Fred Erdman en 2007. © Belga

« L’abandon du clientélisme nous a coûté des milliers d’adhérents »

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

A 82 ans, Fred Erdman, l’ancien président (1998-1999) du SP est encore une voix écoutée au SP.A. L’Anversois plaide encore comme avocat  » dès que je peux emmerder le monde « . Illustration.

Le Vif/L’Express : La gauche est-elle vouée à être minoritaire en Flandre ?

Fred Erdman : Les mobilisations qui émergent autour d’un problème local, de mobilité, de scolarité, avec des gens qui spontanément s’engagent à défendre un acquis ou à engranger une conquête lui ouvrent d’autres horizons. Dans le temps, vous étiez de gauche, donc vous étiez membre du PS, de la FGTB, de la mutuelle, ou d’un autre parti de la gauche radicale, parce que vous estimiez que c’était le meilleur moyen de défendre des valeurs. L’individu d’aujourd’hui est beaucoup plus volatil dans ses choix, et s’attache à un parti qu’il estime conforme à ses positions sur un sujet précis, mais sans nécessairement partager l’ensemble de ses combats.

Comment réunir ces gens et ces combats?

La seule solution, c’est de reprendre le bâton de pèlerin, de rencontrer les gens, de les écouter. Pas seulement de les entendre : les écouter ! Il faut les convaincre que nous nous intéressons à leurs besoins et à leurs considérations. Il y a un potentiel de compassion dans la société flamande qui ne se traduit pas en résultats électoraux. Je crois qu’il y aura un revival de la gauche. Il sera la traduction de ce que nous avons toujours défendu. Mais elle trouvera une nouvelle expression.

Ces forces émergentes sont déjà prises en modèle par les sociaux-démocrates, en Flandre comme en Wallonie…

Oui, mais dans un langage que l’homme de la rue ne saisit pas. Il faut aller frapper à sa porte, et pas seulement en campagne électorale ! A Gand, chaque samedi, depuis toujours, le bourgmestre (NDLR : Frank Beke, puis Daniël Termont) est dans les quartiers, discute avec les gens, il sait ce qui les touche le plus. Et cela ne se fait pas dans un style académique ou en dénigrant son interlocuteur, en disant qu’il ne comprend rien à l’économie ou à la géopolitique… Résultat : le SP.A est encore au pouvoir à Gand.

Comment écouter ces classes plus modestes lorsqu’elles expriment des revendications xénophobes ?

C’est peut-être le noeud du problème : employer un langage populaire, simple, qui rencontre ce que le citoyen moyen pense, mais aussi le confronter avec certaines affirmations populistes. On entend souvent des phrases du genre « Les Arabes, on n’en veut pas, mais Mohammed, lui, c’est vraiment un brave type. » Il y a quelque chose qui cloche dans ce raisonnement, non ? Il est facile, en politique, de rejeter la faute sur les autres ! Les gens aiment bien ce message « C’est pas nous, c’est eux »…

S’afficher avec le PS n’a-t-il pas un effet repoussoir sur l’opinion flamande ?

Je suis un produit du PSB-BSP avant sa scission. Je ne veux pas réécrire l’histoire. Il n’y a plus de parti belge. Ce qu’il faut se demander, c’est si se séparer, ne pas assumer que l’on défende les mêmes objectifs, le tout pour des raisons électorales, est une bonne chose. Ma réponse est non.

L’action commune socialiste a-t-elle du sens en Flandre ?

Je regrette que cette osmose entre syndicats, mutuelles, coopératives, et parti ne soit plus aussi claire à la base. A Anvers, nous avions la Volksgazet. Ce n’était pas un journal de très haute tenue, mais il réunissait les gens : la fête de monsieur machin, le diplôme de monsieur truc, etc. Aujourd’hui, les gens raisonnent en fonction de leur intérêt immédiat. Celui qui est inscrit à la mutuelle socialiste ne l’est plus pour la transmission ancestrale du message, mais parce que le service y est meilleur, et donc il n’est plus nécessairement membre ou même électeur du parti. Comment gérer ce problème ? En ouvrant les portes, et en tissant des liens. J’en reviens à ce que je vous disais: les inquiétudes particulières, locales. La gauche doit être leur refuge, les écouter, les soutenir, les réunir.

