Herman De Bode © Karoly Effenberger

L’ancien chef de cabinet Jan Jambon : « Celui qui croit vraiment au changement n’a plus voté pour la N-VA »

Walter Pauli
Walter Pauli Walter Pauli est journaliste au Knack.

Herman De Bode n’avait pas prévu les mauvais résultats des élections de la N-VA. Mais l’ancien chef de cabinet de Jan Jambon comprend la désillusion de nombreux électeurs flamands: « en 2014, nous avons pu, avec la N-VA, convertir le sentiment général de ras-le-bol en vote. Aujourd’hui, c’est le Vlaams Belang qui le fait. »

Herman De Bode est un nationaliste flamand convaincu. Il est coauteur du manifeste qui, en 2005, prônait la scission du pays. Ses propos ont conduit à sa démission forcée de cadre supérieur de la société de conseil McKinsey Benelux. Il a rencontré Jan Jambon qui était alors président du Vlaamse Volksbeweging (Mouvement populaire flamand) et directeur général de Bank Card Company. Il a ensuite rencontré Bart De Wever, président de la N-VA, lors de conférences dans le cadre du manifeste de la Warande. Des liens d’amitié étroits se sont tissés et se sont maintenus jusqu’à ce jour.

Grâce à sa vaste expérience et à son réseau inégalé, Herman De Bode était pour la N-VA l’homme rêvé pour le poste de chef de cabinet du vice-premier ministre Jambon en 2014. Cela lui a permis de diriger et de coordonner la contribution de la N-VA au gouvernement fédéral. Il était également membre du conseil d’administration du parti. De Bode est chef de cabinet depuis trois ans maintenant, mais il reste proche de la direction de la N-VA : « Si je vois quelque chose et que je me dis: ‘Putain, Bart, tu as fait ça brillamment’ ou ‘Bon sang, j’aime pas ça’, je lui envoie un SMS. Et j’ai toujours une réponse rapide.

De Bode n’avait pas non plus prédit la perte de son parti, ni le succès du Vlaams Belang. Mais le fait que la formation d’un gouvernement fédéral devienne un casse-tête extrêmement difficile devrait le rendre heureux. Fin de l’année dernière, il a suscité la polémique en déclarant au quotidien De Tijd qu’après les élections, il espérait l’ingouvernabilité du pays.

Herman De Bode : « Je ne vais pas dire que je suis un homme insatisfait. (rires) J’ai effectivement dit que j’espérais l’ingouvernabilité, mais seulement parce que c’est le seul moyen de négocier un modèle confédéral. Je veux que les gens se rendent compte qu’il n’est plus possible de gérer ce pays comme une structure unitaire. La Belgique se compose de deux démocraties qui pensent différemment, qui font face à des défis socio-économiques différents et qui ont donc besoin de recettes différentes. C’est pourquoi il est normal que les politiciens flamands aient un agenda différent de celui des francophones. C’est pourquoi nous voulons des négociations confédérales. »

La position de la N-VA est aujourd’hui moins forte qu’elle ne l’était avant les élections du 26 mai. Comment expliquez-vous cette lourde perte ?

En tant que chef du cabinet de Jan Jambon, j’ai senti à quel point la N-VA était encore une organisation politique inexpérimentée. C’était la première fois que nous participions au pouvoir et sur de nombreux points nous n’avons pas négocié assez durement. Les gens de notre parti n’ont pas compris non plus comment les choses fonctionnaient vraiment. Nous étions naïfs. Nous voulions rendre le gouvernement plus efficace, mais cela coûte de l’argent et nous n’avons pas réussi à nous entendre sur un budget lors des négociations gouvernementales. Nous avons donc dû réclamer de l’argent dans tous les autres cabinets, mais ils n’ont pas voulu nous le donner. La réforme du gouvernement n’a pas eu lieu. Les autres partis n’ont pas manqué de souligner que nous n’avons pas mené cette réforme à bien.

Un autre exemple de notre naïveté a été la vente prévue de Belfius, qui nous a semblé très importante. L’accord de coalition stipule : « Le gouvernement vise à maximiser la valeur des participations dans le secteur financier en temps utile et d’une manière raisonnable ». Cela ne signifie pas, selon la lettre du texte, que cela doit être fait, comme nous le pensions dans notre naïveté. Au contraire, l’entente de coalition stipule que si un parti ministériel croit que ce n’est pas le bon moment pour vendre, ce n’est pas une priorité. Le CD&V le pensait l’année dernière parce que le dossier Arco n’avait pas encore été résolu. C’est ainsi que les choses se passent dans un gouvernement. Sauf lorsque la N-VA a eu un problème avec le Pacte de Marrakech, ce qui ne figurait pas dans l’accord de coalition. Le MR a essayé de trouver une solution, mais le CD&V et l’Open VLD ont imposé leur volonté. Le N-VA n’a pas quitté le gouvernement, elle a été éjectée.

Ça n’explique toujours pas la perte de voix de la N-VA.

