Carte blanche

L’intégration par l’école : il est temps de passer de la parole aux actes

Quel que soit l’angle sous lequel on l’examine, il existe une constante, omniprésente dans le discours politique : les pistes de solution pour lutter contre le défi migratoire, le radicalisme et les replis identitaires passent, à un moment ou à un autre, par l’école.

En effet, l’enseignement est porteur d’attentes aussi importantes que justifiées : pour faire face à de tels enjeux, l’éducation, l’enseignement, l’école sont des armes d’instruction massives.

Ainsi en va-t-il de l’intégration des migrant-e-s. Or, il y a quelques jours, nous apprenions par voie de presse, l’annonce enthousiasmante d’un renforcement, via un nouveau décret, du dispositif DASPA, dispositif organisé dans différentes écoles de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour apprendre le français aux élèves primo-arrivants. Ce projet, approuvé la semaine dernière à l’unanimité par la Commission Éducation du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, propose quelques avancées bienvenues pour ces Dispositifs d’Accueil et de Scolarisation des élèves Primo-Arrivants (DASPA) : gratuité d’équivalences pour certaines catégories d’élèves, allongement possible de la fréquentation du DASPA jusqu’à 24 mois, etc. Toutefois, il cache aussi un solide retour en arrière, des discriminations notoires et une méconnaissance du travail mené sur le terrain.

L’exclusion du dispositif d’une série d’élèves ne parlant pourtant pas un mot de français

Le DASPA a pour objectif d’accueillir, au sein de nos établissements scolaires, les élèves primo-arrivants originaires de pays étrangers qui ne connaissent pas notre langue, ni notre système éducatif et qui arrivent parfois sans aucun bagage scolaire. Ce dispositif, anciennement connu sous le nom de « classes-passerelles », apporte un soutien ciblé à ces jeunes afin de leur permettre de pouvoir évoluer, pendant une durée limitée, dans un environnement pédagogique adapté à leurs difficultés. Il semble donc logique que tous les élèves ne maitrisant pas la langue d’enseignement puissent en bénéficier. Or, à la lecture du projet de décret, nous constatons que, dès l’entrée en vigueur de celui-ci, les enfants issus d’une série d’États de l’Union européenne, tels que l’Italie, l’Espagne ou encore le Portugal, en seront exclus.

Si ce décret est voté, cela signifie donc que ces jeunes ne bénéficieraient pas des mêmes chances de réussite que leurs alter ego alors qu’ils seront objectivement dans une situation identique, à savoir la non connaissance de la langue française. Ainsi, dans une même cour de récréation, un élève brésilien parlant portugais pourrait bénéficier d’un encadrement spécifique pour l’apprentissage du français afin de favoriser son intégration et son parcours scolaire, mais un élève portugais, dans les mêmes conditions, ne pourrait pas en profiter. Ce dernier serait donc directement immergé dans une classe « traditionnelle » alors qu’il ne parle pas un mot de français et que son statut socioéconomique n’est pas nécessairement privilégié. C’est une aberration : le dispositif DASPA a justement été créé, il y a plus de 10 ans, suite au constat qu’une telle intégration immédiate ne fonctionnait pas. En outre, exclure ces élèves du dispositif relève d’une véritable discrimination sur la base de la nationalité, un critère sans pertinence pédagogique ou socioculturelle. Comme le souligne la Ligue des Droits Humains, il eût été préférable, au regard du droit de l’UE, des lois anti-discriminations et de l’intérêt supérieur de l’enfant, de prévoir un système qui inclut l’ensemble des jeunes étant dans une situation objectivement identique, sans faire de distinction sur la base de leur nationalité.

L’immersion des élèves

Une deuxième préoccupation concerne l’immersion progressive des élèves primo-arrivants ou assimilés. Ainsi, le projet de décret prévoit qu’après huit mois, l’élève inscrit dans un DASPA soit immergé un minimum de six périodes par semaine au sein de sa classe d’âge ou de l’année d’étude envisagée. A première vue, cette intégration progressive semble tout à fait judicieuse, du moins pour les élèves ayant suivi une scolarité régulière dans leur pays d’origine, ce qui est loin d’être le cas pour nombre de jeunes. Cependant, même pour ces élèves, ce projet pose de sérieuses questions quant à son organisation et à son caractère opérationnel.

