Nicolas De Decker

Johan Van Overtveldt, une certaine idée de l’incompétence

Nicolas De Decker Journaliste au Vif

C’est d’un grand dommage pour la science et encore plus pour ses sujets d’étude, mais la psychologie systémique envisage peu les boîtes crâniennes des politiques.

Le psychisme d’un politicien est pourtant soumis à de tels stimuli qu’il recèle souvent de ces trésors de névrose et de ces merveilles de psychoses qui font avancer la connaissance des profondeurs de l’âme humaine. Pensons à ce concept de double contrainte, que, depuis son bureau de Palo Alto, l’Anglo-Américain Gregory Bateson considérait comme une des causes de la schizophrénie. Il évoquait ces injonctions paradoxales par lesquelles le contexte de l’énoncé annule l’énoncé lui-même, paralysant par ce fait même la personne qui le reçoit.

Interdire à quelqu’un d’obéir, c’est ainsi de la double contrainte.

Forcer quelqu’un à être spontané, c’est ainsi et aussi une injonction paradoxale.

Or, aujourd’hui, les exigences qui s’imposent au monde politique pourraient remplir tous les rayons de toutes les bibliothèques de tous les dictionnaires de l’injonction paradoxale et des encyclopédies de la double contrainte.

Car nous, journalistes, et vous, opinion publique, avons fait du monde politique une usine à schizophrènes.

Regardez un peu.

Aujourd’hui, chez nous, pour réussir une carrière politique, il faut :

1.a) Être bien élu par beaucoup d’électeurs, car sinon on est une créature de la particratie

MAIS

b) ne pas vouloir être élu par beaucoup d’électeurs, car sinon c’est de l’électoralisme et de l’opportunisme et de la lâcheté et où sont les hommes d’Etat courageux ?

2. a) Être réactif et à l’écoute et attentif aux préoccupations de l’opinion publique, car sinon on est inhumain

MAIS

b) ne pas se laisser guider par les flux et les reflux de l’opinion publique, car sinon on est un démagogue

3. a) Avoir des valeurs et un idéal, car sinon on est une girouette et un invertébré qui ne pense qu’à la prochaine échéance électorale sans vision à long terme

MAIS

b) ne pas poser d’actes en fonction de ces valeurs, car sinon on est un idéologue et ce n’est pas pragmatique

4. a) Travailler toute les journées et toutes les nuits au parlement, car sinon on est un fainéant et un profiteur

MAIS

b) être toujours sur le terrain, passer ses journées et ses nuits avec les vraies gens et leurs vrais problèmes, et faire soi-même ses courses et s’acheter soi-même son ticket de métro comme un homme ordinaire, car sinon on est déconnecté du quotidien de la population.

5. a) Ne pas montrer qu’on sait trop bien de quoi on parle, car sinon on est un prétentieux et un technocrate

mais

b) tout connaître sur tout et en particulier sur les dossiers dont on s’occupe, depuis le début et jusqu’à la fin, car sinon on est un incompétent.

Entre autres.

Difficile de ne pas devenir fou. En politique il y en a, peu, qui le sont depuis toujours et il y en a, beaucoup, qui le sont devenus.

Dans tous les parlements.

Dans tous les gouvernements.

Dans tous les partis.

Mais pas Johan Van Overtveldt.

Le ministre N-VA des Finances, ancien journaliste économique (voir 4b) et enthousiaste zélateur du capitalisme dérégulé.

Cette semaine, on l’a beaucoup taxé d’incompétence (voir 5b).

Tout ça parce que son gouvernement doit trouver deux ou trois milliards d’euros d’urgence et que c’est parce qu’il n’a pas été capable de récolter l’argent qu’il avait promis de récolter au moment où ses amis et lui demandaient à pouvoir dépenser cet argent qu’il promettait de récolter.

Or Johan Van Overtveldt n’a rien d’un incompétent de type 5b.

Il est ennuyeux (voir 1b et 5a), il n’est pas très beau (voir 4b), il est flamand, il est nationaliste (voir 3a), il est libéral (voir 3a itou), ça oui.

Mais il est tout sauf incompétent.

Et il n’est pas fou du tout. Il n’est pas schizophrène. Il est tout ce qu’il y a de plus cohérent. Il est même pour tout dire monomaniaque. Et il sait ce qu’il fait (voir 3a et 5b).

C’est que l’Etat belge l’énerve. Parce qu’il est belge, bien sûr. Mais surtout par ce que c’est un Etat. Car le nationaliste flamand qui est ministre belge des Finances n’aime pas la Belgique, et il déteste les impôts (voir 3a et 5b).

Et avec ça il raisonne simplement.

Johan Van Overtveldt fait croire qu’il va faire rentrer des impôts dans les caisses de l’Etat belge, fait programmer des dépenses, puis ne fait rien rentrer dans les caisses de l’Etat belge (voir 3a et 5b).

Donc il contraint l’Etat belge à une contrainte double, mais qui n’est pas une injonction paradoxale : pour équilibrer ses comptes, le gouvernement fédéral va 1) éroder, délaisser ou abandonner certaines missions et services publics, notamment sociaux, qui relèvent de la solidarité interpersonnelle nationale et 2)autoriser, obliger ou encourager le marché ou d’autres niveaux de pouvoir, notamment régionaux, à se charger des missions et services érodés, délaissés ou abandonnés.

C’est comme ça que Johan Van Overtveldt sortira de cet ajustement budgétaire et de cette législature avec moins d’Etat d’abord et moins de Belgique ensuite (voir 3a et 5b).

L’opposition crie, déplore l’incompétence et le manque de professionnalisme de Johan Van Overtveldt. Même certains partenaires au gouvernement s’en torsadent un peu bruyamment le pharynx.

Il s’en fout, Johan Van Overtveldt. Parce qu’à la fin, il aura ce qu’il voulait depuis le début : moins d’Etat donc moins de Belgique.

Ca tombe bien, c’est aussi ce que son parti voulait (voir 1a).

C’est donc bien qu’il est vachement compétent (revoir 5b).

Et pas fou (revoir 3a).

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