrant à des atteintes graves à l’ordre public et susceptibles d’être éradiquées par n’importe quel moyen.

Certes, la rhétorique guerrière et la démonstration de force de nos autorités visent à marquer la gravité d’une situation sans précédent et à persuader la population que tout est mis en oeuvre pour rétablir le calme et empêcher la survenance de nouveaux crimes. Ce glissement sémantique et ces actions ne sont toutefois pas anodins. Au nom de la soi-disant « guerre contre le terrorisme », des lois liberticides ont été adoptées et des violations des droits fondamentaux de l’être humain, commises dans les plus grandes démocraties de notre planète. Au moment où d’autres actes terroristes risquent de frapper la Belgique, notre gouvernement vient d’annoncer l’adoption de nouvelles mesures pour les combattre, telles que le durcissement de la surveillance des télécommunications, le renforcement de la répression de certaines activités, comme le déplacement à l’étranger à des fins terroristes, et la réquisition de l’armée. Certains prônent même la mise en place d’un plan « Vigipirate à la belge ». Dans un contexte chargé d’émotion, nous devons cependant garder la tête froide et résister à la tentation politique de proclamer l’existence d’une sorte d’état d’urgence qui justifierait des restrictions abusives de nos libertés individuelles, au profit d’une amélioration illusoire de notre protection.

Si des mesures doivent être prises pour lutter contre des nouvelles formes de terrorisme, un juste équilibre doit être trouvé entre le besoin de réduire, autant que possible, la menace qu’elles suscitent et la nécessité de protéger nos droits fondamentaux proclamés dans les conventions internationales et européennes en matière de droit de l’homme ratifiées par la Belgique, dont le droit à la vie, la prohibition de la torture, la protection contre la détention arbitraire, le droit à un procès équitable, la liberté d’association et d’expression et les droits d’asile et de non-discrimination.

Les opinions exprimées dans ce texte sont celles de l’auteur et n’engagent nullement le Tribunal spécial pour Liban.

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