© get

L’histoire belge des vaches wallonnes et flamandes qui ne pouvaient pas se mélanger

Caroline Lallemand
Caroline Lallemand Journaliste

Voilà encore une histoire bien belge. Elle se passe cette fois dans une ferme installée à cheval sur la frontière linguistique, celle d’Eric Van Steenkiste. Il explique que ses bovins ne peuvent pas se mélanger et détaille tous les tracas administratifs qui découlent de la position particulière de son exploitation agricole.

On se croirait dans Le Grand Fossé d’Astérix et Obélix, ou mieux, dans cet épisode des Schtroumpfs ou le village des petits lutins bleus est délimité par une frontière en pointillé. Les Schtroumpfs se disputent sur la bonne utilisation du langage schtroumpf : doit-on dire un « tire-bouschtroumpf » comme le disent les habitants du nord du village, ou un « schtroumpf-bouchon » comme le disent ceux du sud du patelin? Dans sa maison, un Schtroumpf se retourne sans cesse dans son lit coupé en deux par la frontière, d’un côté il rêve dans une langue, de l’autre côté, dans l’autre.

C’est face à ce genre de casse-tête organisationnel et administratif qu’est confronté Eric Van Steenkiste, 54 ans, un fermier dont l’exploitation agricole est à cheval sur la frontière linguistique. Le siège principal avec le corps de logis et une première étable se trouvent à Zarlardinge, dans l’entité de Grammont, et une seconde étable construite en 2000 est située à Ghoy, dans l’entité de Lessines, près d’Ath. Une route communale appartenant à la commune de Grammont divise la ferme en deux, explique la RTBF.

Situation compliquée, voire surréaliste pour l’agriculteur qui possède 200 bovins, car pas question de mélanger les bêtes flamandes et wallonnes ! Comme une partie de la ferme se trouve en Flandre et l’autre en Wallonie, l’agriculteur possède deux unités de production. « Et pourtant, il n’y a même pas dix mètres entre les deux étables. »

« Du coup, j’ai un troupeau wallon en Wallonie et un troupeau flamand en Flandre et mes bêtes ne peuvent pas se mélanger. Si j’ai de la place dans un box dans l’étable wallonne, je ne peux pas y mettre cinq vaches flamandes. C’est interdit. C’est la même chose en prairie. Les bovins flamands ne peuvent pas se retrouver avec les bovins wallons. Si j’ai un contrôle, je suis en infraction et je reçois une amende. Si mes bêtes avaient été mélangées avec celles d’un autre agriculteur, je comprendrais, mais là, ce sont toutes mes bêtes. Elles viennent du même producteur », commente-t-il sur le site de la RTBF.

L’homme a fait visiter son exploitation au Morgen: « Voici les vaches flamandes : les brunes laitières. Elles se trouvent sur une portion de sol wallon, elles y sont autorisées, mais ne peuvent être en compagnie de vaches wallonnes, explique le fermier qui passe du néerlandais au français sans problème, mélangeant parfois les deux langues. « Et voici les vaches wallonnes destinées à la production de viande. Vous voyez quand même la différence, j’espère ? En effet, la bleu gris avec du blanc, la blanc bleu belge. Et du côté flamand, donc, la brune et blanche, de telle sorte qu’on puisse facilement les différencier. »

Double charge administrative

Cette situation peu commode lui impose également une charge administrative plus lourde, car la législation n’est pas la même en Flandre qu’en Wallonie. L’infraction est vite franchie, car de chaque côté de la frontière prévalent des règles différentes en matière d’hygiène, de primes, de quota d’engrais et de pollution.

Par exemple, les périodes pendant lesquelles il peut disperser de l’engrais sur ses champs, la façon dont la quantité d’engrais par vache est calculée, à partir de quelle quantité en tant que fermier, il doit payer des indemnités pour la pollution. Les règles sont aussi différentes concernant l’épuration de l’eau et l’arrosage des champs. Et donc, aussi, l’interdiction de mélanger les vaches en pâturage et dans l’étable. Bien qu’il y ait assez de place dans le bâtiment situé en Région wallonne pour accueillir les vaches flamandes qui sont à l’étroit dans leur étable, les bovins flamands ne peuvent pas côtoyer leurs congénères wallonnes.

Et les raisons sont nébuleuses selon le fermier. « Nous nous posons la question depuis des années ». Les bovins de deux exploitations agricoles distinctes ne peuvent en effet pas se mélanger par risques des contaminations, ce qui est logique, mais il est étonnant qu’en Wallonie et en Flandre, la bête pèse différemment en termes de primes et de quota d’engrais, s’étonne Van Steenkiste.

Le fermier n’est apparemment pas le seul à vivre ce genre de situation ubuesque selon la Fédération Wallonne de l’Agriculture (FWA) contactée par De Morgen. « Il y a bien 200 fermiers dans la région qui sont concernés », estime Etienne Triffin de la FWA. Bernard Hennuy, à la tête du département wallon de l’agriculture évalue, de son côté à un millier le nombre d’agriculteurs confrontés à ce genre de casse-tête administratif. Il ajoute que la situation est plus compliquée dans le cas de Eric Van Steenkiste, car son bétail est littéralement éparpillé des deux côtés de la frontière alors que les autres agriculteurs doivent choisir une adresse et donc une région unique où enregistrer leur ferme.

Eric Van Steenkiste trouve cette situation ridicule. « Comment est-ce possible dans un si petit pays ? Mais bon, je m’y suis fait à la longue« , conclut-il, résigné.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire