Stéphane Balleux, Un conte de Noël, 200 x 160, 2015. © Stéphane Balleux, Un conte de Noël, 200 x 160, 2015.

L’oeuvre de la semaine : Le noeud

Voilà un tableau à l’huile de grande taille tout en grisailles somptueuses. Le geste du pinceau a disparu. A peine le remarque-t-on dans les blancs ajoutés qui s’opposent aux noirs profonds un peu comme cela se pratique avec le fusain et la craie.

Ce sont deux portraits inspirés par une ancienne photographie choisie par Stéphane Balleux dans l’Encyclopedia britannica. Un personnage plus âgé est assis. L’autre, debout, est son fils et les cinéphiles reconnaîtront aussitôt le jeune Cary Grant.

Un détail mange pourtant l’ensemble de la très conventionnelle pose des deux protagonistes. Une abstraction, un glissement des matières qui se répand jusque sur la jambe du patriarche. Pourquoi cela, là ? Dans la photo originale, le père tient une coiffe d’Indien. Le cadre est un salon anglais des plus bourgeois. Mais c’est le titre choisi par le peintre, « Un conte de Noël », qui va nous ouvrir le secret de l’image et la situer tout à la fois dans l’histoire du comédien anglo-américain, dans une fiction très acide et sans aucun doute, faire retour vers l’artiste lui-même.

Le film d’Arnaud Desplechin sorti en 2007 met en effet en scène les liens tendus (sinon pire) existant entre les différents membres d’une famille et particulièrement entre le fils, héros détesté et alcoolo-schizophrène, sa mère et son père. Chacun des films du réalisateur français règle des comptes, à la famille, aux amis, au pays et dans celui-ci… à lui-même.

Le rappel du film nous invite alors à décrypter le double portrait sous un ange nouveau. Il ne s’agit plus d’y voir le célèbre Cary Grant qui, à partir de 1931, tournera des films en compagnie de Mae West, Ginger Rodgers ou encore Marylin Monroe, sera l’acteur fétiche d’Alfred Hitchcock (« Le Soupçon », « La main au collet ») et le séducteur qui inspirera à Ian Fleming, le personnage de James Bond. Non, plutôt cet être hanté par ses relations avec sa mère qui sera internée par son mari après la mort d’un enfant et dont on fera croire jusqu’aux trente ans de l’acteur, qu’elle est simplement partie en voyage.

Un fils incompris, voire rejeté qui, à seize ans, fuit son père et son pays pour tenter une nouvelle naissance aux Etats-Unis. Le peintre construit-il là une sorte d’autoportrait, lui, qui, à son tour, aura vécu au coeur d’une famille nombreuse où les conflits paraissent inévitables.

On peut alors revenir vers le tableau lui-même, ressentir face à lui, ce mélange de retenue et d’expression romantique d’un « moi » ivre d’appels et d’aigreurs, de doutes et de refus. L’immensité du paysage nu (à l’origine, une vue de Cuzco au Pérou) a remplacé le salon anglais. La tension entre les deux protagonistes n’en est que plus vive quoique grise. Le regard revient enfin sur l’essentiel : ce qui est caché. Là où le peintre use de la gestualité. Là où se trouve toujours la vraie question. Le noeud.

Bruxelles, galerie D+T Project. 4 rue Bosquet (1060).

Jusqu’au 23 octobre.

Je, Ve, Sa de 12 à 18h30.

www.dt-project.com

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