© Reuters

L’effarante débâcle des chiffres de la pauvreté

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Chiffres incohérents, données incomplètes, échantillon douteux… La direction générale des statistiques peine à expliquer les failles de la dernière enquête sur la pauvreté en Belgique. Inquiétant, surtout en période préélectorale.

L’aveu de faiblesse est impressionnant. Depuis quelques mois, la Direction générale Statistique et Information économique (DGSIE) remet en cause la fiabilité des indicateurs de pauvreté et d’exclusion sociale qu’elle est chargée de récolter. Les résultats de l’enquête européenne EU-SILC 2012 (Statistics on Incomes and Living Conditions) aboutissent sur une impasse pour les régions de Belgique.

Les premières interrogations remontent à octobre dernier. En temps normal, la DGSIE prépare les résultats les plus récents pour la Journée mondiale de lutte contre la pauvreté, le 17 octobre. Pas cette fois-ci. Un mois passe, puis un deuxième. Le mutisme est complet. Les chiffres de l’enquête EU-SILC 2012 font finalement leur apparition le 5 décembre 2013 sur le site d’Eurostat. Il en ressort que 21,6 % de la population belge sondée – un panel de 6 000 ménages – sont confrontés à un risque de pauvreté ou d’exclusion sociale. La tendance paraît plausible, même si les chiffres sont communiqués à titre provisoire.

En revanche, pour la première fois, les résultats spécifiques à la Wallonie, à Bruxelles et à la Flandre sont absents du tableau. « De telles données sont pourtant fondamentales pour construire une réponse politique appropriée », souligne le député Stéphane Hazée (Ecolo). Les colonnes vides masquent en fait le climat de doute dans lequel est plongée la direction des statistiques. Ses calculs aboutissent notamment sur une nette diminution de la pauvreté monétaire en Wallonie. Suspect et irrationnel, d’après les experts. Durant des semaines, l’équipe tente de percer le mystère. « Finalement, une seule conclusion s’imposait : le problème provient de l’échantillon », confie Stephan Moens, responsable de la communication à la DGSIE.

Les régions privées de chiffres durant quatre ans ?

Initialement, l’enquête EU-SILC était en effet conçue pour prendre le pouls de la population à l’échelle nationale. Des statistiques régionales ont ensuite vu le jour à la demande de l’Europe et du monde politique. Or, le panel utilisé est peu représentatif de ces sous-populations. Cette fois, vu la gravité du problème, la direction générale des statistiques a tout simplement choisi de ne pas diffuser les chiffres régionaux. Pour Philippe Defeyt, directeur de l’Institut pour un développement durable, cette précaution est salutaire. « Il fallait à tout prix éviter que le monde politique utilise des chiffres incohérents à des fins électoralistes. »

D’autant que le problème est bien plus large. Faute d’un accès aisé aux banques de données officielles, le volet belge de l’enquête EU-SILC repose exclusivement sur des entretiens en face-à-face. Une méthodologie peu fiable sur le plan monétaire. « Quand on sait que la banque carrefour de la sécurité sociale dispose de chiffres à l’euro près, c’est un comble ! » poursuit Philippe Defeyt.

Sans moyens humains supplémentaires, la DGSIE ne sera pas en mesure d’entamer rapidement la révolution qui s’impose. « A politique inchangée, il faudra peut-être compter trois ou quatre ans avant de proposer un nouveau modèle statistique », avertit Stephan Moens.

L’absence pure et simple de données régionales envoie un signal d’alarme très clair au monde politique. Tout slogan électoral invoquant une hausse ou une diminution de la pauvreté sera erroné.

Christophe Leroy

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire