Depuis quelques années, les universités, belges et étrangères, misent sur la révolution numérique pour motiver et, surtout, aider leurs étudiants. Avantage : une accessibilité majoritairement gratuite. © ARIEL SKELLEY/GETTY IMAGES

L’université fait sa révolution 3.0

Philippe Berkenbaum
Philippe Berkenbaum Journaliste

Télévote, e-learning, podcasts, moocs, spocs, examens automatiques… Les technologies digitales envahissent nos unifs et rendent de plus en plus virtuelle la relation étudiant-professeur. Le numérique est pourtant tout sauf une mode ou une fin en soi. C’est un outil au service de tous, pour le meilleur… ou pour le pire.

L’université de demain sera numérique ou ne sera pas. Que ce soit pour la diffusion des savoirs, de l’apprentissage ou encore de la création, les institutions d’enseignement supérieur ont largement intérêt à jouer la carte du digital, sous peine de ringardise accélérée. La plupart d’entre elles, belges ou étrangères, l’ont bien compris et ont entamé leur révolution numérique voici plusieurs années déjà. D’abord timidement, en installant par exemple des valves ou des embryons de plates-formes électroniques de cours, puis en passant à la vitesse supérieure.

En 2009, l’université de Liège fit oeuvre pionnière en lançant un système de podcasts de cours censé permettre aux étudiants de réentendre certaines explications ou simplement de suivre une session à laquelle ils n’ont pu assister. L’UCL fut ensuite la première à diffuser des moocs dès 2014 – pour Massive Open Online Courses, traduits en français par flots pour formations en ligne ouvertes à tous -, bientôt suivie par l’ULB dès 2015 et, depuis cette année, par l’ULg.

Au départ, il s’agissait de proposer gratuitement et en ligne quelques-uns des cours dispensés par les meilleures universités du monde, via des plates-formes Internet qui les rassemblent (edX, Ocean, Coursera…) et les partagent. Ce n’étaient pas de simples cours ex cathedra filmés mais bien des modules pensés et construits pour le Web, avec explications, animations, schémas, exercices, etc. (lire aussi l’encadré page 46).

 » Interactifs et multimédias, ces cours associent vidéos, interviews filmées, exercices à réaliser, quizz avec feedback, tâches pédagogiques diverses, retours d’évaluation…, détaille-t-on à l’ULg, qui s’est lancée à son tour, en février dernier, dans l’aventure. Ce sont des outils pédagogiques efficaces pour découvrir et se former à distance de manière professionnelle aux disciplines les plus variées.  »

Via une plate-forme (francophone) baptisée Fun qui permet aux étudiants de les suivre à distance, les moocs de l’ULg ont été élaborés en interne par des équipes d’enseignants et de conseillers pédagogiques maîtrisant les technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement (tice). Ils s’adressent à la fois aux étudiants de l’université et à toute personne, jeune ou moins jeune, désireuse de se former ou d’approfondir ses connaissances aux quatre coins du monde.

 » Ces nouveaux supports d’apprentissage doivent progressivement s’insérer dans nos formations de bachelier et de master « , précise le vice-recteur Eric Haubruge. Le mooc  » Introduction à l’histologie : exploration des tissus du corps humain  » doit, par exemple, être obligatoirement suivi par les étudiants de 1er bac en médecine et dentisterie, et il est conseillé aux étudiants de 2e bac en médecine vétérinaire et en biologie. Il compte six modules d’une semaine. Au total, ce sont aujourd’hui plusieurs dizaines de milliers d’étudiants belges et étrangers qui suivent ces modules de formation en ligne.

