Les objectifs éoliens fixés par l'Europe à l'horizon 2030 semblent intenables en Wallonie. © DOMINIC VERHULST/ID PHOTO AGENCY

L’éolien wallon, c’est peine perdue?

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Après une année 2016 morose pour l’éolien, la Wallonie court après ses engagements en matière d’énergie renouvelable : il faut encore 150 nouvelles éoliennes pour 2020 et 430 unités d’ici à 2030.

Dix-neuf nouveaux mâts, pour une puissance installée d’à peine 42 mégawatts (MW). Tel est le maigre bilan de l’éolien wallon en 2016. Le parc du sud du pays compte désormais 330 unités (750 MW). C’est loin d’être suffisant au regard du chemin qu’il reste à parcourir pour atteindre les objectifs fixés par l’Europe. Pour 2020, la Wallonie devra couvrir 13 % de sa consommation finale brute d’énergie via des sources renouvelables – elle était à 10,8 % en 2014, selon les derniers chiffres disponibles. Elle ambitionne un ratio de 20 % à l’horizon 2030. Si la Commission européenne ne prévoit pas de sanctions en cas d’objectifs non atteints, elle peut lancer une procédure d’infraction à l’encontre des Etats qui n’auraient pas transposé adéquatement sa directive sur les énergies renouvelables. Dans un tel cas de figure, l’Etat fédéral belge demanderait certainement des comptes aux Régions qui n’ont pas rempli leur part du contrat.

Or, pour respecter ses engagements, la Wallonie a principalement misé sur le grand éolien. La filière devra produire 2 437 gigawattheures (GWh) en 2020 et 4 134 GWh en 2030. Soit l’équivalent de 150 et 430 éoliennes de 3 MW. C’est bien plus que la contribution des autres sources renouvelables (biomasse, photovoltaïque, hydraulique, biogaz…).  » Au vu des statistiques, il semble de plus en plus difficile pour la Wallonie d’atteindre les objectifs éoliens qu’elle s’est fixés « , s’inquiétait l’Association pour la promotion des énergies renouvelables (Apere) en janvier dernier. Pour y parvenir, il faudrait maintenir un rythme que le sud du pays n’a dépassé qu’en 2010 : au minimum 114 MW – près de 40 éoliennes – pendant quatre années consécutives (voir le graphique plus bas). Au minimum, car le rendement réel d’un parc terrestre, dont la moyenne est estimée à 23,5 %, varie en fonction du vent.

Comme en 2015, le ministre wallon de l’Aménagement du territoire Carlo Di Antonio (CDH) réitère son optimisme, au regard des 64 mâts répertoriés  » en construction  » (151 MW) et des 36 unités  » définitivement autorisées  » (99,5 MW), dont les permis sont libres de tout recours.  » Nous sommes sur la trajectoire pour atteindre l’objectif 2020 « , affirme-t-il, tout en soulignant les avancées du Code de développement territorial (CoDT), dont l’entrée en vigueur est prévue pour le 1er juin prochain.  » Le CoDT permettra la valorisation de parties du territoire très peu investies par des projets éoliens, à savoir les zones d’activité économique et leur bordure, ainsi que la zone forestière à proximité des principales infrastructures de communication « , poursuit le ministre. Un potentiel limité : la majeure partie des zones susceptibles d’accueillir un parc éolien n’est pas située aux abords des autoroutes.

Une reprise conjoncturelle

L'éolien wallon, c'est peine perdue?
© LV

Voilà pour la vision à court terme du gouvernement wallon. Car même en intégrant les 100 éoliennes annoncées dans le productible, il faudra encore en installer une septantaine d’ici à 2020 et 280 après cette échéance, jusqu’en 2030. Réaliste ? A en juger par le nombre de recours qui freinent toujours les projets de parcs (129 éoliennes étaient dans ce cas fin 2016), c’est peu probable.  » La reprise annoncée pour 2017 et 2018 est conjoncturelle, souligne Fawaz Al Bitar, expert éolien à la Fédération des énergies renouvelables (Edora). Elle est principalement liée aux dernières décisions rendues par le Conseil d’Etat dans le cadre de recours introduits sous la précédente législature. En outre, une partie des projets définitivement autorisés ne verront peut-être pas le jour s’ils ne passent plus la rampe de la rentabilité.  »

Un autre arrêt du Conseil d’Etat, attendu pour mars ou avril, fait planer une réelle menace sur l’éolien wallon. En octobre dernier, la Cour de justice de l’Union européenne a invalidé les conditions sectorielles relatives à l’implantation d’éoliennes, adoptées dans un arrêté wallon en 2014. Celui-ci assouplit notamment les normes de bruit à 43 décibels durant la nuit en zone d’habitat, hors période estivale. Simple erreur de procédure : la Wallonie aurait dû organiser une enquête publique sur le sujet, ce qui n’a pas été fait. Si le Conseil d’Etat s’aligne sur la décision de la Cour, les parcs éoliens pourraient perdre entre 5 et 10 % de productible, selon Edora.  » Pour avancer, les promoteurs ont besoin de sécurité juridique. C’est tout le contraire à l’heure actuelle « , pointe Jean-François Mitsch, administrateur délégué de la coopérative Enercoop, axée entre autres sur l’éolien citoyen.

Pour accélérer la cadence, le gouvernement wallon n’a que deux issues. Soit il cadenasse au maximum les possibilités de recours, au risque d’attiser des critiques déjà vives quant au respect de la démocratie, soit il met en place des procédures pour rencontrer une adhésion plus large des riverains et des pouvoirs locaux impactés par les futures éoliennes.  » Ce facteur reste trop souvent sous-estimé « , regrette Philippe Delaisse, secrétaire général de l’asbl Energie Facteur 4 et cofondateur de la Plateforme européenne de l’économie circulaire.  » Dans les faits, peu de projets éoliens voient le jour dans une logique coopérative.  »

L’énergie éolienne, un bien public ?

Pour Jean-François Mitsch, il faut impérativement considérer l’énergie éolienne comme un bien public, en ouvrant la répartition des bénéfices d’un projet à toutes les parties impactées par celui-ci, que ce soient les citoyens ou la commune :  » Pour le moment, on prélève une taxe de 10 000 euros sur une éolienne qui engendre 500 000 euros de bénéfices par an. C’est ridicule et scandaleux.  » Il plaide pour une participation publique majoritaire dans les futurs projets de parcs, par exemple via des coopératives citoyennes ou des intercommunales, ouvrant dès lors la voie à de possibles expropriations pour cause d’utilité publique, comme c’est déjà le cas pour les lignes à haute tension. Un scénario que conteste logiquement Edora, en tant que représentante des acteurs privés du secteur.  » C’est au ministre de décider quel sera le degré d’ouverture imposé aux promoteurs, signale Fawaz Al Bitar. Mais la rentabilité financière d’une éolienne n’est plus ce qu’elle était il y a quelques années.  » En 2013, Edora s’était déjà opposée à une participation communale ou citoyenne plafonnée à 49,98 % dans les projets éoliens.

Lors des prochaines élections régionales, un an avant l’échéance fatidique de 2020, le gouvernement wallon reviendra sur le chemin parcouru avec le même optimisme. En omettant de préciser que l’effort à fournir jusqu’en 2030 s’annonce nettement plus intense. Voire intenable, en l’absence d’une vision intégrée de la politique énergétique.

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