Plus de 2 000 jeunes catholiques belges sont allés vivre leur foi à Cracovie, qui a accueilli en juillet dernier les Journées mondiales de la jeunesse. © ARTUR WIDAK/GETTY IMAGES

« L’essor de l’islam sous ses formes radicales est ressenti par les chrétiens comme une piqûre »

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Les signaux ne manquent pas, en Belgique, qui marquent la fin d’une forme de résignation catholique. Un « effet pape François » ? Un rebond après les années noires du scandale de la pédophilie au sein de l’Eglise ? Ou une posture identitaire face à l’essor de l’islamisme ? Immersion en milieu catho.

Après des décennies de  » dépression catholique « , l’heure du sursaut semble avoir sonné. Mais si  » réveil catho  » il y a, de quel type de réveil s’agit-il ? Et de quels cathos ? De ceux qui se reconnaissent à nouveau comme tels parce que fiers d’avoir à la tête de leur Eglise un pape au style simple et spontané ? De ceux qui n’ont plus honte de se dire chrétiens depuis que le scandale de la pédophilie au sein de l’Eglise de Belgique est sorti des radars médiatiques ? Ou de ceux qui, en réaction à l’affirmation de l’islam, adoptent une posture identitaire ?

Pas simple de cerner le phénomène. Car il est multiforme. Et non dépourvu d’ambiguïtés. Consultés par Le Vif/L’Express sur la question d’un éventuel  » réveil catho « , une vingtaine de responsables d’unités pastorales en Belgique francophone nous ont répondu en sens divers. Un abbé insiste sur la diversité du monde catholique :  » Les médias et l’opinion parlent surtout des groupes revendicatifs et des fidèles à la foi démonstrative, car ce sont les plus visibles. Mais il y a aussi les croyants discrets, qui rejettent toute affirmation des convictions religieuses.  » Une coordinatrice pastorale ajoute :  » Il y a des communautés bien vivantes en Belgique, mais aussi des paroisses qui n’ont pas répondu à l’appel de saint Paul à « sortir du sommeil. »  »

« Comme une piqûre »

 » Aujourd’hui, les chrétiens sont moins honteux d’afficher leur foi, assure un responsable d’unité pastorale du doyenné de Bruxelles Nord-Est. Cela tient au fait que, ces dernières années, grâce au pape François, le focus, quand il est question de l’Eglise, n’est plus mis sur la seule morale sexuelle. Ses prises de position sur l’environnement ou l’économie séduisent d’ailleurs bien au-delà du monde chrétien.  » L’un de ses collègues observe une réaffirmation des valeurs chrétiennes d’humanité et d’égalité en réaction aux dérives et dégâts d’un capitalisme financier déshumanisé. Plus concret, un prêtre relève que les aumôniers sont mieux accueillis qu’autrefois lors de leurs interventions en milieu estudiantin. Un autre constate que  » le temps est passé où les mouvements de jeunesse ne cessaient de nous interpeller sur les affaires de pédophilie dans l’Eglise.  » Une animatrice pastorale signale que les baptêmes d’adultes sont en augmentation constante. Et un curé d’origine africaine juge que  » l’essor de l’islam sous ses formes radicales est ressenti par les chrétiens comme une piqûre. Il repose la question de la place du christianisme en Occident et dans la construction européenne.  »

Le fossé se creuse entre catholiques qui adhèrent au discours de solidarité du pape François et ceux qui appellent à la défense de la
Le fossé se creuse entre catholiques qui adhèrent au discours de solidarité du pape François et ceux qui appellent à la défense de la  » civilisation chrétienne « .© ALESSANDRA BENEDETTI /GETTY IMAGES

Un constat partagé par beaucoup : le fossé tend à se creuser entre les catholiques qui adhèrent au discours de paix, de dialogue et de solidarité du pape François, qui est aussi celui des évêques de Belgique, et d’autres cathos, qui, eux, appellent à la défense de la  » civilisation chrétienne « . Les plus sensibles aux sirènes populistes se montrent réfractaires au plaidoyer de François en faveur de l’accueil des migrants. La frange  » catho réac décomplexée « , très active sur le Net s’indigne de la volonté du pape de faire évoluer le regard de l’Eglise sur la famille.

Retour au religieux

 » En schématisant, on peut distinguer trois époques, nous confie l’un de nos interlocuteurs, prêtre dans un diocèse wallon. Il y a un demi-siècle, la plupart des catholiques pratiquaient leur religion par conformisme ou tradition familiale. Ils avaient pour habitude de se rendre à la messe le dimanche. Puis, la pratique religieuse a chuté et est surtout devenue le fait de convaincus. Aujourd’hui, la peur d’un monde devenu incertain et menaçant favorise un retour au religieux.  »