Aux Pays-Bas, à l'université de Wageningue, spécialisée dans les sciences de la vie, des captations diffusées sur le Web permettent, partout dans le monde, de suivre des cours en ligne.
Aux Pays-Bas, à l’université de Wageningue, spécialisée dans les sciences de la vie, des captations diffusées sur le Web permettent, partout dans le monde, de suivre des cours en ligne.© MARCEL VAN DEN BERGH/BELGAIMAGE

Formations diplômantes

Qui les suivent… plus ou moins assidûment ! Certains les jugent en effet trop impersonnels et nombreux sont ceux qui les abandonnent en cours de route, avec d’autant moins de regrets, qu’ils sont gratuits. D’où l’apparition d’un nouveau venu sur les campus online de nos grandes universités : le spoc, pour Small Private Online Course, un cours en ligne limité en inscription à une trentaine d’étudiants. Toujours gratuit, le spoc ouvre la voie à des formations diplômantes, dans la mesure où les participants peuvent être suivis par voie interactive.

Car désormais, ce ne sont plus seulement des cours mais carrément des cursus certes réduits, mais complets que proposent en ligne certaines unifs. En janvier, l’UCL a lancé, avec treize universités prestigieuses (dont le MIT et Columbia aux Etats-Unis, et l’Australian University à Canberra), ce qu’elle appelle des MicroMasters, qui consistent à suivre une formation complète en partie sur le campus, en partie à distance, mais dans un laps de temps réduit. Seule université francophone membre de ce consortium, l’institution néolouvaniste propose deux de ces MicroMasters sur un total de 19 disponibles sur la plate-forme edX : l’un en droit, l’autre en management.

Ce sont des cursus complets qui sont mis en ligne aujourd’hui par certaines unifs

Mais dans notre enseignement supérieur, le digital learning ne s’arrête pas au cours en ligne. L’université de Mons a instauré des systèmes de vidéoconférences et de votes avec boîtiers en auditoires, alors que l’UCL utilise l’application Wooclap pour donner une nouvelle dimension participative à ses cours. Avec leur smartphone, les étudiants peuvent ainsi poser des questions en direct au professeur ou participer à des sondages et questionnaires dont les résultats sont collectés en direct durant le cours. L’initiative remporte un beau succès auprès des enseignants comme des étudiants, même si tous ne disposent pas forcément d’un smartphone.

Plus fondamentalement, l’UCL a mis en place un ambitieux plan numérique dans lequel le digital n’est pas une fin en soi, mais un moyen pour atteindre ses objectifs, à savoir favoriser la création, la diffusion et l’acquisition des connaissances.  » Notre vision est basée sur le modèle open en termes d’éducation, de publications et de sources « , précise Yves Deville, conseiller du recteur pour l’université numérique.

 » Le volet Open Education est assez large puisqu’il regroupe à la fois les tice, les moocs et les ressources éducatives libres, à savoir du matériel pédagogique que nos professeurs mettent à la disposition du monde entier dans un esprit collaboratif. Cela veut dire que chacun peut reprendre ce contenu disponible sur une plate-forme et l’enrichir.  » Comme les moocs, les ressources éducatives libres contribuent à la fois à la renommée mondiale de l’université et remplissent l’un de ses objectifs fondamentaux : la diffusion gratuite des savoirs. Les tice, quant à elles, facilitent l’apprentissage des étudiants grâce à leurs diverses applications.

Accès au savoir pour tous

Le plan numérique de l’UCL implique aussi l’utilisation de logiciels Open Source, c’est-à-dire permettant à tout un chacun de les utiliser gratuitement, de les modifier et de les redistribuer. Et l’unif se veut aussi active dans le domaine de l’Open Education, un sujet en plein essor ces derniers temps.  » L’accès aux articles scientifiques est extrêmement coûteux et représente des frais annuels de plus de 2,5 millions d’euros par an pour l’université « , précise Yves Deville.  » Ce modèle est voué à se transformer – notamment au niveau politique – et nous sommes partisans d’une évolution vers un modèle plus accessible. Une des solutions actuelles est ce qu’on appelle le green open IT, un moyen qui permet de publier les travaux en accès libre dans le répertoire de l’institution. Notre objectif est d’augmenter le nombre d’articles disponibles sur notre propre dépôt institutionnel, de manière, une fois de plus, à favoriser l’accès aux savoirs.  »

