Kevin De Bruyne, au moment de sa blessure, lors de Belgique - Portugal. © Belga

Jean-Michel De Waele et l’Euro 2020: « La Belgique continue à entretenir un complexe d’infériorité »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Le professeur de l’ULB décode les racines de la « guerre symbolique » entre Belges et Français, dans une Europe où les identités s’expriment de plus en plus fort. L’autodénigrement belge et des médias devenus supporters expliquent aussi cette rivalité disproportionnée.

Que pensez-vous de cette rivalité Belgique – France, qui s’exprime encore fortement par des moqueries, notamment, après l’élimination de nos voisins à l’Euro?

Je pense que cela atteint des proportions tout à fait étonnantes et disproportionnées. Les Belges ne doivent quand même pas oublier que cette équipe de France est merveilleuse, avec des joueurs hors normes. Bien sûr, ils sont éliminés, mais cela n’en reste pas moins un pays capable de former des jeunes joueurs de façon impressionnante. Il y a quand même bien des points positifs à mettre en avant.

Il faut reconnaître que les Français récoltent en partie ce qu’ils ont semé ces dernières semaines avec cette arrogance affichée en une de L’Equipe, le « mangez des frites » d’un consultant sur la chaîne du quotidien ou les messages diffusés par SoFoot au sujet du « Seum »,même si c’étai souventt fait avec humour. Je suis persuadé que les Belges francophones ont polarisé cette question en raison du ton d’une certaine presse française.

Ceci dit, les Français ne sont pas les seuls à avoir des expressions nationalistes pour le moment. Quand on voit l’hystérie ou Italie, en Espagne, en Croatie… on doit pouvoir regarder ailleurs.

On assiste à une montée politique identitaire depuis des années en Europe : cet Euro en serait-il le reflet?

C’est le révélateur de cela aussi, oui. Ceci dit, le football permet aussi d’affirmer une identité de façon positive. On peut être Belge, Français, Suisse, Croate, se déguiser, porter haut le drapeau et boire des verres avec les supporters adverses.

Il y a quand même très peu de violence dans tout cela, on reste surtout dans l’ordre du symbolique. La plupart de ces expressions sont folkloriques et pas trop méchantes. Rappelons tout de même qu’il y avait une époque où l’on avait peur d’organiser des rencontres en Europe par crainte des hooligans. On peut exprimer son attachement à une identité dans un monde globalisé, sans que cela ne prête à conséquence.

« Le football, c’est la guerre poursuivie par d’autres moyens », disait précisément George Orwell.

C’est une guerre symbolique, oui, avec de la civilité. Il faut aussi faire attention à l’expression des réseaux sociaux qui exacerbent les choses, il faut pouvoir sortir de cette bulle.

Des Français expriment leur stupéfaction d’avoir vu les Belges fêter la défaite de la France dans la rue ou les cafés, ce ne sont pas que les réseaux sociaux, si?

C’est vrai et c’est sans doute le reflet de ce complexe d’infériorité que l’on nourrit à l’encontre de notre grand voisin. Cela remonte à l’époque des blagues de Coluche contre les Belges, qui ne seraient plus considérées aujourd’hui comme du politiquement correct. Nous aimons la belle Marianne, mais nous sommes vexés que l’on se moque des mangeurs de frites et de ce « une fois » que l’on nous renvoie en permanence.

Malgré la mode belge qui prévaut en France dans le domaine culturel, avec Stromae et tant d’autres, les clichés n’ont pas fondamentalement changé. Ceux qui peuvent le mieux comprendre ça, ce sont les Suisses francophones qui n’en peuvent plus non plus es blagues françaises. Paradoxalement, d’ailleurs, ce sont eux qui ont mis fin au rêve français à l’Euro.

Certains médias jouent un rôle dans cette rivalité?

Je le pense, oui. Mais ce qui me frappe beaucoup dans cet Euro, c’est l’attitude des chaînes qui retransmettent les matchs : nous n’avons plus des commentateurs à l’antenne, mais des supporters. Moi, cela me pose question de voir que les journalistes de la RTBF exultent quand les Diables rouges marquent. Je n’attends pas ça d’eux, mais bien des analyses, qu’ils nous apprennent des choses que l’on ne sait pas.

De même, je suis frappé par ce complexe d’infériorité que la Belgique entretient en permanence à travers ses médias, notamment, et dans l’opinion publique en général. Avant le match face au Portugal, nous avions « une boule au ventre », comme si on ne pouvait gagner des matchs que contre la Finlande. Alors que nous sommes quand même la première nation au classement de la FIFA.

Ce mélange entre le côté supporter et ce complexe d’infériorité explique sans doute toutes ces réactions.

Maintenant, c’est le tour de l’Italie et l’attitude est la même, on rappelle que nous n’avons jamais battu cette équipe en tournoi officiel. Cet autodénigrement permanent, cette capacité à prendre le bâton pour se faire battre, cela me frappe. C’est ce qui me fait d’ailleurs dire que l’on ne risque pas de gagner cet Euro : pour aller au bout, il faut avoir confiance en soi.

Les joueurs eux-mêmes ont peut-être cette confiance, non?

C’est vrai. Eux, ils joiuent à l’étranger et ont adopté une autre mentalité.

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