Le slogan de la N-VA était  » le pouvoir du changement « . Mais qu’avons-nous vraiment changé ? Nous avons réalisé un certain nombre de choses, telles que le tax shift, mais même celui-ci reste un changement dans la marge. Il ne s’agit pas d’une réforme fondamentale de notre régime fiscal. Malgré les 32% que nous avions atteints, la N-VA n’a pas tenu sa promesse électorale de « pouvoir du changement ». Avec la N-VA au gouvernement, il n’y a pas eu de réel changement.

Et c’est dû à son inexpérience?

À mon avis, oui. C’était de l’inexpérience pure et cela ne nous arrivera pas une deuxième fois. (il rit bruyamment) La situation a été aggravée par le fait que la N-VA voulait camoufler cet échec. Si nous avions dit honnêtement à nos électeurs : « Les gars, nous admettons que nous n’avons pas suffisamment réussi à faire ce que nous avions promis », nous aurions peut-être réussi à convaincre certains électeurs désabusés. Au lieu de cela, nous avons opté pour le slogan :  » Le changement fonctionne « . Eh bien, quand un Anversois voit cela, vous l’entendrez dire : « Pour qui me prenez-vous ? »

La N-VA n’a pas non plus engrangé de voix grâce à son programme communautaire, mais c’est ce que vous aviez convenu à l’avance avec les partenaires de la coalition.

Pendant un long mandat, nous avons suspendu notre programme communautaire. Un parti comme la N-VA peut tenir ça un certain temps, mais cinq ans, c’est très long. Du coup, nous avons tenu un discours très rationnel au sujet des finances publiques et nous n’avons pas su interpréter le vrai problème sur le plan politique. Nous n’avons rien dit sur les transferts entre le Nord et le Sud. En théorie, ce n’est pas un problème, Monsieur Tout le Monde ne s’intéresse pas à un débat technique sur les transferts, mais le président du Vlaams Belang, Tom Van Grieken, en a intelligemment profité.

Comment?

Van Grieken a eu l’idée géniale de rendre ces transferts tangibles en exigeant une pension minimale de 1 500 euros sans augmenter l’âge de la retraite. « Nous y avons droit », a-t-il dit, « quand vous voyez la durée de travail et les efforts des Flamands, il est injuste que leurs pensions soient inférieures à celles de la plupart des autres Européens. De plus, il est abordable. Pour être honnête, je n’avais jamais vu les choses de cette façon : une pension plus élevée comme celle-ci nous coûte sept à huit milliards d’euros par an, a calculé la N-VA, et équivaut exactement au montant des transferts de la Flandre vers la Wallonie.

Van Grieken a donc raison?

Quand je l’ai entendu, je me suis dit : « Ce type a raison. En Flandre, il y a à peine 3,5% de chômeurs, nous travaillons très dur et payons des impôts faramineux. Pourtant, nos pensions sont parmi les plus basses d’Europe occidentale. Pourquoi les Flamands ne reçoivent-ils pas la même chose qu’un Hollandais ou un Allemand ? Parce que nous ne pouvons pas y faire face d’un point de vue budgétaire ? Non. Parce que chaque année des milliards vont de la Flandre à la Wallonie. Indirectement, Van Grieken, avec sa revendication « de gauche » d’augmenter les pensions et de ne pas travailler plus longtemps, a soulevé une vieille revendication nationaliste flamande : les gigantesques transferts du nord au sud.

Ces transferts nous coûtent cher?

La conséquence de ce flux d’argent, c’est que la Flandre ne peut plus investir : non seulement dans les pensions, mais aussi dans nos infrastructures. Il est urgent de les renouveler. Comparez nos routes à celles des Pays-Bas. Sans les transferts, il y a de l’argent pour ça. C’est ce qu’a vendu subtilement le Vlaams Belang. Bien sûr, le Flamand adhère au Vlaams Belang sur ce point : « Nous n’avons pas ce à quoi nous avons droit « . Van Grieken dit que l’argent n’est pas vraiment là, parce que ces transferts continueront, bien sûr, à avoir lieu. C’est pourquoi la N-VA souhaite impliquer le Vlaams Belang dans sa politique. Les Flamands verront alors que Van Grieken n’est pas non plus capable de tenir ses belles promesses.

Vous pensez que c’est bien que la N-VA continue à négocier avec le Vlaams Belang?

Ce n’est pas une question de tactique. Je ne vois aucune objection de principe ou éthique à l’implication du Vlaams Belang dans cette politique. Près de 20% des Flamands votent pour ce parti, n’est-ce pas ? Le Vlaams Belang est aussi démocratique que les autres partis. Et contrairement au PVDA, le Vlaams Belang n’a aucune prédilection pour les dictatures antidémocratiques. Tout ce qui compte, c’est leur programme : pouvez-vous en faire quelque chose au sein d’une coalition ou non ?

Vous ne voulez pas du cordon sanitaire, où il a été convenu de ne pas conclure d’accords avec le Vlaams Belang?

