Wim Moesen © Dieter Telemans

L’expert budgétaire, Wim Moesen, met en garde contre une politique d’austérité irréfléchie

À présent que le coronavirus semble se fatiguer, les conséquences économiques et budgétaires font l’objet d’une plus grande attention. « Espérons que les taux d’intérêt resteront bas et que nous pourrons renouer avec la croissance économique », déclare l’expert budgétaire Wim Moesen, qui attend beaucoup de la Belgique et de l’Europe.

En temps normal, les journaux auraient été remplis de reportages sur le contrôle budgétaire et les querelles politiques qui en découlent. Mais suite à la crise du coronavirus, nous avons autre chose en tête. Cela ne change rien au fait que cette pandémie pèsera lourdement sur les finances publiques, probablement pour longtemps. Le magazine Knack a posé plusieurs questions à Wim Moesen, l’expert budgétaire de la KuLeuven : que devrait faire la Belgique ? Que devrait faire l’Europe ? Et comment survivre financièrement et économiquement à la crise du coronavirus?

« Nous devons soumettre notre programme de stabilité à l’Europe », déclare Moesen. Nous devons y indiquer comment nous allons stabiliser notre budget à moyen terme, afin qu’il ne déraille pas. Nous devons également publier le programme national de réforme. Cela concerne également le marché du travail, les importations et les exportations, etc. Je suppose que nos fonctionnaires sont maintenant très occupés à travailler sur ces deux documents ».

L’avis de la Commission suivra en mai ?

Wim Moesen : Oui, elle présentera alors ses recommandations spécifiques pour chaque État membre sur la manière de stimuler l’emploi et la croissance tout en maintenant des finances publiques saines. Il s’agit d’une évaluation importante de la politique budgétaire. Ce sera un premier indicateur important de la manière dont l’Europe fera face concrètement aux conséquences économiques et budgétaires de la crise du coronavirus.

La Commission sera indulgente, a-t-elle déjà indiqué.

Le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne contient un article sur les calamités. Selon cet article, s’il se produit quelque chose qui échappe au contrôle du gouvernement, un événement inhabituel tel qu’une inondation, un tremblement de terre ou une pandémie, vous pouvez vous écarter des objectifs normaux. Le 13 mars, l’Europe a déclaré que c’était permis avec la crise du coronavirus. La Belgique et les autres États membres sont donc autorisés à s’écarter de ce qu’ils ont proposé précédemment dans leur programme de stabilité et de réforme nationale. L’Europe examinera ces plans avec bienveillance. C’est important, car dans le passé, la Belgique a été critiquée et condamnée à plusieurs reprises par la Commission pour sa politique budgétaire. Nous verrons à quel point l’Europe sera indulgente.

Certains États membres ne seront-ils pas tentés d’attribuer de nombreux déficits à la crise du coronavirus ?

Effectivement, on verra des choses étranges. C’est pourquoi la Belgique serait bien avisée d’inclure dans son budget toutes les dépenses supplémentaires résultant de la crise du coronavirus telle que le chômage temporaire. Tout comme la baisse supplémentaire des recettes, car le déclin de l’économie signifie que le gouvernement perçoit moins de TVA, d’impôt sur le revenu des personnes physiques, d’impôt sur les sociétés, etc. L’Europe examinera sans doute si ces problèmes résultent de la crise du coronavirus ou d’une gestion inadéquate des finances publiques. Il est donc important d’être très clair à ce sujet dans la comptabilité budgétaire.

Où en sont nos finances publiques ?

Je regarde toujours les chiffres de la Banque nationale et du Bureau du Plan, parce que c’est là que se trouve la plus grande expertise. Ils voient le PIB réel (produit intérieur brut, tout ce que nous produisons en biens et services) chuter de 8 %. Alors qu’avant la pandémie, le déficit budgétaire devait être d’environ 3 % du PIB, il va passer à 7,5 %.

Et où en sommes-nous cette année ?

