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« L’attitude des policiers vis-à-vis du public pose problème »

Caroline Lallemand
Caroline Lallemand Journaliste

Selon le dernier rapport du Comité P, les citoyens belges se plaignent de l’attitude agressive des policiers. Les victimes leur reprochent également leur manque d’empathie et de réactivité.

Suite à la mort de George Floyd aux USA, cet Afro-Américain étouffé par un policier blanc à Minneapolis, les cas de violences policières sont à la une des médias. Chez nous, la police a été accusée d’être trop sévère. Dernièrement, la compagne du chanteur Arno, d’origine marocaine, a accusé la police de violence et de racisme, après un contrôle qu’elle a qualifié « d’abusif et musclé » à proximité de son domicile dans le centre de Bruxelles. L’eurodéputée allemande Pierrette Herzberger-Fofanade a déclaré dernièrement avoir été malmenée par la police bruxelloise.

Dans ce contexte, le dernier rapport d’activités du Comité P, la police des polices, donne, pour l’année 2019, une légère baisse du nombre de plaintes enregistrées par rapport aux 3 années antérieures. En 2019, le Comité P a ainsi reçu 2646 nouveaux dossiers de plainte, ce qui représente une diminution de 10,8% par rapport à 2018. On peut y lire que l’organe de contrôle a reçu proportionnellement plus de plaintes concernant l’attitude des agents face à leurs interlocuteurs. Les plaignants estiment que les agents ont été trop agressifs envers eux, n’ont pas fait leur travail correctement ou ont été traités de manière discriminatoire.

« Des chiffres inquiétants« , c’est ainsi que le criminologue Jelle Janssens (UGent) décrit certaines données diffusées dans ce rapport. « Apparemment, l’attitude des policiers vis-à-vis du public pose problème« , explique le criminologue au journal flamand Morgen. « Dans certaines catégories – telles que la violence excessive ou le langage agressif – on constate des augmentations de 3 ou 4 pour cent. Cela signifie donc que quelque chose est à l’oeuvre. »

« Depuis quelques années, on constate une plus grande sensibilisation à la violence policière« , note Janssens. « Il est donc possible que les gens déposent une plainte plus rapidement. Mais l’impact de cette sensibilisation sur les chiffres est en fait difficile à estimer ». Le criminologue pense que les chiffres peuvent indiquer un autre problème avec la police, comme le fait que les policiers marchent eux-mêmes parfois sur des oeufs en raison de la forte pression causée par leur travail et du manque de personnel.

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Une attitude « nonchalante » ou « apathique »

« Selon les chiffres, les victimes se plaignent maintenant plus souvent d’une attitude « nonchalante » ou « apathique » ou parce que la police n’agit pas. Cela peut également être lié à la pénurie de personnel. Normalement, chaque district de police devrait disposer d’un service spécialisé dans le « traitement des victimes ». Mais la plupart d’entre eux ne le font pas. Il y a donc toujours un service, avec quelques personnes, qui doivent travailler pour différentes zones« , analyse Jelle Janssens.

Pour Kathleen Stinckens, la présidente du Comité P, ces données doivent être remises dans leur contexte. Ces augmentations pourraient également être dues à une répartition différente des plaintes en 2018 et en 2019. Après tout, une plainte pourrait être classée de manière plus précise et donc sur plusieurs catégories en 2019. « Ce n’est pas parce que les gens pensent que la police a été agressive que c’est vraiment le cas« , déclare Stinckens au Morgen. « Dans de nombreux cas, il a été jugé que tout allait bien« .

D’autre part, il est également important pour elle de disposer de chiffres sur la façon dont les citoyens ressentent l’action policière, afin de pouvoir en tirer des leçons. Le fait que davantage de plaintes soient déposées sur la manière dont la police traite les victimes devrait également servir de signal d’alarme. Elle insiste aussi que dans près de 70 % des dossiers, l’organe de contrôle n’a trouvé « aucune erreur ». En outre, il est également possible qu’il n’y ait pas suffisamment de preuves ou que le Comité P ne soit pas compétent pour une plainte.

« Les erreurs que nous avons trouvées sont souvent liées à un « refus d’agir » », explique Stinckens. « Par exemple, lorsque la police ne veut pas établir un PV. Nous avons également constaté que trop souvent, une mission de police – comme l’établissement d’un tel PV – est encore effectuée de manière incorrecte ou incomplète. C’est un message important, car il signifie que certaines procédures doivent être rafraîchies ».

