Thierry Denoël

Kazakhgate : député, policier, juge, journaliste : chacun son job

Thierry Denoël Journaliste au Vif

Ça a chauffé mercredi matin à la commission d’enquête parlementaire sur le Kazakhgate. Plusieurs députés pestaient de se voir doubler par la presse. Mais qui n’a pas correctement fait son job dans cette affaire?

L’agent-brigadier, qui, lorsqu’il était à Waterloo en 1996, a rédigé le premier PV sur Patokh Chodiev dans le cadre de sa demande de naturalisation, devait y être auditionné, après les révélations du Vif et du Standaard. Plusieurs députés pestaient de se voir ainsi doubler par la presse. Mais qui n’a pas correctement fait son job dans cette affaire?

Les choses n’ont pas traîné suite aux révélations, deux jours plus tôt, du Vif et du Standaard qui avaient retrouvé ledit policier. Mais cette précipitation n’était pas du goût de tous les députés de la commission, qui se sont senti bousculés. « Cette enquête est pilotée par les journalistes », a déploré l’un d’entre eux alors que la commission débattait de l’audition du policier. Les journalistes en font-ils trop ?

C’est en voyant la Commission peiner à éclaircir le mystère du rapport de l’agent-brigadier sur Chodiev (qualifié de faux, devant la Commission, par le commissaire de Waterloo Michel Vandewalle) que Le Vif et De Standaard ont voulu retrouver ce policier. Peut-on reprocher à la presse de faire le boulot que n’ont fait ni la justice ni le Comité P ni même la Commission parlementaire (qui aurait pu d’emblée s’interroger sur l’identité de cet agent pour l’entendre) ? Il nous semblait évidemment primordial de recueillir son témoignage. Se contenter de la version de Vandewalle, qui, à l’époque était commissaire dans la commune où Serge Kubla (MR) régnait en bourgmestre tout puissant, n’est évidemment pas satisfaisant. Ni aujourd’hui, ni en 2002 lorsque le journal De Morgen avait évoqué deux rapports sur la naturalisation de Chodiev, l’un négatif (signé par l’agent brigadier) l’autre positif (signé par Vandewalle).

C’était d’autant moins satisfaisant que le dossier de Chodiev – et donc tous les PV qui concernent sa naturalisation – a très curieusement disparu des archives de la police de Waterloo. Une vraie histoire belge ! Vandewalle a dit à la Commission que c’est en 2002 qu’il aurait découvert que les documents s’étaient volatilisés. Il a confié ses soupçons à la Commission, à huis-clos, en évoquant d’abord en public qu’il s’agissait de « quelqu’un qui était dans les services de police ». Mais on sait aujourd’hui qu’il n’y a pas eu de véritable enquête sur cette disparition d’archives (dans des locaux de police, tout de même !), ni de la part du Comité P ni de la justice, et ce alors qu’en 2002 on savait, depuis belle lurette, que le trio kazakh trempait dans le scandale Tractebel.

Pourquoi aucune plainte n’a-t-elle alors été déposée ? Ce « quelqu’un », évoqué par Vandewalle, a-t-il été inquiété ? Pas à notre connaissance. Pourquoi tout cela n’a-t-il pas intrigué le Comité P, à l’époque, alors que cela concernait Chodiev ? On ne peut que constater, dans ce dossier, d’énormes lacunes. Ce trou noir est interpellant et ne contribue qu’à jeter davantage de suspicion dans une affaire où plane en permanence le nom des Ouzbeko-Kazakhs. Mercredi, la Commission parlementaire a demandé au Comité P – qui, rappelons-le, dépend du Parlement – d’enfin enquêter sur ces différents rapports de la police de Waterloo et sur la disparition de documents dans les archives. Espérons que l’enquête sera, cette fois, à la hauteur, même si, quinze à vingt ans après les faits, ce sera très compliqué.

Que de temps perdu, même par l’actuelle Commission d’enquête qui, disposant de véritables pouvoirs d’investigation, aurait pu (aurait du) demander tout de suite au magistrat instructeur qui accompagne ses travaux d’effectuer une visite dans les garages de la police waterlootoise, où se trouvent les archives, pour se rendre compte de l’ampleur des dégâts. Elle aurait ainsi pu vérifier si le dossier de Madame Chodieva, qui a aussi fait l’objet de rapports négatifs de la part de l’agent brigadier, se trouvait, lui, toujours à sa place et si les carnets listant les numéros de PV de 1996 à 1998 est toujours présent. Si ces archives-là ont également disparu, il faudra tout de même s’inquiéter sérieusement de la gestion de la sécurité à la police de Waterloo. Et se poser la question cruciale : qui ces disparitions arrangent-elles ? C’est sans doute déjà trop tard.

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