L’année dernière, notre dette publique s’élevait à 99,6 % du PIB. Ajoutez à cela le déficit prévu de 7,5 % cette année et vous obtenez un chiffre arrondi à 107 %. C’est donc le numérateur, mais nous devons aussi regarder le dénominateur, le PIB. Le PIB va se contracter de 8 % cette année, soit 92 %. Si l’on divise ce 107 par 92, notre taux d’endettement sera de 115 % du PIB cette année, arrondi. Il est donc très important que vous examiniez à la fois la dette publique et le PIB, car sinon vous passez à côté de l’essentiel. Puis-je faire un exercice de réflexion pour l’illustrer?

Allez-y.

Supposons que nous ne voulions pas augmenter le déficit et le maintenir à 3 %. Cela signifie que la dette ne serait pas de 107 %, mais de 103 %. Sommes-nous mieux lotis ? Pour ce faire, il faut inclure le PIB. Comme nous voulons maintenir le déficit à 3 %, le gouvernement ne ferait rien pour endiguer les calamités causées par le coronavirus, pas de dépenses supplémentaires pour le chômage temporaire, par exemple, qui permettrait aux gens de conserver 60 à 70 % de leur salaire. Cela signifierait que beaucoup de gens n’auraient plus de revenus et ne pourraient donc plus consommer. Dans ce cas, l’économie subirait un plus grand déclin. Je ne sais pas quelle serait l’ampleur de ce recul, mais mettons qu’il soit le double de ce qu’il est actuellement, c’est-à-dire 15%. Nous arrivons alors à 85 % du PIB. Et quel serait alors notre taux d’endettement ?

Le suspense reste entier, professeur.

Le taux d’endettement serait alors de 103 divisé par 85 et donc de 121%. En d’autres termes, le déficit est moins important, mais le taux d’endettement est beaucoup plus élevé parce que votre économie réelle, le tissu de la vie économique, s’est rétréci. Nous en sortirions donc bien plus mal : le gouvernement n’a rien fait pour lutter contre le coronavirus, l’économie a souffert et la situation de départ en 2021 est bien pire, car il faut partir de beaucoup plus loin.

Wim Moesen
Wim Moesen© Dieter Telemans

Un déficit moins important ne signifie pas que nous sommes mieux lotis?

Voilà. Attention, c’est une leçon que nous avons tous apprise récemment. Avec la crise bancaire de 2008-2009, tous les pays ont commencé à emprunter pour renflouer les banques. En conséquence, le taux d’endettement dans l’Union européenne a augmenté d’environ 10 % du PIB. Puis les gens ont commencé à paniquer, principalement sous l’impulsion de l’Allemagne, et partout où l’on prêchait qu’un budget ne devait pas finir dans le rouge, le Schwarze Null était important. Tous les pays de l’UE ont donc mené des politiques d’austérité. Le résultat ? L’économie réelle a connu une croissance de 0,25 % par an, au lieu des 1,5 à 2 % habituels. L’Europe a alors fait une grosse erreur, l’économie européenne a stagné parce que tous les gouvernements ont instauré des mesures d’austérité en même temps.

Et personne n’a prédit que nous allions paralyser l’économie?

Les économistes ne sont pas hors de cause. Il y avait une certaine idéologie derrière tout cela. Le mur de Berlin est tombé en 1989 et cela a conduit à l’euphorie : l’économie planifiée des communistes a été perdue, l’économie de marché libre a triomphé. Les macro-économistes ont presque tous soutenu la théorie Barro-Ricardo, du nom de Robert Barro et David Ricardo. Selon eux, les politiques de relance du gouvernement n’ont eu aucun effet sur le PIB. Car si vous faites cela, ont-ils dit, le déficit budgétaire augmentera et le gouvernement devra emprunter davantage. Mais les citoyens et les entreprises savent que, tôt ou tard, la facture arrivera, donc ils économisent plus et consomment moins. Par conséquent, selon leur théorie, l’économie ne se développera pas.

Cette théorie n’était donc pas la bonne ?

Oui, le premier économiste français du FMI, Olivier Blanchard, a souligné en 2013 qu’il y a une erreur logique dans le raisonnement de Barro-Ricardo. Car si toute l’Europe économise en bloc, l’économie se détériorera et vous passerez à côté d’une croissance normale. La Belgique, qui vit des exportations, en a fait l’expérience, tout comme d’autres pays. L’investissement public est très important, il a un effet multiplicateur. Lorsque le gouvernement investit dans une autoroute ou une salle de sport, beaucoup de gens gagnent de l’argent, de l’architecte au maçon en passant par l’électricien, et ils dépensent leurs revenus chez le boulanger, le boucher, etc. L’effet sur le PIB est donc un multiple de l’impulsion initiale. L’Europe ne commettra pas l’erreur de mener une politique d’austérité drastique en bloc.

Que se passera-t-il l’année prochaine, en 2021, selon vous ?

Espérons que la crise du coronavirus est unique et que l’année prochaine, nous n’aurons pas une autre diminution de 7,5 %. La Banque nationale et le Bureau du Plan sont assez optimistes. Ils pensent que l’économie pourrait augmenter de 8,5 %, ce qui signifierait qu’en un an, nous serions en mesure d’éliminer la rechute de cette année.

Le FMI est un peu plus prudent ?

Notre économie connaîtra une croissance de 5 à 6 % l’année prochaine. C’est donc un peu moins que la Banque nationale et le Bureau du plan, qui supposent que les gens rattraperont bientôt les dépenses qu’ils n’ont pas faites pendant le confinement. Mais pour certaines dépenses, ce n’est pas possible. Si Rock Werchter n’a pas lieu, il n’aura pas lieu et vous ne pourrez pas le rattraper.

Que peut faire la Belgique?

Surveiller de près les dépenses d’un point de vue budgétaire. Si les dépenses supplémentaires et la diminution des recettes sont effectivement ponctuelles, notre déficit tombera à environ 4 % l’année prochaine. Notre dette sera alors de 107 % cette année plus 4 %, soit 111 %. Si notre PIB augmente effectivement de 8,5 %, comme le prévoient la Banque nationale et le Bureau du Plan, nous serons à nouveau à 100 %. Notre taux d’endettement passera alors de 115 à 111 % en 2021.

Comment faut-il diminuer ce taux d’endettement ?

Il est extrêmement important que l’économie progresse plus vite que le taux d’intérêt de la dette publique, car le taux d’endettement diminue alors automatiquement. Laissez-moi vous expliquer : vous souvenez-vous de l’intérêt boule de neige ? Entre 1982 et 1992, notre déficit est passé de 14,5 à 7,5 %, mais la dette a augmenté de 92 à 135 %. C’est la pire chose qui puisse arriver à une politique : vous réduisez le déficit et pourtant le taux d’endettement augmente. Comment cela s’est-il produit ? À cause de la boule de neige des intérêts : nous avons dû emprunter pour pouvoir payer les intérêts du prêt. C’était un fardeau. Mais maintenant, nous pouvons profiter de la boule de neige des intérêts inversés.

L’Union européenne en fait-elle assez ?

Jusqu’à présent, la Commission européenne a été principalement défensive, disant qu’elle évaluerait les plans budgétaires avec modération et permettant aux autorités publiques de soutenir les entreprises en difficulté, ce qui est normalement considéré de la concurrence déloyale et interdit. Il y a deux semaines, la Commission a également présenté des plans offensifs. Elle débloque un total de 540 milliards d’euros pour lutter contre les calamités causées par le coronavirus, par exemple pour financer le chômage temporaire au niveau européen, pour faciliter l’octroi de prêts aux entreprises en difficulté et aussi aux pays en difficulté. Cela semble impressionnant, mais la plupart de ces mesures n’ont pas encore été mises en oeuvre.

L’État belge en fait-il assez ?

Par un coup du sort, le gouvernement Wilmès a pris le contrôle. En l’absence d’un leadership établi, le gouvernement est quelque peu maladroit et hésitant. Cette attitude s’observe souvent chez les décideurs politiques belges. C’est pourquoi les étrangers aiment nous qualifier d’experts en navigation à vue. Aujourd’hui, plus que jamais, nous devons suivre la règle d’or du financement : vous ne pouvez pas emprunter pour les dépenses courantes, par exemple pour payer les salaires des fonctionnaires, mais vous pouvez emprunter pour des investissements, comme les ponts et les routes. J’espère que nous pourrons ramener notre déficit à 4 % l’année prochaine. Et pour les investissements publics, vous pouvez passer dans le rouge, c’est-à-dire à un déficit budgétaire responsable. Il faut qu’il y ait cette prise de conscience. Mais cela reste un défi majeur pour l’Europe et pour nos politiciens.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire