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L’étrange histoire du couple d’espions iraniens arrêtés à Bruxelles

Muriel Lefevre

Nasimeh et Amir vivaient depuis des années une vie discrète et sans histoire jusqu’au jour où ils sont arrêtés avec fracas pour terrorisme. Retour sur une affaire qui a tout d’un roman.

Lorsqu’ils se font coincer par une grosse Mercedes noire des forces spéciales contre des rails de tram à Woluwe-Saint-Lambert, le couple sait que l’attaque terroriste qu’ils avaient planifiée n’aura jamais lieu.

Ce samedi 30 juin, le couple irano-belge se rendait à Villepinte, en banlieue parisienne. Dans leur voiture, il y a un dispositif de mise à feu et un demi-kilo de TATP caché dans une trousse de toilette. Ces dernières années, cet explosif est devenu très populaire parmi les djihadistes, car il est relativement facile à fabriquer avec des articles que l’on trouve dans toute droguerie. On les arrête pour « tentative d’attentat terroriste et de préparation d’une infraction terroriste ». Le procureur ouvre une enquête et un juge d’instruction demande leur incarcération. Leur détention a été confirmée il y a deux semaines par la chambre du conseil mais ils ont tous deux interjeté appel. Nasimeh N. a comparu vendredi devant la chambre des mises. Son avocat Johan Platteau n’a fait aucun commentaire à la sortie. La chambre des mises a décidé du maintien en détention. Le mari Amir S. comparaîtra mardi.

Un couple qui n’a rien, a priori, de terroriste

L’éventuel projet d’attentat dont on les accuse ciblait les moudjahidin du peuple, un mouvement d’opposants iraniens exilés, dans le collimateur de Téhéran depuis des décennies et qui organise tous les ans un grand rassemblement en France. Deux personnalités américaines proches de Donald Trump – l’ancien président de la chambre des représentants Newt Gingrich et Rudy Giuliani, l’un des avocats du président américain et ex-maire de New York– ont pris part à cette réunion et auraient donc pu être également visées.

Un appartement sans vie et une existence sans relief

Le camp de base d’Amir et de Nasimeh était un appartement comme il y en a tant d’autres sur la Boomsesteenweg, à Wilrijk. Selon les voisins, ils vivaient dans une résidence joliment rénovée. On ne trouve personne pour en dire du mal. Monsieur ne disait pas non à une bière de temps en temps, il aimait regarder le football et allait régulièrement boire le thé chez les voisins. Madame était d’apparence soignée, facile d’accès et moderne.

Il y a une quinzaine d’années, Amir est venu dans notre pays pour y demander l’asile en tant que réfugié politique. Il voulait s’éloigner du régime strict de Téhéran. Aux yeux de ses voisins, il était parfaitement intégré. Nasimeh l’a rejoint quelques années plus tard, en 2009. Tous deux ont obtenu la nationalité belge. Personne ne sait par contre vraiment ce qu’ils faisaient comme travail. On pense qu’il travaillait dans le port de Rotterdam et elle dans un supermarché. Le contraste ne pouvait être plus grand entre leur vie un peu morne et le complot auquel ils semblent pourtant mêlés.

L’homme de Vienne

Le dimanche 1er juillet, au lendemain de l’arrestation d’Amir et de Nasimeh, la police allemande a arrêté un iranien dans une voiture louée sur un parking près de Francfort. C’est un diplomate iranien de 47 ans. Assadollah A. est un « troisième conseiller » depuis 2014 à l’ambassade iranienne à Vienne.

Depuis la guerre froide, la capitale autrichienne est un nid d’espions. La fonction d’Assadollah A. au sein de l’ambassade n’est rien de plus qu’une couverture pour ses activités en tant qu’agent secret. C’est d’ailleurs pour ce motif que le tribunal allemand le maintien en captivité. Selon le ministère public allemand, il est membre du service de renseignement iranien, le VEVAK, dont la tâche principale est de surveiller les groupes d’opposition à l’intérieur et à l’extérieur de l’Iran et de les arrêter si nécessaire.

Assadollah A. et le couple iranien de Wilrijk se connaissaient. Et même plus que cela, puisque, selon toute probabilité, il était leur chef. Toujours selon le tribunal allemand, il leur aurait ordonné dès le mois de mars de mener l’attaque contre le rassemblement. Il aurait aussi rencontré le couple quatre jours avant la conférence de Paris dans la ville de Luxembourg et leur aurait à ce moment remis l’explosif.

D’une façon ou d’un autre, le trio a dû être repéré par un service de renseignement étranger. Un service qui selon De Standaard aurait transmis les informations à la Sûreté de l’Etat belge une douzaine de jours avant l’attaque prévue. Celle-ci a ensuite informé le parquet fédéral pour que des mesures puissent être prises.

La France a également été impliquée: les services de sécurité y ont arrêté Mehrdad A., une personne en contact avec le couple. Après l’arrestation d’Assadollah A. l’OMPI fait rapidement ses calculs et se rend compte qu’Amir et Nasimeh n’étaient pas réellement partisans d’un Iran libre, mais étaient en réalité sous le contrôle du service de renseignement iranien. Pendant des années, le couple se serait tenu coît en attendant l’ordre de frapper.

Des révélations qui tombent au plus mauvais moment

Très vite pourtant Téhéran balaye toute implication de ses services dans le projet. « L’Iran condamne sans équivoque toute forme de violence et de terrorisme, où que ce soit, et est prêt à travailler avec toutes les parties concernées », réagit rapidement le ministre des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif. L’affaire surgit effectivement au plus mauvais moment pour Téhéran. La révélation de l’affaire tombe pile au moment où le président iranien Hassan Rohani entame une tournée en Europe pour discuter du sujet, ce que ne manquera pas de relever son ministre des Affaires étrangères. Téhéran est dans une situation particulièrement délicate depuis que Donald Trump a dénoncé l’accord de 2015 sur le programme nucléaire iranien, que plusieurs de ses rivaux régionaux veulent aussi voir échouer comme Israël et l’Arabie saoudite. Or si jamais l’enquête mettait en lumière une véritable implication des autorités iraniennes, il deviendrait très difficile pour les partenaires européens de continuer de défendre l’accord sur le nucléaire.

A Téhéran, on soutient donc mordicus que ce sont les moudjahidin du peuple eux-mêmes qui ont fomenté ce plan pour nuire à l’Iran et faire d’eux des victimes. Ils publient des photos montrant Amir lors de rassemblement du MEK. Pour eux c’est la preuve qu’il est proche de ses supposées cibles. En raison de leur profil public – plutôt des gens du monde que des croyants fidèles – et des photographies sur lesquelles on retrouve Amir, il est en effet très probable qu’ils connaissaient le mouvement dissident, qui vit en grande partie en exil.

Les moudjahidin du peuple, (OMPI ou, en persan, MeK) sont des opposants farouches au régime iranien. Ce groupe crée en 1965 avec pour objectif de renverser le régime du Chah. D’inspiration marxisante et se présentant comme « musulman démocrate et laïque » le mouvement est né d’une scission au sein du Mouvement de libération de l’Iran (MLI, nationaliste) de Mehdi Bazargan. Elle n’est pas exempte de violence. Créée en 1987, la branche armée de l’OMPI, « l’Armée de libération nationale d’Iran », a revendiqué plusieurs opérations en Iran, notamment en 1993 contre des oléoducs et le mausolée de l’imam Khomeiny, près de Téhéran. Des dizaines de meurtres lui ont été imputés. On leur attribue aussi, un attentat à la bombe contre le siège du Parti de la République islamique en juin 198 qui fait 74 morts, dont l’ayatollah Behechti, numéro deux du régime. Ils n’ont cependant jamais revendiqué cet attentat, contrairement à d’autres. Les moudjahidin du peuple ont été retirés en janvier 2009 de la liste des organisations terroristes de l’Union européenne sur laquelle ils figuraient depuis mai 2002. Les Etats-Unis ont fait de même en septembre 2012. Chassés d’Iran depuis le début des années 1980, ils trouvent refuge partout dans le monde. L’OMPI est dirigée à partir de 1989 par Maryam Radjavi. L’organisation a souvent été comparée par leurs détracteurs à une secte dont les époux Radjavi seraient les gourous.

Ces derniers temps le mouvement a plutôt opté pour les hautes sphères et le lobbying. Avec comme résultat un réseau au niveau mondial et même des contacts en Belgique. Le mouvement a le mouvement en poupe et la meilleure preuve en est la présence de plusieurs fidèles de Trump à Paris. Le sentiment anti-iranien croissant des États-Unis renforce le MEK dans la conviction que le changement est à venir.

À Washington D.C. on surveille donc du coin de l’oeil l’affaire du couple Wilrijk. D’autant plus que Mike Pompeo était présent lors du débat visé. Il trouve, pour sa part que le terrorisme d’État au nom de l’Iran est une piste plausible. « Nous prenons l’affaire très au sérieux », a déclaré le porte-parole de Pompeo. « Nous travaillons en étroite collaboration avec les Belges, les Autrichiens et les Allemands. »

L’explication du régime iranien est donc jugée par beaucoup comme complètement absurde. D’autant plus qu’elle ne correspond pas avec les déclarations qu’Amir et Nasimeh ont faites aux enquêteurs d’Anvers. Le couple affirme que Téhéran a fait pression sur eux pour qu’ils commettent l’attaque. Ils auraient menacé leurs familles. Pour cette même raison, Amir aurait aussi transmis des informations au gouvernement iranien ces dernières années. Ils disent aussi qu’ils ignoraient qu’ils transportaient une bombe dans leur voiture lorsqu’ils se rendaient à Paris. Tout au plus, ils avouent du bout des lèvres qu’ils voulaient jouer les trouble-fêtes au meeting pour qu’il n’y ait pas de réunion « Iran libre » l’année suivante. Seulement leurs explications aussi ne convainquent pas dans les cercles judiciaires. « Leurs explications semblent être convenues à l’avance au cas où ils seraient découverts. Il est impossible qu’ils ignorent qu’ils transportaient une bombe.

Tout cela est tellement nimbé de mystère qu’on ne saura probablement jamais la vérité. En attendant, le monde regarde comment les tribunaux belge et allemand se tortillent à la recherche de la vérité dans cet imbroglio diplomatique.

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