À la fin des années 80, le Vlaams Blok était un parti à caractère raciste et je comprends pourquoi Jos Geysels (Agalev) a mis en place ce cordon. Le Vlaams Blok a également été condamné, mais c’était il y a vingt ans. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Oui, il y a encore des membres du Vlaams Belang avec qui je préférerais ne pas être dans la même pièce. Mais il y a des membres du PS qui avaient même des meurtres sur la conscience et qui étaient manifestement corrompus et cela n’a pas empêché certains partis de former un gouvernement avec le PS. L’important est de savoir si vous pouvez parvenir à un accord gouvernemental sur la base des programmes des partis. Si c’est le cas, alors concluez un accord de coalition ensemble. Sinon, ne le faites pas.

Qu’espérez-vous que les différents informateurs feront ?

Dans la soirée du 26 mai, De Wever a eu tout à fait raison de dire que, si nous vivions dans un pays normal, ce résultat électoral devrait nous amener immédiatement à négocier un modèle confédéral. Non pas que nous puissions simplement abolir ces transferts, ce que nous ne pouvons pas faire, et certainement pas à court terme. Dans tous les autres pays, il y a aussi des transferts, et ce n’est pas le problème en soi. C’est l’ampleur des transferts en Belgique et le fait qu’il n’y a pas de fin à ces transferts qui rendent cette situation insoutenable. Nos transferts ont totalement déraillé et ont un effet paralysant.

Je vais faire un parallèle quelque peu irrévérencieux. Quand je payais les factures de téléphone de mes enfants, elles s’élevaient facilement à 500 euros. Je les ai exhortés faire plus attention, sans résultat. À un moment donné, je leur ai dit : « Les enfants, c’est fini. » Une fois responsables de leur compte, j’ai remarqué qu’ils ne payaient plus que 30 à 35 euros par mois. Ils avaient trouvé comment appeler le moins cher possible. Soudain, c’était donc possible. Ce n’est que lorsqu’on responsabilise les gens qu’ils commencent à se comporter de manière responsable et que beaucoup de choses deviennent possibles. C’est cela, le confédéralisme.

Le confédéralisme est-il un tremplin vers la scission du pays ?

Ce n’est pas nécessaire. Si nous arrivons à un modèle confédéral et qu’il fonctionne bien, pourquoi devrions-nous tout scinder?

Parce que l’indépendance flamande est l’article premier des statuts de votre parti.

Je ne me sens pas lié par ça. Si le confédéralisme fonctionne bien, c’est pour moi le terminus. Prenons la défense, par exemple. Elle tourne bien, l’armée de l’air et la marine belges travaillent bien avec les Pays-Bas et notre armée de terre travaille très bien avec les Français. Pourquoi la Flandre devrait-elle avoir sa propre armée ? En fait, je ne pense pas que les esprits soient mûrs pour une scission. Elle susciterait beaucoup trop émotions.

Pensez-vous pouvoir amener les politiciens francophones à une table de négociation confédérale?

Quelle est leur alternative ? Aucune. Et ils ont besoin d’argent. En fait, la Belgique est pratiquement en faillite, mais les Wallons sont même dans les difficultés jusqu’au cou. Nous sommes sur une poudrière budgétaire communautaire. Permettez-moi de parler de la Suède. Il y a vingt ans, ce pays était dans un état aussi déplorable que la Belgique l’est aujourd’hui. Les Suédois, eux aussi, ont subi une saisie gouvernementale de plus de 50% ; ils ont commencé à se réorganiser lorsque le pays était sur le point de faire faillite. Les Suédois ont vraiment réformé leur système fiscal. Ils ont porté la taxe sur les héritages à zéro pour cent. Zéro ! Au lieu de cela, ils ont instauré un impôt sur les gains en capital de 25 % et ont réduit les impôts sur le revenu et le travail. Maintenant, ils sont à flot.

Vous voulez faire de même en Belgique ?

Dans la constellation actuelle, cela ne réussira jamais. Même s’il y avait une majorité parlementaire en faveur d’une telle opération, le gouvernement fédéral se heurterait immédiatement au problème que le produit de l’héritage est une source importante de revenus pour les régions. Nous devons d’abord examiner – et négocier – comment compenser cette réforme si indispensable. C’est toujours le cas. Dans ce pays, aucun gouvernement ne peut plus mener une opération d’aucune importance. Les pouvoirs sont désespérément fragmentés, ce qui a entraîné une augmentation du nombre d’administrations. L’introduction du confédéralisme entraînera automatiquement d’énormes gains d’efficacité. Nous devons nous éloigner du système belge.

Trouvez-vous regrettable qu’en Belgique francophone, il n’y ait pas d’équivalent de la N-VA, un parti conservateur de droite qui prône également le confédéralisme ?

Dommage…. (il hausse les épaules) Je trouve particulièrement regrettable que les politiciens wallons n’aient pas le moindre courage pour nommer les problèmes. En conséquence, de nombreux francophones pensent encore que le flux d’argent de la Flandre vers la Wallonie est un mensonge. Ils ne se rendent donc pas compte des efforts énormes que la Flandre déploie depuis des décennies pour que les francophones puissent maintenir leur prospérité économique. En Allemagne, vous pouvez indiquer dans votre déclaration d’impôts combien d’argent va à quelle religion. Chez nous, on devrait peut-être indiquer le montant qui va à la Wallonie.

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