C’est la stratégie du PTB, sur un terrain que vous avez délaissé…

Nous avons peut-être raté le coche. A Hoboken, leur Médecine pour le Peuple répond aux besoins de la population. Pourquoi n’a-t-on pas trouvé, avec nos mutuelles, les moyens d’en faire autant ? On a peut-être oublié l’approche de nos prédécesseurs socialistes. Je me rappelle d’une fête en l’honneur de Louis Major. Le Sportpaleis était rempli ! Après son discours, la salle était électrisée. Je demande à mon voisin, presque en transe, ce qu’il avait compris du speech. Il me répond : « Je n’ai rien compris, mais c’était formidable. » On a perdu cette force…Il n’y a plus de tribuns. Le PTB, lui, a un message simple. Avant, on nous reprochait de toujours dire que le patron était un salaud. On ne le dit plus car on négocie avec le patron une formule avantageuse pour tout le monde. Mais le PTB crie toujours que le patron est un salaud. On veut être politiquement correct en donnant tous les éléments d’un problème, au risque de se faire ignorer avant la fin de la première phrase. Si par contre on commence son discours en disant qu’on paie trop d’impôts et qu’il faut prendre l’argent chez les riches…

C’est ce que le SP.A devrait faire ?

Indiscutablement. Mais, un, il faut savoir faire passer le message, et, deux, la participation des politiques a diminué. Mon prédécesseur à la présidence de la section de Zurenborg ne faisait que vivre pour le parti. Le vendredi soir, le samedi matin, tout le temps ! Et il ne disparaissait pas après dix minutes, lui… Alors, ceux, aujourd’hui, qui vous disent qu’ils ont du mal à suivre… Moi, comme président du parti, j’avais un jour pris un journaliste dans mon sillage. Je lui avais donné rendez-vous à 7 heures à mon bureau. J’ai fait avec lui ce que je devais faire de ma journée. Nous sommes revenus devant mon bureau à 1h30 du matin. Lui est rentré chez lui, moi, je suis monté pour signer le courrier… Il ne comprenait pas ! Un autre jour, j’avais fait vingt-deux visites de sections locales à travers la Flandre, en commençant vers midi et en rentrant à Deurne vers trois heures du matin. Heureusement, je ne conduisais pas la voiture…

Mais les politiques d’aujourd’hui travaillent eux aussi beaucoup…

Sans doute. Mais combien de personnes ordinaires ont-ils entendues sur leur journée ? J’ai été un de ceux qui ont défendu le fait qu’on n’allait plus aider les gens à trouver un logement, un job, etc. C’était mal vu. Le clientélisme ! Eh bien, le rejet de ce clientélisme a coûté au parti l’adhésion de milliers et de milliers de personnes. A l’époque, le membre venait demander s’il n’y avait pas de possibilité de trouver un appartement pour sa fille qui venait de se marier, ou un boulot pour son fils qui venait de terminer ses études. Ça existe toujours en Wallonie. Michel Daerden, pompette ou pas, était sur le terrain, lui. Il faisait des promesses et les tenait.

Ce sont des arrangements pas glorieux, ça…

Peut-être, mais les autres le font. Il y a ceux qui s’y tiennent, et il y a ceux qui, par des méthodes détournées, font encore du clientélisme.

Comment ?

En nommant à un certain niveau les gens qui les arrangent. Prenez le Moniteur, disons pour trois mois, voyez un peu les nominations publiées, une par une. Avec Internet, c’est très facile. Mettez chaque nom dans Google. Et vous verrez : c’est de la blague !

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