Les AAF (Affordable Art Fair) misent sur la convivialité pour initier les visiteurs à l'art contemporain. Ils y feront, peut-être, leur première acquisition. © AFFORDABLE ART FAIR

L’art, c’est forcément cher ? Faux !

Longtemps réservé aux connaisseurs et clients fortunés, le marché de l’art s’est doucement décloisonné. La situation économique et les attentes d’un public plus hétéroclite ont favorisé l’éclosion d’un nouveau créneau : l’art discount. Comprenez : l’art à petit prix. Soit entre 50 et 5 000 euros.

L’art n’est pas le monopole d’une élite fortunée ! En dépit des apparences, ce marché ne se résume pas à quelques ventes hypermédiatisées. Selon le rapport 2015 publié par le site de référence Artprice, les oeuvres dépassant les 50 000 dollars représentent tout juste 8 % du volume global des transactions à l’échelle mondiale. Les adjudications millionnaires ? A peine 0,5 %. Mais ces sommes folles éclipsent l’essentiel : 64 % des lots adjugés aux enchères le sont pour moins de 5 000 dollars. Voilà le véritable coeur du marché contemporain.

Forcément, l’offre s’est adaptée. A côté des salons guindés, des événements d’un genre nouveau se sont ajoutés : des foires d’art à « prix discount » ! Elles ont la particularité de proposer des oeuvres d’art – toutes catégories confondues – à prix raisonnable. Encore faut-il savoir ce que l’on entend par « art » et par « raisonnable ». Deux notions qui peuvent emprunter des formes très variées, liées à notre éducation, à nos goûts mais aussi à nos prédispositions bancaires. Ce dernier point est crucial. Nul besoin d’être grand clerc pour deviner que s’offrir une toile à 5 000 euros n’est pas un « petit » plaisir sans incidence. Du moins pour l’écrasante majorité. Pour beaucoup, débourser 500 euros pour un achat qui n’offre – hormis le plaisir esthétique toujours renouvelé – aucune utilité est déjà une transaction sujette à réflexion. S’il faut être comblé de toutes parts pour investir dans l’accessoire, on est néanmoins tenté de penser qu’avec de maigres moyens financiers (mais une dose de patience et de curiosité démesurée), chacun peut se constituer une petite collection de qualité. Quelques pistes…

A l’Affordable !

Phénomène contagieux, les AAF (Affordable Art Fair) font de plus en plus d’adeptes à travers le monde. En dix ans, ce concept – proposer des oeuvres « abordables » entre 100 et 6 000 euros – s’est imposé comme un rendez-vous immanquable. L’un des maîtres-mots est la convivialité. Parce qu’ils n’ont pas l’habitude d’entrer dans une galerie ou parce qu’ils ne se sentent pas suffisamment avisés, de nombreux visiteurs achètent ici leur première oeuvre. « AAF (1) souhaite casser les codes classiques des grandes foire d’art contemporain, explique Julie Constant, son european business manager. Nous ne sommes pas concurrents d’Art Brussels mais différents, voire complémentaires. Les visiteurs s’initient à l’art contemporain chez nous, y font leur première acquisition… Et demain, ils iront, nous l’espérons, acheter à Art Brussels. »

Dans une atmosphère décalée, il est ici facile de s’offrir un opus en toute sécurité. Les montants sont clairement affichés. Une règle absolue. Si le prix moyen d’une oeuvre vendue est de 1 200 euros, il est déjà possible de s’offrir une sérigraphie signée et numérotée en édition limitée pour une centaine d’euros. On trouve aussi de petites photographies dont le prix avoisine les 200 euros. « La peinture est le medium le plus cher pour la simple raison que la toile est unique, détaille Julie Constant. Dans cette discipline, les prix débutent généralement aux alentours de 600 euros. Cela va paraître cher pour certains, accessible pour d’autres. Le plus important est de comprendre comment le prix est fixé. Pour cette raison, nous favorisons les échanges entre galeristes et visiteurs. »

Il n’est pas interdit de rêver

Tous les acheteurs aspirent secrètement dénicher l’artiste émergent qui prendra de la valeur en un rien de temps… Ne vous leurrez pas ! Voir une oeuvre acquise quelques centaines d’euros se muer en formidable investissement financier n’est pas de l’ordre de l’hypothétique… Ça relève carrément du miracle ! Mais il n’est pas interdit de rêver. Des créateurs voient leur cote grimper. « Nous avons effectivement des artistes qui étaient exposés il y a quelques années et dont le prix des oeuvres a explosé, dépassant ainsi notre prix plafond de 6 000 euros, s’enthousiasme Julie Constant. Je pense entre autres à Alexandre Nicolas et ses inclusions, à Joseph Klibansky, à Sacha Goldberger ou encore à Laurence Jenkell. Tous sont désormais présentés dans des foires plus prestigieuses : Art Brussels, Fiac, Art Paris… » Les acheteurs ne sont d’ailleurs pas les seuls à rêvasser. En participant à ces foires, de nombreux jeunes talents gagnent en visibilité et espèrent être repérés par un marchand d’art renommé (l’assurance d’une future notoriété).