 » Ce retour au religieux fait bouger les lignes, convient le très médiatique vicaire épiscopal liégeois Eric de Beukelaer, ancien porte-parole des évêques. On a sans doute trop rapidement conclu que la sécularisation de la société signifiait la fin de la prégnance de la religion. Or, c’est l’inverse qui est en train de se produire, avec des risques considérables pour le vivre-ensemble. Car nous assistons à la résurgence d’une religiosité purement formelle, vidée de toute forme de spiritualité individuelle, et qui impose une vision du divin écrasante. Je pense surtout à l’islamisme de Daech, mais aussi, dans les mondes chrétien ou juif, voire hindou ou bouddhiste, aux formes de religiosité exprimant une identité défensive, voire meurtrière.  »

En France, un autre blogueur, lui aussi défenseur des valeurs de l’Eglise et de celles de la démocratie, tire la sonnette d’alarme : l’avocat Erwan Le Morhedec, plus connu sous son pseudonyme  » Koz « . Très suivi au sein de la cathosphère, il s’en prend aux réseaux cathos souvent liés à l’extrême droite qui oeuvrent à renforcer et exploiter l’angoisse des chrétiens face aux attentats islamistes, à l’afflux de migrants et à la perte d’influence de l’Eglise. Une manipulation qui, selon lui, fracture le corps social et subvertit le christianisme.  » Ceux qui me lisent savent mon attachement à ma foi, à mon pays, à sa culture, à ses paysages, à ses clochers. Mais le christianisme n’a rien à voir avec le racisme. Il faut dépasser le réflexe simpliste de défense identitaire pour chercher le sens et l’apport de la présence catholique dans la société.  »

Quand les cathos se mobilisent

Le cardinal De Kesel, appelle les catholiques à être plus sûrs d'eux.
Le cardinal De Kesel, appelle les catholiques à être plus sûrs d’eux.© DIETER TELEMANS/ID PHOTO AGENCY

Le retour au religieux n’est toutefois pas qu’identitaire. L’un des signaux qui, en Belgique francophone, ont marqué la fin d’une forme de résignation catholique est la mobilisation de mars-avril 2016 en vue d’empêcher le retrait de KTO de l’offre du distributeur Proximus. Plus de 25 500 personnes ont signé la pétition réclamant le maintien de la diffusion de la chaîne télé catholique en Belgique. L’initiative de l’opération  » Touche pas à KTO TV  » revient à Jacques Galloy, un fervent catholique, ancien directeur financier du groupe liégeois EVS. Elle a eu le soutien de grosses pointures de la finance et du business. Parmi elles : l’économiste Etienne de Callataÿ, le manager Michel Delloye, l’ancien patron de Delhaize Gui de Vaucleroy… Autre signataire : l’écrivain Eric-Emmanuel Schmitt, ex-athée irradié par la foi dans le désert du Sahara il y a une trentaine d’années (et mis à l’honneur ces jours-ci par la Foire du livre de Bruxelles, en tant que  » président d’honneur « ). On nous assure aussi que le catholique pratiquant Jacques van Ypersele de Strihou, ancien chef de cabinet de Baudouin et Albert II, a fait jouer son carnet d’adresses. Résultat de ce lobbying catho : un revirement du diffuseur.

 » Cette décision témoigne de ce que la mobilisation de la communauté catholique peut faire bouger les choses, sans avoir honte de son identité « , a commenté, à l’époque, Cathobel, le site de l’Eglise catholique.  » Face à notre monde qui change et se sécularise, j’ai souvent entendu des croyants se lamenter, se déchirer, se critiquer, se renfermer et, enfin, se résigner, note de Beukelaer. En clair, avoir un comportement déprimé et déprimant de loser. Voici un signal fort qui nous rappelle que le catholicisme reste bien vivant en Belgique. Que, sans tomber dans le communautarisme, une identité catholique paisible et rayonnante y a toute sa place.  »

Une identité religieuse revendiquée

Pour objectiver ce  » réveil catho  » à Bruxelles et en Wallonie, il y a notamment le sondage présenté fin janvier 2016 dans le cadre du colloque  » La religion dans la cité  » : 63 % des Belges francophones revendiquent une identité religieuse catholique, et 20 % des Belges francophones se déclarent catholiques pratiquants. Ces chiffres ont surpris, car ils sont nettement supérieurs à ceux d’enquêtes d’opinion menées précédemment. En 2008, seuls 43 % des Belges francophones se disaient catholiques, selon le Baromètre du religieux. Les chiffres de 2016 indiquent aussi que 3 francophones sur 4 revendiquent une identité religieuse. Par ailleurs, le baromètre Bien être et confiance présenté le 16 février par la mutualité Solidaris fait passer le taux de confiance accordé aux religieux de 17,8 % en 2015 à 22,7 % en 2016.

Certes, ces indicateurs doivent être interprétés avec prudence. Il ne faut pas confondre appartenance culturelle au monde catholique et adhésion croyante à la foi. Les rangs de ceux qui assistent à la messe dominicale ne se sont assurément pas étoffés ou rajeunis, sauf cas isolés. La religion catholique pratiquée est devenue une contre-culture. La plupart des croyants belges n’adhèrent pas aux dogmes, qu’ils ne connaissent plus. Les valeurs traditionnelles de l’Eglise qui concernent la famille, le mariage, la question du genre… sont attaquées, alors qu’elles dépassaient autrefois l’appartenance religieuse. Le nombre de prêtres ne cesse de diminuer en Belgique (moins de 3 000 aujourd’hui, pour quelque 10 500 en 1960). Beaucoup ont dépassé l’âge de la retraite et doivent assumer la charge de plusieurs paroisses à la fois.

