Flag Face (drapeau daté des années 1890). C Andres Serrano. Courtoisie de l'artiste et galerie Nathalie Obadia Paris/Bruxelles.crédit photo Andres Serrano. © DR

L’oeuvre de la semaine: L’encagoulé.

Guy Gilsoul Journaliste

La monumentale photographie d’une tête encagoulée dans un drapeau américain daté des années 1890 et signée par le New-yorkais Andres Serrano (°1950), provoque à la fois fascination (pour sa beauté quasi chirurgicale) et rejet (pour l’accusation qu’elle contient).

Cette ambivalence est une constante de l’oeuvre de ce plasticien et se trouvait déjà dans les portraits de cadavres (The Morgue 1992) surpris quelques instants après leur mort dans les couloirs des hôpitaux et somptueusement rendus par des images qui n’étaient pas sans évoquer l’art du Caravage. Au Grand Hornu, Laurent Busine, alors jeune directeur du Mac’s avait eu l’intelligence de les exposer dans la grange aux foins qui, lors des accidents de la mine, accueillait morts et blessés. Traquant, comme la romancière Joyce Carol Oates, cette Amérique violente et puritaine (se souvenir du scandale provoqué par Immersion de 1987, l’image du Christ baignant dans l’urine), Serrano s’est aussi penché sur les faits de torture. Ce sera, commandé par le New-York Times, un ensemble d’oeuvres réalisées à la suite du scandale de la prison d’Abu Ghraib où des soldats américains avaient été filmés torturant des prisonniers irakiens. Plus récemment, en 2016, il proposait seize photographies aussi fascinantes que détestables de masques et autres objets de torture ordinaires utilisés au moyen-âge européen et précieusement conservés dans nos musées. Il y avait là aussi des reconstitutions de tortures menées dans les camps de concentrations nazis et les prisons de la police est-allemande. Et parmi elles, l’image d’un homme encagoulé évoquant les méthodes utilisées lors de la guerre d’Irlande dans les années 1970. Dans la photographie présentée par Obadia Bruxelles, la cagoule à l’image du drapeau étoilé prend la forme de cette autre, noire et funeste du Ku-Klux-Klan (à son tour présentée aux cimaises). Etablir de façon si frontale, ce lien entre l’emblème du patriotisme US et la réalité de cette société qui, dans les années 1920 comptait 5 millions de membres et multipliait lynchages et autres modes d’assassinats raciaux, provoque un impact visuel d’une savante immédiateté. Mais le propos se précise dans les autres images et pointe le racisme ordinaire dans l’Amérique souriante. Celui qui des poupées aux mannequins de foire et aux images de produits de consommation auront alimenté le mépris anti-noir et que le photographe sacralise à partir d’objets de sa propre collection. Rappelons qu’à l’heure de la campagne électorale gagnée par Donald Trump, l’Amérique (dont celle qui manifesta à Charlotesville en 2017) comptait encore 10.000 membres d’associations similaires au Ku-Klux-Klan et que dans le même temps, les actes anti-racistes avaient augmenté de 26% par rapport aux années précédentes….

Bruxelles, galerie Nathalie Obadia, 8 rue Charles Decoster. Jusqu’au 4 janvier. Du mardi au samedi de 10h à 18h.

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