Nicolas De Decker

L’élu, une certaine idée de la morale

Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Une morale du renouveau baigne les discours politiques d’aujourd’hui. Elle doit réconcilier des élites réputées déconnectées et un peuple censément déchaîné.

Il est nécessaire, dit-elle, qu’au grand désarroi qui afflige nos démocraties représentatives puisse s’opposer une parole politique à la probité puissante, que les actes, en sursaut, se conforment enfin aux paroles. Que de la fange des petits arrangements émerge une grandeur exemplaire, que cette grandeur lave la souillure dégobillée des réseaux sociaux, que cette grandeur retrouvée s’appuie sur un socle, la crédibilité, et qu’ils fassent ce qu’ils disent et pas ce qu’ils ne disent pas qu’ils font.

Eh ben, cette affaire de crédibilité et de morale, c’est très bien parti.

Parce que la maxime du commun, si universelle que les philosophes l’appellent  » règle d’or « , proclame de ne pas faire à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’il te fasse. Mais c’est une loi éternelle du débat politique que de contester la moralité d’un milieu pour ne jamais contester sa morale à soi : être soi-même suffisant à toutes les dérogations, chacun peut autoriser à soi-même ce qu’il n’autoriserait pas à autrui, parce que moi, vous comprenez, c’est pas le même.

 » C’est pas le même, parce que c’est moi et que la gauche a besoin de moi « , dit cette étoile de la social-démocratie européenne lorsqu’elle annonce se présenter à l’Europe à une place éligible pour ne pas siéger, et que de vilains populistes trouvent qu’alors, il aurait pu se présenter à une place inéligible.

 » C’est pas le même, parce que c’est moi et que Bruxelles a besoin de moi « , dit cette pietà de l’écologie politique bruxelloise lorsqu’elle annonce qu’elle se présente à la Chambre pour ne pas siéger sauf si elle n’est pas ministre-présidente bruxelloise, et que de veules démagogues suggèrent qu’alors, elle aurait pu se présenter sur la liste bruxelloise.

 » C’est pas le même, parce que c’est moi et que les droits de l’homme ont besoin de moi « , dit cette vestale du libéralisme lorsqu’elle annonce qu’elle se présente à la Chambre pour ne pas siéger sauf si elle n’est pas en charge des droits de l’homme sur le continent qui les a vus naître, et que de méchants poujadistes signalent qu’alors, il aurait pu laisser sa place à la Chambre à quelqu’un qui la voulait vraiment.

 » C’est pas le même, parce que c’est moi et que la Flandre a besoin de moi « , dit cet imperator du nationalisme ménapien lorsqu’il annonce qu’il ne siégera pas là où il a promis de siéger pendant six ans sauf s’il ne peut pas diriger la Région dont il rêve de faire un pays, et que de dangereux agitateurs relèvent qu’alors il aurait peut-être pu éviter de faire croire aux Anversois qu’il serait leur bourgmestre pour six ans.

Au fond, on ne sait pas qui a besoin d’eux. Mais on sait qu’ils ont besoin d’un peu de décence commune. Celle de saint Augustin, un de ces Berbères dont même à l’hôtel de ville d’Anvers personne n’osera contester la crédibilité. La morale du Berbère, celle de tout le monde, est une éthique de la réciprocité, qui veut qu’on applique à soi ce que l’on demande à autrui. Entre eux, entre élus, ils se tiennent à cette règle d’or. Ils s’appliquent cette mauvaise foi qu’ils appliquent à autrui. Mais ces élus se moquent des électeurs comme ils n’aiment pas que les électeurs se moquent des élus.

Journaliste au Vif/L’Express.

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