Clochers fermés, première communion retardée

La situation est tellement critique dans certains diocèses wallons que plusieurs églises et lieux de culte ont dû fermer leurs portes. L’évêque de Bruxelles, Mgr Kockerols, prévoit, lui, de désacraliser des clochers désertés pour les reconvertir en logements, en écoles… et d’en dédier d’autres à des cultes chrétiens étrangers. Le vicariat de Bruxelles procède aussi à une refonte totale de la catéchèse. La première communion ne serait plus adaptée aux enfants de 7 – 8 ans, qui manquent de formation religieuse. Et elle ne doit plus être une  » fête d’un jour « . Une seule célébration serait donc prévue vers l’âge de 11-12 ans, incluant le baptême pour ceux qui ne sont pas baptisés, la profession de foi en groupe, la confirmation, et la première communion.

L'Eglise retarde l'âge de la première communion pour donner plus de temps à la préparation des enfants.
L’Eglise retarde l’âge de la première communion pour donner plus de temps à la préparation des enfants.© WIP-STUDIO LUBLIN/FOTOLIA

Mais ce projet passe mal dans les paroisses les plus dynamiques de la capitale, où les enfants inscrits à la catéchèse de  » petite communion  » sont toujours plus nombreux. On y déplore les  » tâtonnements  » du vicariat. Plus ulcérés encore sont les milieux cathos conservateurs, que le chanoine de Beuckelaer qualifie de  » nostalgiques d’une « Eglise des masses » plus soucieuse de rites que de réflexion.  » Ils accusent l’Eglise de  » brader son patrimoine religieux  » et de  » supprimer des sacrements « .  » De quoi laisser le champ libre aux autres cultes qui, aux dernières nouvelles, n’envisagent pas de retarder l’âge de la circoncision « , dénonce La Dernière Heure du 3 février dans un édito enflammé titré  » Le suicide de l’Eglise catholique « .

Fin de la crise de confiance

Les tendances lourdes en matière de pratique religieuse ne se sont donc pas inversées. Reste que, selon les sondages, les Belges francophones sont plus nombreux qu’autrefois à se définir comme catholiques. Principale explication donnée par nos sources au sein du clergé : l’éloignement de la tempête provoquée par le scandale de la pédophilie au sein de l’Eglise de Belgique. L’affaire Vangheluwe, du nom de l’ancien évêque de Bruges, convaincu d’abus sexuel sur mineur et contraint à la démission le 23 avril 2010, avait plongé la communauté catholique belge dans une profonde crise de confiance. Dans la foulée, l’Eglise a été submergée par un déluge de témoignages sur d’autres faits de pédophilie. Après une période d’hésitation, les évêques belges ont engagé l’Eglise dans un processus d’indemnisation des victimes.

Signe que le séisme a perdu de son intensité : le nombre de débaptisations, qui a connu un pic en 2010, est en chute constante depuis sept ans. Dans les années 2010-2015, le souhait de certains Belges de se faire  » débaptiser  » ou de prendre leurs distances avec l’Eglise était aussi lié aux prises de position du prélat qui était à l’époque à la tête de l’institution. On se souvient des maladresses et provocations de Mgr Léonard, de ses sorties sur l’homosexualité, le préservatif, l’avortement, le sida… Son remplacement, en novembre 2015, par Jozef De Kesel marque une rupture. Après le raidissement des années Léonard, chantre de la tradition la plus stricte, le nouvel archevêque s’inscrit dans la ligne  » centriste  » tracée naguère par le cardinal Danneels. Il prône une Eglise  » engagée pour une société plus humaine, pour les plus pauvres et les plus démunis « . A la tribune des Grandes conférences catholiques, le 16 novembre dernier, il a invité l’Eglise à  » ne pas s’accrocher à sa position dominante d’autrefois « . Selon le cardinal De Kesel, elle doit  » rester humble dans une société sécularisée « .

En revanche, Mgr De Kesel appelle les catholiques à être  » plus sûrs d’eux « . Dans un entretien accordé en mai 2016 à nos confrères de Knack, il s’est dit impressionné par  » le courage qu’ont les musulmans d’exprimer leur foi « . Alors que se tissent des alliances entre conservateurs issus de confessions diverses autour de sujets éthiques tels que le mariage gay, l’avortement, l’euthanasie, les questions de genre, l’abattage rituel ou le port du voile, il reproche aux chrétiens de  » pratiquer leur religion avec une certaine réserve « . Des propos critiqués par des croyants, catholiques ou protestants, pour qui l’affirmation des convictions religieuses n’est pas un progrès, mais une régression. On l’aura compris, le débat identitaire compte bel et bien, chez les catholiques, parmi les incontournables de ces temps troublés !

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