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Justice : la rebuffade des juges

La cour d’appel de Mons, réunie en assemblée générale, dit à l’unanimité niet au « Collège des cours et tribunaux » voulu par le ministre de la Justice, Stefaan De Clerck. Petits et grands principes seraient en danger. Explications et interview.

Depuis de nombreux mois, la cour d’appel de Mons s’est souvent montrée en pointe dans le positionnement de la justice (du moins francophone) à l’égard du monde politique.

C’est à nouveau le cas ce mercredi car, à l’issue d’une assemblée générale, les magistrats de cette cour ont réagi à une « initiative législative » (destinée à devenir proposition de loi) que le ministre de la Justice, Stefaan de Clerck (CD&V), avait fait connaître le 14 juin dernier. Il s’agissait d’ajouter un chapitre au Code judiciaire afin de mettre en place un « Collège des cours et tribunaux » réunissant des chefs de corps de la magistrature assise (ou le « siège », soit les juges de fond).

Ce collège serait censé représenter l’intérêt général du siège, veiller au respect des principes fondamentaux du pouvoir judiciaire, assurer la qualité du service rendu au public ainsi que celle de la jurisprudence, gérer les besoins des différentes juridictions en moyens humains, matériels et financiers et, enfin, développer un instrument de mesure de la charge de travail des magistrats.

Directives impératives

Or Mons ne croit pas aux vertus supposées de ce Collège, qui pourrait tantôt émettre des directives impératives à l’adresse des « patrons » des cours et tribunaux, tantôt agir par voie de recommandations. La cour d’appel s’étonne aussi que Stefaan De Clerck ait assuré qu’il s’agissait de répondre à une demande « exprimée tant par la magistrature que l’autorité », alors qu' »aucune situation où le besoin d’un organe centralisé du siège » ne se serait en réalité fait sentir.

De toute façon, pour les magistrats, il y aurait également contradiction entre ce besoin, affirmé par le ministre, et la logique du formateur gouvernemental qui, au contraire, prône « une grande réforme de décentralisation de la gestion des budgets et du personnel du pouvoir judiciaire ».

Les magistrats souhaitent donc que le Parlement traite lui-même l’encadrement et le financement des juridictions, en veillant au passage à l’indépendance du pouvoir judiciaire, car ils estiment que la délégation de ces prérogatives au conseil d’administration du Collège (13 magistrats) entraînerait une « proximité inadéquate » entre le ministre, donc l’exécutif, et ledit pouvoir judiciaire.

Ils estiment de surcroît qu’il y aurait risque de « discrimination entre les juridictions du pays, selon qu’elles auraient ou n’auraient pas un délégué au CA du Collège ».

Enfin, Mons rappelle que le pouvoir judiciaire est seul habilité à créer du droit jurisprudentiel « qui s’élabore au terme de débats contradictoires et équitables », plutôt qu’en caucus, et dont la cohérence est, au besoin, d’ores et déjà assurée par la Cour de cassation.

Roland Planchar

Trois questions à Jean-Louis Franeau, Premier président de la cour d’appel de Mons Peut-on vraiment dire que le projet de M. De Clerck est une tentative d’intrusion du pouvoir exécutif dans les prérogatives judiciaires ?

Je crains bien que oui. Je me fonde surtout sur les commentaires qu’il a donnés lui-même, en lançant son « initiative ». Il a par exemple clairement dit qu’il existera un moyen pour le ministre – donc pour l’exécutif ! – d’influencer la jurisprudence via les injonctions positives. Or auparavant, celles-ci n’étaient utilisables qu’à l’égard des parquets généraux et des parquets, et pas envers le siège. C’est une immixtion claire de l’exécutif dans le judiciaire. Pour moi, c’est très regrettable par rapport à l’idée que je me fais de l’équilibre des pouvoirs dans une démocratie.

Croyez-vous que, entre votre vision des choses et celle du ministre, il puisse exister l’équivalent d’une fracture Nord/Sud ?

Je n’ai pas de contacts avec tous les chefs de corps du Nord, mais je ne sens guère d’opposition à l’initiative du ministre parmi ceux que je fréquente. De plus, en juin dernier, l’assemblée générale de la Cour de cassation avait demandé à son Premier président de refuser de présider ce Collège, et on sait qu’il y a effectivement renoncé. Mais j’ai constaté que le Premier président de la cour d’appel d’Anvers s’est aussitôt proposé et préside déjà un Collège provisoire…

Qu’attendez-vous du prochain gouvernement ?

Qu’il demande au Parlement de diriger le bon fonctionnement de la justice et de permettre une véritable décentralisation, afin que les chefs de corps aient une responsabilité directe dans l’organisation de la justice. Il faudrait aussi, concrètement, qu’il légifère par exemple sur les critères objectifs de répartition du financement des juridictions. Nous sommes demandeurs et, s’ils sont clairs, nous appliquerions avec exactitude des critères objectifs, par exemple fondés sur les chiffres de population ou des caractéristiques criminogènes.

R.P.

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