Jonathan Bierman © DR

L’autre élu MR « suspect » dans le Kazakhgate

Le Vif

Avocat, échevin libéral à Uccle et fidèle bras droit d’Armand De Decker, Jonathan Biermann, risque, lui aussi, des poursuites judiciaires dans le dossier Kazakhgate. La justice le suspecte d’avoir commis au moins un faux en écriture.

Par Thierry Denoël – Enquête avec Alain Lallemand (Le Soir) et Mark Eeckhaut (De Standaard)

On sait qu’Armand De Decker n’est pas le seul politique, élu sur des listes MR, ni le seul Ucclois à être inquiété par l’enquête judiciaire belge sur le Kazakhgate. Son échevin des Travaux, lorsqu’il était encore bourgmestre, et ancien assistant personnel au Sénat, bref son fidèle bras droit, Jonathan Bierman se trouve, lui aussi, dans l’oeil du cyclone judiciaire. Ces deux hommes sont indissociables. Les documents que Le Vif/L’Express, De Standaard et Le Soir ont pu consulter révèlent que du 31 août 2015, date de sa première audition, au 8 octobre 2015, date de la seconde audition, il est passé du statut de témoin à celui de suspect pour des « faits présumés de faux, usage de faux et complicité de trafic d’influence ». Lorsqu’il est réentendu par les enquêteurs, il est d’ailleurs assisté de Me Jean-Pierre Buyle.

Jonathan Bierman
Jonathan Bierman© DR

La suspicion de faux concerne les notes d’honoraires – une en particulier – que le jeune avocat a rendues à Catherine Degoul, l’avocate française de Patokh Chodiev. On se souvient qu’en 2010, celle-ci a été chargée par l’Elysée de trouver une solution aux ennuis judiciaires du fameux trio kazakh, empêtré dans le scandale Tractebel en Belgique. Le président kazakh en avait fait une condition pour signer un contrat de deux milliards d’euros pour l’achat d’hélicoptères français. Parmi les inculpés de l’enquête Tractebel pour blanchiment, figurait Natalia Kazhegueldina, l’épouse de l’ancien Premier ministre kazakh et ex-officier du KGB, Akhezan Kazhegueldin. C’est justement elle que Me Biermann est chargé de représenter in extremis, à côté du trio, à partir de fin janvier 2011. Natalia n’étant plus en Belgique depuis longtemps, il faut vite lui trouver un représentant légal pour pouvoir négocier un accord avec le parquet général de Bruxelles, pour lequel la signature de tous les inculpés (ou de leur conseil) s’avère nécessaire.

Bierman ne verra jamais sa cliente. Il sera mandaté, dit-il aux enquêteurs, par un avocat célèbre de Washington, Edward Lieberman, qui représente plusieurs personnalités politiques ou du monde des affaires des anciennes républiques soviétiques, dont les Kazhegueldin. Aux enquêteurs, il a cependant refusé, sous couvert du secret professionnel, de montrer une copie du mail par lequel Lieberman l’a mandaté. L’avocat américain et l’avocat belge ne se connaissaient pas. « Nous avions des relations communes », dira Biermann en audition. Pourquoi a-t-il été choisi, lui, alors qu’il n’avait plus porté la toge depuis de nombreuses années ? « Je ne me suis pas posé la question », répond-il laconiquement.

Autre curiosité : sur les 170 000 euros qu’il touchera au total pour sa courte prestation, la majeure partie de l’argent proviendra directement du compte de Catherine Degoul, elle-même payée par Chodiev. Or les deux avocats représentent des clients différents. « C’est elle qui me donne instruction d’établir des notes d’honoraires », avouera-t-il aux enquêteurs. Il adresse un premier état provisionnel de 10 000 euros à l’avocat américain, qui sera vite honoré, puis un autre de 15 000 euros. Liebermann lui fera savoir, lit-on dans sa première audition, que, pour cette seconde provision, il devait en conférer avec Degoul. « Ce doit être à ce moment-là que j’ai compris que Me Degoul et Me Libermann se connaissaient et se parlaient », explique-t-il aux enquêteurs.

L’un des deux l’informe ensuite – il ne sait plus qui – qu’ils se sont concertés pour que l’avocat ucclois établisse une note de frais de 35 000 euros à adresser à Me Degoul. Lorsqu’il reçoit cette somme, il la renvoie à Lieberman à la demande de ce dernier. « J’ai trouvé cette procédure assez curieuse », confiera-t-il à la justice. Mais il suivra les instructions, supposant que les 15 000 (la seconde provision) lui seront ensuite versés. C’est visiblement sur cette note d’honoraires, curieusement transformée en note de frais rétribuée par l’avocate du trio, que les enquêteurs se sont basés pour évoquer un faux.

Mais il y a plus surprenant encore. Ce n’est pas 15 000 euros qu’il touchera finalement. Mais 125 000 euros (cet énorme bonus est considéré comme un success fee). Le versement se fait en plusieurs tranches. D’abord le 5 octobre 2011, puis le 11 octobre où il reçoit alors un dernier montant de 60 000 euros, pour lequel il remet une note d’honoraires avec la communication : « Consultation Afrique Centrale ». Pourquoi ce libellé, alors qu’il s’agit bien du dossier kazakh ? « C’est une communication qui m’a été indiquée par Me Degoul », a affirmé Biermann. Ce qu’a contesté l’avocate française lorsque les enquêteurs l’ont interrogée à ce sujet. Quoi qu’il en soit, cette communication saugrenue pour une note d’honoraires n’est-elle pas également constitutive d’un faux ? La justice décidera.

Comme elle le fera aussi pour les 9 179 dollars provenant de fonds saisis à Natalia Kazhegueldina, durant l’enquête Tractebel, et que l’OCSC (office des saisies et confiscations) a rendu à Biermann en novembre 2011, suite à la transaction pénale signée cinq mois plus tôt (Le Vif/L’Express du 24 novembre 2016). Cette somme d’argent est restée sur le compte Carpa professionnel de l’avocat. Elle n’a jamais été rétrocédée ni à la cliente ni à son conseil américain. Biermann a affirmé aux enquêteurs que Natalia ne voulait pas récupérer l’argent…

Le loyal lieutenant de De Decker risque tout de même gros dans cette affaire, où son intervention semble surtout avoir servi le trio kazakh qui avait besoin de sa signature pour la transaction pénale. Sa qualité de suspect est toujours maintenue dans le dossier judiciaire, même si l’intéressé conteste le faux matériel. Aujourd’hui, il nous dit juste ceci : « Je continue à me fier à l’enquête menée par la justice, et je pense qu’ils arriveront à la conclusion que la page peut être tournée en ce qui me concerne. » En attendant, Jonathan Biermann est toujours échevin à Uccle. Le MR n’a pris aucune disposition par rapport à son cas, contrairement à Armand De Decker.

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