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L’éditeur de la carte polémique s’explique

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

François De Coninck, responsable des éditions klet & co, s’étonne que le buzz autour de « L’Europe vue d’en bas » de l’artiste Sébastien Laurent oublie que cette oeuvre bien réelle est vendue depuis trois ans. Il défend l’esprit de la carte, tout en comprenant l’indignation suscitée par une utilisation mal encadrée.

Responsable des éditions klet & co et artiste inspiré des surréalistes belges, François De Coninck a été quelque peu bousculé par le buzz créé autour de la carte de l’Europe des clichés diffusée sur le site Enseignons.be. Cette carte, c’est en effet lui qui l’a éditée en premier il y a un peu plus de trois ans, en sachant qu’elle serait susceptible de faire débat. « J’ai lu attentivement tous les commentaires sur la page Facebook d’Enseignons.be et le moins qu’on puisse dire, c’est que cette « Europe vue d’en bas » fait débat et que c’est là son mérite – elle ne laisse personne indifférent, réagit-il. Sans doute n’est-elle pas postée à la bonne place sur la page précitée, hors contexte et sans un mot d’explication- je peux dès lors comprendre certaines réactions en ce sens. » Les responsables du site, plaide-t-il, auraient dû ne fut-ce que mentionner le titre explicite de l’oeuvre de l’artiste Sébastien Laurent : « L’Europe vue d’en bas (clichés européens) ». François De Coninck a d’ailleurs adressé un courrier électronique au site Enseignons.be pour leur demander de remettre l’oeuvre en contexte.

L’éditeur est interpellé de voir que le buzz virtuel autour de la carte oublie que cette création existe bel et bien dans la réalité, éditée sous forme de poster voire même de… carte scolaire ancien style. « J’en ai vendu environ 500 depuis que je l’ai découverte », dit-il. « Avec cette carte, Sébastien Laurent fut d’ailleurs l’un des finalistes du Prix du Centre de la gravure et de l’image imprimée à La Louvière, en 2011 – c’est là que je l’ai d’ailleurs découverte. En 2013, il a obtenu pour ce même travail le Prix des Arts plastiques de la Province du Hainaut. Elle est disponible dans le commerce depuis janvier 2012 : j’en suis l’éditeur et je l’assume parfaitement. » Des artistes et humoristes de renom font partie de ceux qui l’ont achetée. François De Coninck, qui a multiplié les provocations artistiques avec Laurent d’Ursel, comme l’action plaidant pour un rattachement de la Belgique au Congo en plein blocage institutionnel il y a huit ans, sait qu’elle a un caractère polémique fort et qu’elle doit être prise pour ce qu’elle est, au second degré. « Je me suis engueulé avec une amie artiste parce qu’elle considérait qu’il s’agit d’un humour grossier de droite, dit-il. Et j’ai dû la retirer de la libraire Tropismes parce qu’elle avait scandalisé un client. »

Mais il en défend néanmoins l’esprit : « A mon sens, sa qualité est de confronter la discipline qui prétend à la plus grande objectivation du monde (à savoir la cartographie) à la pire subjectivation possible dont nous sommes capables à l’endroit de nos semblables (celle des clichés les plus féroces que nous avons les uns sur les autres en Europe). C’est la force de cette carte que de réunir ainsi les pensées et les représentations les plus caustiques, méchantes, idiotes, sarcastiques, inavouables ou inavouées – et si l’ensemble est efficace, cela tient précisément à leur rassemblement en vrac et à leur localisation subjective sur cet objet « carte » qui, par excellence, est censé proposer la représentation la plus neutre et la plus objective qui soit de notre monde. Qui d’entre nous ne s’est pas reconnu dans l’une ou l’autre des identifications à la louche qui inondent cette carte de l’Europe revisitée sans ménagement par l’artiste, à l’aune de nos représentations les plus misérables et les plus refoulées ? Tout le monde y prend pour son grade. »

Et il ajoute : « Le second, sinon le troisième degré, peut pourtant déclencher bien des réflexions sur notre propre bêtise ; je ne doute pas, notamment pour l’avoir confrontée à des adolescents et avoir pu en parler avec eux, que cette carte fasse mouche, précisément là où ça fait mal – à l’endroit de notre inconscient, sous le vernis satiné de nos bons sentiments. Les belles âmes peuvent bien draper leur indignation dans la dentelle de la morale et de ses innombrables ritournelles contemporaines : elles sont sans doute les premières concernées par ce miroir déformant de notre marais intérieur. »
Conclusion philosophique, à l’image de l’éditeur : « Dieu se rit des créatures qui déplorent les effets dont elles chérissent les causes », écrivait Bossuet. »

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