L’objectif premier: la désescalade

Le dernier rapport du Comité P, revient aussi sur les plaintes déposées à l’encontre de la police entre 2018 et 2019 par des manifestants ayant fait l’objet d’une arrestation administrative. Ce rapport émet 17 recommandations que la police devrait appliquer à l’avenir pour une meilleure gestion de ces manifestations. Il est, entre autres, demandé aux services de police de ne pas retenir les manifestants arrêtés dans des lieux inadaptés, d’éviter les attitudes et propos provocants, d’utiliser des colsons mieux adaptés pour menotter les manifestants (parfois trop serrés, selon les plaintes) ou encore que les fouilles avec mise à nu d’un manifestant soient indiquées dans les registres, avec justification de la mesure et identité de l’officier qui l’a décidée, afin d’éviter les abus.

Michel Terf est coordinateur en matière de formation à l’école de police de la province de Liège, il est responsable de la formation de base des policiers et notamment de « la gestion négociée de l’espace public » lors de manifestations. Il explique au Vif.be : « L’objectif principal que nous enseignons aux policiers en formation est la désescalade. On travaille sur l’opportunité de l’intervention, la proportionnalité, la légitimité et l’effectivité. Plus qu’avant, on réfléchit s’il faut intervenir et comment intervenir sur cette base. Dans cette gestion négociée de l’espace public, toujours dans ce but de désescalade, on distingue le rôle de surveillance, quand la police est simplement présente, discrètement, dans un rôle de facilitation du déroulement harmonieux de l’évènement. Et d’un autre côté, il y a le rôle d’intervention, quand des équipes de policiers interviennent lorsque la situation l’impose dans le but de garantir la sécurité de tous. »

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Former à l’assertivité

Pour lui, il est important de distinguer la situation en France et aux Etats-Unis concernant les violences policières. Le cadre légal est différent. « En Belgique, nous avons une seule police intégrée et structurée à deux niveaux avec une formation commune, avec cette philosophie de désescalade qui est vraiment le but principal des interventions. » Il commente : « La gestion de l’agressivité transcende les différentes formations des policiers à différents niveaux dans le but de jouer sur l’assertivité. On va essayer d’avoir un contact positif avec l’opposant, on ne va pas inutilement provoquer une personne pour aggraver la situation mais on ne va pas non plus se laisser marcher sur les pieds. On reste à l’écoute, on essaie d’avoir avant tout un dialogue pour que chaque partie impliquée donne son point de vue. »

Et quand l’assertivité ne suffit pas ? « Dans ce cas, il peut arriver qu’on passe à un autre mode d’action, que soit un refoulement, une dispersion, des patrouilles,… mais si jamais l’action policière devient contraignante, on reviendra le plus vite possible à un dialogue ouvert et sans provocation. On enseigne à nos policiers à ne pas porter de jugement, à ne pas provoquer, à ne pas avoir de préjugés par rapport à leurs interlocuteurs et d’être avant tout à l’écoute. Si à un moment donné l’intervention doit se faire, elle se fera en revenant le plus rapidement possible à un dialogue », assure Michel Terf.

Il ajoute : « En Belgique, on a la chance d’avoir une loi bien pensée, la loi de 1992 sur la fonction de police. L’article 37 explique notamment que le recours à la force par la police peut se faire si elle poursuit un objectif légitime, quand il n’y a pas moyen de faire autrement et en tenant compte des risques que cela comporte de manière proportionnelle et adaptée à la situation. Il faut que tous ces critères soient remplis. Cela fait beaucoup de conditions à respecter. »

Face aux critiques qui s’élèvent sur le caractère raciste de certains policiers, Michel Terf répond : « En Belgique, il y a une grande diversité au sein de la police, il y a des personnes de toutes origines et orientations sexuelles. Dans notre formation de base, nous avons d’ailleurs des représentants de l’association Rainbow cops, qui défendent la liberté d’orientation sexuelle. Cela permet une plus grande ouverture d’esprit vis-à-vis de la communauté LGBT. Cela fait partie de notre rôle de policier d’être ouvert et tolérant. « 

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