L'or bleu bientôt taxé? © getty

L’eau de pluie bientôt taxée en Wallonie?

Caroline Lallemand
Caroline Lallemand Journaliste

Le ministre wallon de l’Environnement, Carlo Di Antonio, a commandé une étude globale sur la tarification de l’eau. Il désire trouver une manière de faire contribuer les utilisateurs de citernes de récupération d’eaux de pluie au système.

Le ministre wallon de l’Environnement, Carlo Di Antonio (CdH), se lance dans l’étude des prix de l’eau en Région wallonne. Il a pour ce faire commandé une étude sur la tarification de l’eau au SPW ainsi qu’à la SPGE, la Société publique de gestion de l’eau, rapporte Sudpresse. Il voudrait également que soit abordée dans cette étude la répercussion du coût-vérité de l’assainissement en cas de rejet dans les égouts des eaux usées issues d’une citerne d’eau de pluie ou d’un puits. De là à taxer l’eau venant du ciel utilisée par les citoyens wallons ? La proposition peut paraître paradoxale à l’heure où les solutions durables sont plus qu’encouragées.

Pour comprendre la logique en cours, il faut savoir que la tarification de l’eau en Wallonie repose sur le concept global de coût-vérité. D’une part, lorsque le consommateur paie un mètre cube d’eau, il paie d’abord le coût-vérité à l’assainissement (CVA). Ce coût est fixé par la Société publique de la gestion de l’eau (SPGE), il est commun à tous les Wallons. D’autre part, y a le coût-vérité à la distribution (CVD), différent pour chaque distributeur. Une formule mathématique, identique pour tous les distributeurs wallons reprend ces deux coûts. Elle permet de fixer à la fois le montant de la redevance, mais aussi le prix variable qui reprend la consommation en mètres cubes d’eau.

« La moitié du prix de l’eau au m3, c’est le coût à l’assainissement« , relève Carlo Di Antonio dans les colonnes de Sudpresse. « Quand on injecte de l’eau polluée dans le réseau, il est normal de contribuer à son assainissement », estime-t-il. Pour lui, nous sommes actuellement dans une situation un peu schizophrénique: « On veut promouvoir la récupération de l’eau de pluie, une sorte de circuit court de l’eau. Mais il faut pouvoir financer les réseaux de distribution de l’eau et d’assainissement« .

L’objectif recherché par la Région wallonne n’est donc pas ici de ponctionner davantage les citoyens qui utilisent l’eau de pluie, mais plutôt d’éviter de faire payer trop ceux qui ne peuvent pas en profiter: « Si moins de personnes paient, le prix va augmenter pour ceux qui continuent à contribuer car les coûts fixes de distribution vont répercuter sur moins de m³« .

Les zones rurales favorisées

Nicolas Yernaux, porte-parole du Service public de Wallonie (SPW) explique dans Sudpresse: « les propriétaires de citerne d’eaux pluviales consomment moins d’eau de ville. En conséquence, ils paient un coût-vérité de distribution (CVD) moins élevé, et surtout un coût-vérité de l’assainissement plus bas, or ils rejettent dans le réseau plus d’eaux usées que leur consommation officielle. » Selon le ministre wallon de l’environnement, le système actuel favorise aussi les personnes habitant dans les zones rurales où il existe plus de possibilités d’installer une citerne de récupération d’eaux de pluie et où des zones de captage individuel sont plus faciles à mettre en place qu’en zone urbaine.

Lire aussi: Redevance sur les citernes d’eau de pluie : « Le tarif doit donner le bon signal »

Le ministre ne désire pas, pour autant, pénaliser les possesseurs de citernes. Interrogé au Parlement wallon, le ministre Di Antonio a insisté sur les bienfaits de ce système écologique de récupération des eaux tombées du ciel. En plus de faire faire des économies aux ménages, elles ont « un effet tampon lors d’épisodes très pluvieux, pouvant s’intégrer dans les mesures contre les inondations« , souligne-t-il.

Le cabinet du ministre insiste sur le fait qu’on ne peut pas taxer une personne simplement pour la possession d’une citerne: « Par contre, lorsqu’elle la rejette en tant qu’eau usée, il y a un coût nécessaire pour l’assainir », précise-t-on. L’objectif est d’inciter à la récupération locale de l’eau, sans pénaliser l’ensemble du système. « Une taxe est sans doute la mauvaise solution. concède le ministre Di Antonio. Mais il faut néanmoins trouver une forme de contribution.« 

Pour l’heure, il n’y a donc aucune décision du gouvernement wallon sur une éventuelle taxe sur les citernes. Le ministre espère obtenir bientôt les conclusions de l’étude commanditée afin d’orienter la future Déclaration de politique régionale, informe Sudpresse. L’étude pourra alors se retrouver sur la table des négociateurs pour qu’ils déterminent le mandat qui sera donné au prochain ministre de l’Environnement.

Une baisse de la consommation

Cette réflexion sur la manière dont est calculé le prix de l’eau est dans l’air du temps, avant les élections du 26 mai prochain. Pour les opérateurs publics de l’eau, il est aussi nécessaire de revoir des règles qui datent d’il y a 15 ans. Aquawal, l’Union professionnelle des opérateurs publics du cycle de l’eau, a publié dans ce sens un mémorandum qui reprend une série de propositions, rapportait en février la Nouvelle Gazette. Certaines pourraient bien révolutionner la facture d’eau des ménages qui est en hausse constante ces dernières années. La facture d’eau moyenne a augmenté entre 2005 et 2016 de 89% en Flandre, de 74% en Wallonie et de 56% à Bruxelles. Un ménage belge sur six est confronté à un problème lié à sa facture.

Le secteur de l’eau est fait face à un constat : il faut pouvoir pallier l’effet de la baisse de consommation d’eau sur le financement des investissements, explique le quotidien. « Une idée pourrait être d’augmenter la partie fixe de la facture d’eau, c’est-à-dire celle dont doit s’acquitter l’usager qui ne consomme pas ou peu d’eau « , précise Aquawal dans son mémorandum.

Aquawal estime que la législation actuelle doit évoluer. « La tarification, établie en 2004, est entrée en vigueur en 2005. Il est peut-être temps d’essayer de vérifier si celle-ci est encore pertinente. Il y a eu de nombreux investissements, mais aussi une baisse de la consommation« , détaille Cédric Prevedello, expert chez Aquawal.

Parmi les autres demandes du secteur, on retrouve aussi celle de soumettre « tous les usages de l’eau au coût-vérité à l’assainissement « , pointant du doigt les propriétaires de citernes d’eau de pluie. « Le coût à l’assainissement n’est perçu que sur les volumes d’eau consommés en provenance des réseaux de distribution. Pas sur ceux produits directement au moyen de ressources alternatives comme les puits privés ou les citernes d’eau de pluie« , explique Cédric Prevedello dans le quotidien francophone. « Or, l’utilisation de ces eaux puis leur assainissement occasionne des coûts qui ne peuvent pas être directement récupérés et qui sont répercutés sur le prix de l’eau vendue. Pour ce faire, il y aurait plusieurs possibilités, dont appliquer un forfait aux personnes qui rejettent de l’eau provenant d’une citerne ou d’un puits. »

Une citerne d’eau de pluie, obligatoire ?

Dans la Région de Bruxelles-Capitale, depuis 2006, il est obligatoire de placer une citerne d’eau de pluie pour toute nouvelle construction. En Flandre, depuis le 1er février 2005, l’installation d’une citerne d’eau de pluie est imposée par la loi pour la construction ou la rénovation d’immeubles dont la surface horizontale de la toiture est supérieure à 75 m². L’obligation ne concerne pas les maisons dont la façade a moins de 6 m de largeur ou les parcelles de moins de 3 ares.

En Wallonie, il n’est actuellement pas (encore) obligatoire de placer une citerne pour une nouvelle construction. Néanmoins, certaines communes l’exigent déjà via leur règlement urbanistique et l’imposent comme préalable à toute délivrance d’un permis d’urbanisme. Une petite dizaine de communes de Wallonie offrent une prime allant jusqu’à environ 500 euros pour l’installation d’une citerne.

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