Incendie d'un centre pour réfugiés à Bilzen, char antisémite au carnaval d'Alost et cris racistes dans les tribunes du club de football de Malines. © CHRISTOPHE LICOPPE/PHOTO NEWS - DR - YORICK JANSENS/BELGAIMAGE

« L’électorat du PS ressemble assez bien à l’électorat du Vlaams Belang, notamment sur les questions migratoires »

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Un futur centre pour demandeurs d’asile incendié voici dix jours à Bilzen. En Flandre, comme par hasard ? Mark Elchardus, sociologue (VUB), nuance : la peur du réfugié musulman vit aussi dans l’électorat wallon.

Incendier volontairement un futur centre pour demandeurs d’asile : un geste lourd de sens…

C’est évidemment choquant. Une limite a été franchie mais on pouvait s’attendre à ce qu’elle le soit, d’une manière ou d’une autre. Ce genre d’actes se produit assez fréquemment ailleurs en Europe, notamment en Allemagne.

Qu’un tel acte soit posé en Flandre n’est pas le fruit du hasard, auront dit beaucoup de francophones…

Je voudrais nuancer ce genre de réflexion. Les enquêtes montrent que l’électorat du PS ressemble assez bien à l’électorat du Vlaams Belang, notamment sur les questions liées à la migration. On observe que les électorats des parties francophone et flamande du pays ne divergent guère d’opinion quand il s’agit d’exprimer une peur du réfugié parce qu’il est musulman ou de donner raison au Premier ministre hongrois Viktor Orban quand il décide d’ériger un mur antimigrants. Ce qui m’amène à penser que l’incendie d’un centre pour réfugiés aurait fort bien pu se produire en Belgique ailleurs qu’en Flandre.

Après les chants racistes au festival musical Pukkelpop près d’Hasselt à l’été 2018, les insultes racistes dans les stades de foot flamands, le mémorial aux déportés juifs une fois de plus vandalisé à Gand voici deux semaines : la Flandre est-elle en train de récolter ce que la droite nationaliste extrême y sème lentement mais sûrement ?

La Flandre suit une tendance européenne qui se manifeste du Danemark à la France, du Royaume-Uni à l’Allemagne et à l’Europe de l’Est. Sur la carte de l’Europe, c’est la Wallonie qui fait figure d’exception et d’exception miraculeuse, je dirais. Alors que la Flandre a connu, entre 1987 et 1991, un transfert massif de l’électorat populaire socialiste vers le Vlaams Blok, la Wallonie a été épargnée par ce déplacement vers l’extrême droite, d’ailleurs observable dans toute l’Europe. Ainsi en France, où l’électorat du Parti communiste est parti vers le Front national.

Ne faut-il pas voir aussi l’effet d’un certain discours politique tenu en Flandre sur la migration ? Un Theo Francken (N-VA), habitué aux propos douteux voire incendiaires dans ce registre, ne joue-t-il pas avec le feu ?

Sans vouloir l’exclure, ce raisonnement me paraît assez court. Theo Francken, qui tient sur l’asile une ligne plus dure dans son discours que dans sa politique, a été le seul à avoir réussi à endiguer le succès du Vlaams Belang aux dernières élections, face à un candidat comme Dries Van Langenhove (NDLR : fondateur du mouvement de jeunesse nationaliste Schild & Vrienden, élu Vlaams Belang). La stratégie de Francken, qui consiste à tenir l’électeur flamand éloigné de l’extrême droite, réussit donc partiellement. En revanche, la diffusion en septembre 2018 sur la VRT du reportage sur Schild & Vrienden a attiré les jeunes et favorisé un recrutement, sans que Francken ne s’en soit mêlé. D’autres forces jouent donc dans le succès du Vlaams Belang qui a tout de même dépensé un million d’euros pour sa propagande électorale sur les réseaux sociaux.

L’électorat du PS ressemble assez bien à l’électorat du Vlaams Belang, notamment sur les questions liées à la migration.

Ces incidents répétés suffisent-ils à qualifier une certaine Flandre de penchants ouvertement racistes ?

L’incendie commis à Bilzen a suscité des réactions partagées mais il est manifeste que des gens de la localité n’ont pas été mécontents, sans parler des commentaires édifiants sur les réseaux sociaux. Est-ce pour autant la question du racisme qui est en jeu ? Les enquêtes qui tentent d’en mesurer l’ampleur démontrent que le racisme n’a jamais dépassé les 10 % de la population en Flandre. En revanche, le soutien général au droit d’asile est en train de s’effriter et ce scepticisme croissant est lié au fait que la politique en cette matière pèche par manque de clarté et de bonne communication. Le système du droit d’asile est clairement surchargé, il stimule la migration irrégulière et s’apparente trop souvent à une loterie. Il affiche aussi des différences de traitement assez inexplicables entre des pays européens très restrictifs et d’autres qui le sont nettement moins. En Belgique, un demandeur d’asile a cinq fois plus de chance que la décision de lui refuser l’asile soit cassée en appel s’il passe devant un juge francophone plutôt que devant un magistrat néerlandophone. Les gens sont désorientés par une politique qui leur est incompréhensible mais ils sont conscients que le système ne fonctionne pas correctement. Et les réticences à accueillir un centre d’accueil pour demandeurs d’asile deviennent ainsi de plus en plus fortes.

Mark Elchardus, professeur de sociologie à la VUB.
Mark Elchardus, professeur de sociologie à la VUB.© FRANKY VERDICKT/ID PHOTO AGENCY

Quelles actions concevoir pour éviter la répétition de l’incendie de Bilzen ?

Il ne suffit pas de traiter le Vlaams Belang de fasciste ou de faire référence à l’incendie du Reichstag par les nazis en 1933 pour condamner l’incendie commis à Bilzen. Au lieu de tourner au règlement de comptes politique stérile, cette affaire devrait être mise à profit par le pouvoir politique pour expliquer enfin correctement ce qu’est le droit d’asile, les difficultés à l’appliquer, les efforts qu’il faut accomplir ensemble pour le sauver, les raisons pour lesquelles il faut le sauver et la manière intelligente de le sauver. Sachant que sauver le droit d’asile passera par une politique migratoire plus sévère, plus sérieuse, contrôlée mais respectueuse de ce droit.

Ce genre de discours complexe peut-il être audible face au simplisme ambiant ?

Je le crois. Il sera plus facile de demander aux gens d’un quartier un effort d’accueil de réfugiés si les autorités sont en mesure de leur démontrer qu’elles mènent une politique migratoire consistante et qu’elles fournissent elles-mêmes l’effort attendu. Ce qui n’est malheureusement pas le cas.

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