Plusieurs autres universités partagent cette vision et notamment l’ULg, qui a entre autres instauré le dépôt obligatoire des publications et articles scientifiques de ses membres dans un répertoire spécifique, ou encore un portail pour les mémoires et une bibliothèque d’objets numérisés. Si de nombreuses universités dans le monde franchissent le cap du numérique et se développent dans ce domaine, le cas de l’UCL reste toutefois assez unique.  » Une vision globale telle que la nôtre est assez peu répandue « , affirme Yves Deville. Qui en veut pour preuve la nomination par le recteur d’une personne responsable de ce secteur.

Où ce plan mènera-t-il et surtout jusqu’à quel stade de digitalisation ira l’université ? Yves Deville est conscient que les équipements des étudiants comme ceux de l’institution restent un frein, mais il espère que d’ici trois à cinq ans, le numérique remplira pleinement son rôle de facilitateur au niveau de l’apprentissage et des collaborations, éducatives ou scientifiques. Soulignons cependant qu’outre la nécessité pour les étudiants de disposer et de maîtriser les technologies digitales, tout ce savoir numérique est surtout diffusé en anglais. Qui s’impose plus que jamais, via l’Internet, comme la langue dominante des sciences et de l’éducation. Quelques plates-formes permettent au français de résister vaillamment, mais elles sont largement minoritaires.

Par Philippe Berkenbaum et Marie-Eve Rebts.

Ces moocs qu’on plébiscite

L’UCL a entamé une recherche sur les moocs, histoire de vérifier si ces cours en ligne sont pertinents en matière d’enseignement et s’ils atteignent les objectifs de qualité des cours ex cathedra. Cette étude est toujours en cours, mais l’unif néolouvaniste en a diffusé les premiers résultats, qui sont plutôt positifs : « Tant les professeurs que les étudiants plébiscitent les moocs… et n’imagineraient plus faire marche arrière ! » constate Sophie Dandache, docteur en sciences de l’éducation et auteure de l’étude.

Certains détracteurs prédisaient la fin de l’université avec l’arrivée des moocs ? « La question ne se pose même plus. A cause du besoin, clairement établi, qu’ont les étudiants d’être en contact avec les enseignants. » Des professeurs qui, eux aussi, sont ravis : « Cela a changé leur perception de l’enseignement, les étudiants sont plus motivés et ils peuvent utiliser leur présence en auditoire pour de l’interactif, organiser des débats, faire vivre leur matière. » Quant aux étudiants internationaux ? « Cela leur a permis de découvrir l’UCL, qu’ils ne connaissaient pas auparavant et d’apprécier la qualité de notre formation, unanimement mise en avant dans les questionnaires de satisfaction. »

Avantages défendus par les professeurs : la motivation, le fait de pouvoir revisionner le contenu du cours lorsqu’un point de la matière n’a pas été bien compris ou encore l’occasion de se remettre en question et d’améliorer leur cours. Côté inconvénients, seule la charge de travail considérable liée à l’élaboration du mooc est soulignée.

Les plates-formes les plus populaires

Coursera.org : plate-forme commerciale conçue par des enseignants de Stanford.

edx.org : consortium d’universités sans but lucratif, fondé par Harvard et le Massachusetts Institute of Technology, rejoints par l’UCL.

Ocean-flots.com : portail francophone rassemblant des universités françaises, belges, canadiennes…

Udacity.com : plate-forme commerciale également créée par des enseignants de Stanford.

Khanacademy.org (ou .fr) : académie en ligne fondée par Salman Khan, qui propose de nombreuses vidéos et des exercices interactifs.

Fun-mooc.fr : France université numérique est la plate-forme nationale française, rejointe par l’ULg, visant à promouvoir la diffusion des cours en ligne.

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