Pour ne pas se tromper, acheter avec son coeur doit rester une priorité. « Acheter ce que vous aimez ! conseille Julie Constant. Vous allez vivre avec votre oeuvre, elle doit avant tout vous plaire. Pour affiner votre choix, n’hésitez pas à vous renseigner en posant des questions aux galeristes, ils sont là pour partager leur amour de l’art et vous verrez, c’est fortement contagieux. »

Les galeries d’art sont rarement l’endroit idéal pour acquérir de l’art à bas prix… et pourtant, il existe à l’ombre des enseignes mondaines, des galeries plus accessibles. Dernière arrivée à Bruxelles, la Peep’Art Gallery (2). Choix risqué que de s’installer au coeur du Sablon, la Mecque des antiquités, loin d’être réputé pour son accessibilité en termes financiers. « Peu de gens osent franchir la porte d’une galerie, pensant qu’elle ne s’adresse qu’à une élite, déclare Thierry Pipart, directeur de la nouvelle enseigne. Et en particulier au Sablon : un quartier renommé qui nous permet de faire découvrir aux gens de passage l’art contemporain, plutôt présent dans les communes environnantes du centre-ville. J’ai eu envie de leur suggérer autre chose, et de les inviter à la fois à des rencontres et à des découvertes « coup de coeur » dans une gamme de prix abordable. Nous proposons des oeuvres uniques dont le prix moyen s’inscrit entre 1 000 et 2 000 euros. Pour une gravure ou une lithographie, comptez entre 500 et 800 euros, tout en sachant que nous démarrons avec des oeuvres à 150 euros et que les plus coûteuses atteignent les 5 000 euros. Noble objectif que de vouloir mettre en avant des artistes autrement qu’en les faisant entrer dans un système spéculatif. « Ne jamais chercher la spéculation car une oeuvre est d’abord créée pour en apprécier, tous les jours, sa valeur affective », poursuit le galeriste.

A vos marques… Troquez !

Il existe une autre façon originale pour devenir propriétaire d’une oeuvre. Sans dépenser un euro ! Direction Art Truc Troc (3), un événement organisé annuellement au palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Le principe – simplissime – remonte à la nuit des temps : il s’agit de troquer ! Vous déambulez dans l’exposition à la rencontre des oeuvres et des artistes. Peintures, sculptures, installations, art vidéo, photographies, dessins, gravures… Quelque 300 oeuvres ont été sélectionnées par un jury de professionnels. Ce ne sont pas des galeries mais des institutions culturelles publiques (le Centre culturel Wolubilis, à Woluwe-Saint-Lambert ; le Centre d’Art contemporain du Sud-Luxembourg ; la MAAC (Maison d’art actuel des Chartreux, à Bruxelles) ; le BPS22, à Charleroi ; Le Botanique, à Bruxelles ; le secteur des Arts plastiques du Hainaut ; Le 75, à Bruxelles ; Les Chiroux, à Liège…) qui présentent ici les artistes émergents qu’elles soutiennent.

Démocratisation = désacralisation ?

Au-delà de l’enthousiasme qui accompagne cette volonté de permettre au plus grand nombre d’accéder à l’art, il existe bien un deuxième courant de fond… Quelques esprits chagrins font rimer démocratisation avec désacralisation ! L’appellation générique est déjà significative : Art Discount. Deux termes qui s’accordent si mal… Est-il vraiment bon que l’art soit accessible à tous ? Pavée de bonnes intentions, la formule n’est pas sans créer un certain malaise. L’art est-il un objet de consommation populaire ? Démocratiser l’art, n’est-ce pas le faire tomber de son piédestal pour ensuite le piétiner ? Vendre à petit prix nécessite une production à grande échelle. Dans cette configuration, difficile de garantir l’inspiration. Débat ouvert… A chacun son avis !

Armé de petits papiers, vous noterez ce que vous êtes prêt à échanger (biens, services, connaissances…). On recense beaucoup de propositions de voyage mais aussi de nombreux échanges entre les artistes eux-mêmes. Et ce n’est pas tout. Les trocs sont de natures diverses et variées : cours de piano, placement d’un nouveau parquet dans un atelier, bouteilles de champagne… « Il y a des trocs de coeurs (une artiste a échangé une de ses photos sténopé contre un dessin d’enfant), des trocs farfelus (10 000 bouchons d’oreilles), des trocs incongrus (le poids de l’artiste en fourniture artistique), des trocs inattendus (les services d’un tatoueur), signale Catherine Husson, du Centre culturel Wolubilis. La liste est longue et chaque cas est particulier. Il ne faut pas hésiter à laisser vagabonder son imagination. Les artistes sont très sensibles aux propositions originales. »

D’où vient le succès d’Art Truc Troc ? « Tout d’abord, du concept même inventé dans les années 190 par l’artiste Mon De Rijck, directeur à l’époque de la Galerie de prêt d’oeuvres d’art, rappelle Catherine Husson. L’initiative vise à démocratiser la culture, à faire tomber l’art de son piédestal afin de le rendre accessible au plus grand nombre. Quarante ans plus tard, le succès du concept est toujours au rendez-vous et c’est donc tout naturellement que le fils de cet artiste nous a sollicités pour réactiver cette idée originale dès la première édition. »

On pense enfin à l’Artothèque de Wolubilis : un service de prêts d’oeuvre d’art. A l’instar d’une bibliothèque, on peut y louer une oeuvre d’art pour un ou plusieurs mois à un prix démocratique. C’est une autre façon de faire entrer l’art dans le quotidien de tout un chacun pour 10 euros par mois. Vous l’aurez compris, quels que soient vos moyens, il existe de nombreuses solutions pour accéder à l’art contemporain.

Par Gwennaëlle Gribaumont

(1) Affordable Art Fair Bruxelles (AAF), du 26 au 29 février, à Tour & Taxis, à Bruxelles. www.affordableartfair.be

(2) Peep’Art Gallery, 33, rue des Minimes, à Bruxelles.

(3) Art Truc Troc, du 5 au 7 février, à Bozar, à Bruxelles, www.tructroc.be

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