Balthus, Les joueurs de cartes, 1968-73. Museum Van Beuningen, Rotterdam. © Balthus-Museum Van Beuningen-Photo Studio Tromp, R'dam-Adagp Paris 2017.

L’oeuvre de la semaine : L’envers des cartes

Le Vif

Lorsque, en 1968, Balthus (1908-2001) entreprend la composition de cette partie de cartes, il vit à Rome depuis sept ans en tant que Directeur de la Villa Medici. La restauration du palais auquel André Malraux lui a demandé de s’atteler est terminée.

S’il a fait réapparaître des fresques anciennes, il a surtout mis en scène les divers espaces pour en faire une oeuvre à son image. Mais surtout, il dessine et il peint avec aux côtés de lui sa jeune épouse japonaise devenue un de ses modèles.

De cette période, on retient aussi d’innombrables portraits des très jeunes Katia, Alicia, Michelina dont les poses suggestives, la sensualité des corps et le silence des yeux ne manquent pas d’ambiguïté. Ces feuilles préparent les peintures à venir qu’il réalisera dans une farouche solitude au coeur de l’atelier situé dans les jardins et dans lequel trônera longtemps la composition « Les joueurs de cartes » aujourd’hui présentée au musée d’art moderne de Paris.

Fasciné, le directeur du musée Van Beuningen de Rotterdam, en visite à Rome, désire l’acheter. Balthus refusera pour finalement accepter mais deux ans plus tard. Pourquoi ? Le sujet lui convient. Jouer aux cartes, c’est intimider, ruser, tromper, dominer. En un mot, pénétrer dans la part obscur de l’esprit.

Le Caravage en avait fait le thème d’un de ses tableaux (aujourd’hui perdu) mais dont Georges De La Tour se serait inspiré dans sa célèbre toile du Louvre et dont Balthus, à son tour, fait référence lorsque pour la première fois, en 1947, il travaille sur cette thématique. D’autres toiles suivront en 1950, 52, 54 et enfin, en 1973 lorsqu’après cinq ans, l’ultime version des « Joueurs de cartes » est enfin achevée.

Les deux joueurs sont bien des enfants mais très inquiétants. Leur peau, leur corps, leur difformité dérangent et surtout leur visage dont, semble-t-il, la violence géométrique et massive serait redevable tout à la fois au personnage de Pierre l’ébouriffé, un conte écrit et dessiné au XIXe siècle par Heinrich Hofmann et à « L’art de la portraicture » daté du moyen-âge gothique et signé Villard de Honnecourt.

Comme à chaque fois, le tableau suspend le temps et chacun y glisse son histoire. Cette thématique est également traitée dans l’exposition par Giacometti et Derain, un trio dont les liens profonds et féconds apparaissent au fil d’un parcours qui aborde aussi le portrait, le paysage, la nature morte ou encore le théâtre.

Paris, musée d’art moderne : 11 av du Président Wilson. Jusqu’au29 octobre. Du mardi au dimanche, de 10h à 18h.

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