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Justice : « zéro pointé » pour le bilan de la ministre Annemie Turtelboom

Le Vif

Les associations professionnelles et de défense des droits de l’Homme actives en matière de justice pénale et pénitentiaire ont dressé mardi le bilan de l’action du gouvernement Di Rupo, qu’elles estiment « désastreux ». La section belge de l’Observatoire international des Prisons (OIP) a pointé du doigt manquements, défaillances et erreurs commises par le gouvernement, évoquant notamment la surpopulation des prisons, le « développement frénétique » de la surveillance électronique ou encore les politiques sécuritaires et de « l’émocratie ».

A l’issue de la législature, le regard se porte inévitablement sur le bilan de la ministre de la Justice Annemie Turtelboom. « Et le bilan est très sévère! Devrait-on lui donner un zéro pointé ou lui accorder une cote de présence? « , s’interroge Me Alexis Deswaef, président de la Ligue des droits de l’Homme (LDH). « On n’espère en tous cas pas la retrouver en septembre et, à la LDH, nous n’avons pas peur de dire qu’il s’agit d’une erreur de casting. »

Me Michel Vlies, bâtonnier du Barreau de Bruxelles, appuie cette réflexion mais précise qu’il s’agit ici d’une responsabilité gouvernementale et non de la seule ministre de la Justice.
« La Justice est à l’image de son palais bruxellois et d’autres de ses palais dans le pays. Elle se lézarde. Ses locaux se vident. Il n’y a pas de pilote dans l’avion! « , se désole-t-il.

« Nous assistons à un pourrissement de la situation pénitentiaire dans notre pays », embraye Hervé Louveaux, au nom de l’Association syndicale des magistrats. L’Union professionnelle de la magistrature, qui a l’impression de ne pas avoir été entendue, s’inquiète également de l’état de pauvreté de la Justice.

Toujours sur le volet des infrastructures, l’OIP déplore quant à lui la multiplicité des masterplans « uniquement centrés » sur la construction de nouvelles prisons. « En faisant le choix d’un partenariat avec le privé pour la construction et la maintenance de plusieurs prisons – qui seront louées à l’Etat à un prix exorbitant -, nos dirigeants nous ont endettés pour plusieurs générations », dénonce Juliette Moreau, présidente de la section belge de l’OIP. L’Etat doit ainsi débourser des indemnités annuelles allant de 12,1 à 15 millions d’euros pour plusieurs établissements pénitentiaires.

« Le taux de détenus en attente de procès dans notre pays est beaucoup trop élevé et l’accès à la libération conditionnelle a été rendu plus difficile, ce qui ne fait qu’augmenter le problème de surpopulation carcérale. Et la seule réponse apportée, c’est la construction de nouvelles prisons », tonne Alexis Deswaef, qui parle de « populisme pénal » de la part d’Annemie Turtelboom, qui « joue sur les émotions » pour annoncer des mesures sécuritaires.

Une « politique clairement sécuritaire » que regrette l’OIP, selon qui les mesures adoptées ont eu pour conséquence de diminuer les droits des personnes détenues (renforcement des mesures et sanctions disciplinaires, la systématisation de la fouille au corps ou encore l’exclusion du travail pénitentiaire de la législation sur le travail).

La surveillance électronique, développée de manière « frénétique », est aussi sous le feu des critiques, pour le renforcement de l’arsenal répressif qu’elle engendre. Les sans-papiers, les sans-domicile et les plus précarisés sont pourtant exclus du principe même d’une telle surveillance et ceux-ci purgeront leurs peines dans des taudis insalubres telles que les prisons de Forest ou d’Anvers, répond Juliette Moreau.

« Les politiques sécuritaires et de ‘l’émocratie’ nécessitent des dépenses colossales, sans aucun effet sur la diminution de la criminalité: location de la prison de Tilburg (Pays-Bas), mesures anti-évasions, prisons construites et gérées par le privé, … », critique encore l’OIP, constatant que le pouvoir exécutif prend des décisions « irréfléchies ou incohérentes » et que le pouvoir parlementaire ne réagit que peu face à cette situation.

« Plusieurs lois ont, sans la moindre réflexion, aboli ou affaibli des principes essentiels à notre Etat de droit comme la possibilité offerte aux juridictions d’instruction de siéger désormais en prison et non au palais de justice. »

Juliette Moreau pointe encore du doigt la soumission des honoraires d’avocats à la TVA, qui « participe à faire de la Justice un produit de luxe » et dont les classes moyennes sont les victimes.

La situation actuelle de l’aide juridique, « traitée avec mépris », est également critiquée. L’enveloppe fermée de 69 millions d’euros qui y est allouée n’est pas suffisante pour Michel Vlies. « Plus il y a de demandes, moins les avocats sont payés. Or les besoins augmentent et il faut y intégrer les dispositions prévues par la loi Salduz. » Le bâtonnier du Barreau de Bruxelles craint un étiolement progressif de cette aide juridique.

Les acteurs de la justice dans leur ensemble se sont rangés derrière les préoccupations et critiques de l’OIP: avocats, magistrats, commissions de surveillance, universités, associations, directeurs de prisons, Ligue des Droits de l’Homme, médecins pénitentiaires. Certains ont fait grève pour la première fois sous cette législature.

Tous trouvent inquiétant de ne pas être considérés comme des interlocuteurs valables et pertinents et déclarent éprouver un « fort sentiment d’indignation ». Ils exhortent le prochain gouvernement à faire le choix d' »une politique pénale dynamique, prônant les changements qui s’imposent et se fondant sur une vision à long terme et cohérente », à l’opposé de ce qu’il se passe actuellement. Ils demandent dès lors l’organisation d’une concertation nationale structurée.

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