Nicolas Baygert

L’idole Marine ou le crépuscules des partis

Nicolas Baygert Chargé de cours à l'IHECS et maître de conférences à l'ULB

En France, la percée du Front National à Brignoles sème le trouble. Isolé, ce résultat n’en demeure pas moins symptomatique. Selon l’enquête Ifop du 9 octobre pour Le Nouvel Observateur, le FN serait en tête des intentions de vote aux élections européennes de 2014, avec 24 % des voix. Un quart des Français « marinistes » ? Pas sûr.

Comme l’évoquait Philippe Muray au lendemain du « séisme Le Pen » du 21 avril 2002 : « Quand on prend un gourdin pour fracasser quelque chose, cela n’implique pas qu’on soit gourdiniste ; ni qu’on souhaite voir accéder ce gourdin aux plus hautes fonctions. » (1) Sauf qu’au rustique gourdin de 2002 s’est aujourd’hui substitué le marteau de Thor, brandi par la nouvelle déesse du tonnerre et reine des sondages. Et face à la vague bleu-Marine, les partis traditionnels ont clairement le blues.

Le Parti socialiste semble paralysé par le (non-)exercice du pouvoir, l’incessante cacophonie ministérielle et la sarkozysation définitive du ministre de l’Intérieur, Manuel Valls – certains s’interrogeant si un PS post-Leonarda se situe encore « à gauche ».

L’UMP ? Un champ de bataille toujours fumant livré au duel Copé-Fillon, neutralisé par le legs sarkozyste et en proie aux sirènes frontistes. L’UDI ? Un rafistolage post-mortem de nostalgiques de l’ancienne UDF giscardienne ; un attelage zombie. Europe Ecologie-Les Verts ? Presque entièrement biodégradé. Même le Front de gauche se délite avec le lâchage de Jean-Luc Mélenchon par le Parti communiste à Paris. L’impact de cette détérioration du biotope partisan sur l’électeur reste difficilement mesurable, sauf si l’on tient compte des intentions de vote pour qui vous savez.

En Belgique, le week-end fut également riche en happenings particratiques. Chez Ecolo, pied de nez des militants qui préférèrent Philippe Lamberts à Isabelle Durant en vue du scrutin européen de 2014. Du côté du PS, on se réunissait à Charleroi pour réfléchir au « nouveau modèle socio-économique de rupture après la crise libéralo-capitaliste de 2008 ». Des débats endogènes qui in fine ne passionnent guère le citoyen, peu friand de ce type de cuisine interne.

En réalité, les partis subissent une crise de foi. Ces corps intermédiaires, si chers à Montesquieu, se voient peu à peu délaissés, la démocratie entrant en quelque sorte dans sa phase post-représentative. Entre politique de l’émotion et judiciarisation accrue, le « vote-gourdin » ou le plébiscite ponctuel d’individualités hors-normes à l’instar de Maggie De Block, marquent le déclin de l’identification partisane, voire l’extinction progressive de la base sociale de partis.

Aussi, dans son dernier pamphlet, Pour supprimer les partis politique ! ?(2), Daniel Cohn-Bendit, co-fondateur (dépité) d’Europe-Ecologie en 2009, réfléchit à l’engagement politique post-encartage : « Un parti, écrit-il, c’est un blindage, une structure fermée, presque génétiquement hermétique à la société. » Or « l’engagement, c’est d’abord la reconnaissance de la force de l’autonomie des militants (et) cette recherche d’autonomie dérange les partis ».

Des militants sans partis ? L’agir démocratique contemporain se situerait donc entre incarnation forte (par des « icônes » symbolisant un combat politique) et engagement émancipé des carcans partisans. Un grand écart pour le moins anxiogène pour bon nombre de partis traditionnels.

A l’inverse, on notera que Marine Le Pen rassemble dorénavant sans encarter : son Rassemblement Bleu Marine (une coalition souple unissant frontistes et indépendants) permet aux « marinistes » de soutenir la figure de proue du FN sans pour autant adhérer au parti – ce dernier devenant pour ainsi dire caduc ; la structure s’effaçant au profit de la créature plébiscitée. Un modèle qui semble faire ses preuves.

(1) P. Muray, Festivus Festivus, Paris : Fayard, 2005.

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