A titre d’exemple, notre école de Molenbeek, le Campus Saint-Jean, qui accueille 48 élèves DASPA dès le mois de septembre, devrait donc intégrer, au début du mois de mai, ces 48 élèves dans des groupes-classes déjà complets. A défaut d’autres dispositions sur lesquelles le décret fait l’impasse, la logique voudrait donc que des places soient réservées pour ces élèves. Or, si une école décide d’inscrire moins d’élèves dans certaines de ses classes en septembre, elle perdra des moyens pour ses heures d’encadrement l’année suivante. Aucune école ne pourrait se le permettre… Ce projet signifie donc qu’il faudra gonfler les classes dès le mois de mai en y intégrant des élèves ne maitrisant pas le français et, pour certains, à peine alphabétisés. Quel.le professeur.e. serait capable, à la fois, de gérer un groupe-classe surnuméraire, de préparer efficacement ses élèves aux examens de fin d’année (pour rappel, il y a des épreuves externes en fin d’année dans plusieurs niveaux d’étude – CEB-CE1D-…), tout en accueillant des élèves primo-arrivants ? Rappelons qu’une majorité des écoles accueillant un public d’élèves primo-arrivants sont déjà confrontées à un public précarisé rencontrant de multiples difficultés. Faut-il, dès lors, leur compliquer davantage la tâche ? Si de nombreuses écoles partagent la philosophie de l’inclusion, et la pratiquent d’ailleurs déjà à plusieurs niveaux (élèves porteurs d’un handicap ou présentant des troubles de l’apprentissage, élèves présentant des lacunes ou des difficultés scolaires…), il ne nous parait pas judicieux de l’imposer en sus pour des élèves dont la maitrise de la langue des apprentissages est largement défaillante.

La prolongation du statut DASPA

L’avancée principale du projet réside sans doute dans le prolongement du statut DASPA, pouvant aller jusqu’à 24 mois pour les élèves non-alphabétisés dans leur pays d’origine. Depuis longtemps, les professeur.e.s du DASPA réclamaient un allongement du dispositif pour ceux-ci. Cependant, la définition qui est donnée de l’élève non-alphabétisé inquiète. En effet, le critère repris se limite au fait de n’avoir jamais fréquenté une école. Ce critère exclut ainsi les élèves qui ont été scolarisés pour quelques mois, voire une année scolaire entière dans leur pays d’origine, mais dont le parcours a été interrompu pendant plusieurs années pour des raisons diverses : guerres, discriminations dans le pays d’origine, parcours migratoire etc. Ces jeunes sont, eux aussi, analphabètes, en vertu d’ailleurs des critères établis par l’ASBL Lire et Ecrire. Ils nécessiteraient donc également de pouvoir bénéficier des possibilités de prolongation organisée par le projet de décret.

En outre, l’organisation prévue pour cette prolongation rend à nouveau celle-ci irréalisable sur le terrain. Ainsi, ces élèves non-alphabétisés, devraient, comme les autres élèves, être immergés dans des classes dès huit mois de scolarité en Belgique. Or, pour ces jeunes non-alphabétisés et souvent traumatisés par un vécu de guerre et un parcours d’exil particulièrement difficile, que représentent huit mois de scolarité ? Au terme de ceux-ci, ces adolescents ont à peine acquis les bases d’une première primaire. Intégrer ces élèves rapidement dans des classes ordinaires du secondaire, ce n’est pas leur faire un cadeau. C’est les préparer à l’échec et au déclassement. Il serait donc préférable de prévoir que la longueur du dispositif et les périodes d’intégration progressive varient en fonction du profil de l’élève. Faisons confiance aux enseignant.e.s et donnons le pouvoir aux équipes pédagogiques de déterminer le chemin le plus approprié à chaque élève primo-arrivant en tenant compte des spécificités de son histoire et de son parcours scolaire.

Face à toutes ces contraintes, le risque est réel que les écoles, fatiguées de devoir bricoler des solutions dans l’interstice des textes législatifs et confrontées à l’aporie des moyens, n’utilisent pas cette possibilité de prolongation, lui préférant une intégration complète après 12 mois, même si celle-ci est un non-sens pour le public analphabète. L’avancée significative proposée par le décret s’annulerait donc d’elle-même…

Au final, ces nouvelles dispositions risquent de provoquer, de facto, plus de redoublements qu’actuellement… ce qui est un comble quand les « Pacte pour un enseignement d’excellence », « Plan de pilotage » et autres « Contrats d’objectifs » nous sont présentés comme devant servir à lutter contre ce fléau de notre enseignement ! Au moment où ce projet doit être adopté ce mardi en séance plénière au Parlement de la Fédération, nous demandons donc aux acteurs et actrices du monde politique de rester cohérents et de passer de la parole aux actes. C’est dans l’intérêt de toutes et tous, élèves comme professeur.e.s, parents comme citoyens, écoles comme Fédération Wallonie-Bruxelles.

Des enseignantes en DASPA de l’école du Campus Saint-Jean de Molenbeek

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