Jean-Marie Vanoirbeek © ML

Jean-Marie, le policier polyglotte qui rayonne

Muriel Lefevre

Au pied de l’Atomium, nichée dans un écrin de verdure, se trouve la brigade canine de Laeken. C’est là que travaille Jean-Marie Vanoirbeek, le policier polyglotte qui fait le buzz sur internet depuis quelques semaines. Mais « papa Jean-Marie », comme il aime s’appeler, n’est pas seulement doué pour les langues. Policier atypique, qui collectionne les tatouages – au rythme soutenu d’un nouveau chaque mois -, c’est surtout un homme surprenant qui place la compassion au centre de sa vie.

Lorsqu’il sort des humanités à 18 ans, Jean-Marie Vanoirbeek ne sait pas vraiment ce qu’il veut faire de sa vie. S’il choisit la police, c’est parce que son parrain lui indique que cette institution engage. On ne saurait donc parler de vocation lorsqu’il commence sous l’uniforme un beau jour de juillet 1981. Mais il va tout de même en gravir progressivement les échelons et intégrer la brigade canine de Laeken. « Par amour des chiens », dit-il. Mais aussi pour celui des hommes, car « la présence d’animaux facilite la discussion et apaise les esprits ».

Jean-Marie Vanoirbeek devant les bureaux de la Brigade Canine
Jean-Marie Vanoirbeek devant les bureaux de la Brigade Canine © ML

L’échange avec les autres et l’ouverture d’esprit, c’est justement ce qui rend Jean-Marie Vanoirbeek heureux. « Mes collègues me disent que je rayonne quand je parle aux autres. Je pense que c’est vrai. Cela me fait sortir du quotidien. Moi, qui n’ai jamais été que deux fois en Espagne ou encore à Blankenberge avec ma mère, ça me permet de voyager, de m’ouvrir au monde. Les nombreux échanges que j’ai eu durant ces années m’ont permis de réaliser une chose : nous sommes tous les mêmes, identiques. C’est vrai, il existe différentes coutumes, mais on aime tous nos parents et on a tous besoin d’un toit. Les gens restent trop sur leur clivage. Faire tomber les préjugés et découvrir la richesse des différentes cultures sont les vrais secrets du vivre ensemble. Dans un même quartier, on peut dire que les jeunes et les policiers vivent parfois sur des îles différentes, c’est souvent l’incompréhension qui domine. J’accepte d’ailleurs que le premier contact soit négatif. Mais il suffit souvent de quelques mots pour que la tension tombe. »

« Je reste persuadé que tant qu’il a du respect, on peut aller au-delà de la méfiance. Après tout, je suis au service de la population et je me dois de rester respectueux. Je ne juge pas mes collègues, car tout le monde réagit différemment, selon ses origines. Moi je viens du bas de Saint-Gilles, à Bruxelles, et je sais ce qu’est la précarité. C’est sans doute pour cela que j’arrive plus facilement à engager la conversation, car dans le fond, je les comprends, je sais ce qu’ils vivent. » Jean-Marie Vanoirbeek avoue aussi l’immense admiration qu’il porte à son beau-père, un émigré dont l’exemple lui a certainement été d’une aide précieuse pour l’aider à grandir au travers des autres.

Le policier polyglotte, le policier star

Jean-Marie Vanoirbeek
Jean-Marie Vanoirbeek© ML

Sa gloire du moment, le policier la doit à son don pour les langues. Mieux connu sur internet sous le surnom du « policier polyglotte », Jean-Marie Vanoirbeek rigole de cette soudaine et, dit-il lui-même, éphémère renommée.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

« Ce sont des jeunes dans la Rue Neuve qui m’ont demandé s’ils pouvaient me filmer. N’y voyant aucun mal, j’ai accepté. Le lendemain ma collègue m’appelle, presque en pleine nuit, un peu alarmée, pour me dire que j’étais sur Facebook et que la vidéo se partageait à la vitesse de l’éclair. Moi j’ai levé les épaules et suis retourné dormir. Du moment que ça a fait plaisir aux jeunes. Et puis ça donne une image sympa de la police non ? »

Quant à l’apprentissage des différentes langues, il les doit aux multiples rencontres qui ont émaillé sa vie. Le néerlandais et l’anglais, il les a appris à l’école. L’espagnol, il l’a acquis grâce à des amis qu’il fréquentait en humanité et à leur famille. Le Lingala, il l’a appris avec le père des amies de ses filles, rencontré sur le chemin de l’école. Pareil pour le grec, le polonais et le yougoslave. Ou encore le turc et le marocain via des collègues. L’hébreu, il en a appris les rudiments en effectuant des surveillances devant les écoles juives. « C’est d’ailleurs marrant, il existe de véritables similitudes entre l’arabe et l’hébreu « . Il maîtrise aussi un peu le rwandais. De son propre aveu, il n’est cependant pas question ici d’une maîtrise de ces langues, mais de quelques bases qui permettent d’engager la conversation. C’est justement le fait que beaucoup des gens soient si fermés qui plombe le moral du policier. « Lorsqu’un homme me remercie d’avoir parlé dans sa langue, cela provoque une petite tristesse en moi. Comment peut-on me remercier pour si peu ? « 

Quand on lui demande si c’est pour cette raison qu’il s’est fait tatouer une larme au coin de l’oeil, il répond « Pour ça, mais aussi pour d’autres tristesses, comme la mort de mes parents et la bêtise du monde. Je suis en quelque sorte un clown triste. Il fait rire, mais il pleure aussi. Dans quel monde vit-on ? « 

Une famille de Libanais maronites rencontrés lors d’une patrouille et qu’il a cherché à sauver de l’expulsion est d’ailleurs l’une des raisons de cette larme qu’il s’est fait tatouer il y a 6 mois. « Un dimanche, le fils m’appelle, pour me dire que des policiers ont arrêté le père en vue de l’expulser. Pourtant sa tête est mise à prix dans son pays. Tout de suite, je décide de faire quelque chose et je lance une pétition avec la phrase suivante « J’aime les pays où, lorsqu’on vient sonner à la porte à 6 heures du matin, ce n’est que le laitier ».  » À la question de savoir s’il ne craint pas les blâmes de sa direction, il répond sans ciller que « la démarche était personnelle. Je suis profondément humaniste et je trouve que ces gens qu’on enferme pour rien sont une preuve de la bêtise humaine. Je suis un homme avant tout. » Pour sauver cette famille, le policier ne ménage pas ses efforts et va alors taper à toutes les portes, sans succès. Jusqu’à ce qu’il trouve un avocat spécialisé qui va découvrir une faille juridique qui permette à la famille de rester en Belgique. C’est ce que Jean-Marie appelle ses « contes de fées ».

L’autre conte de fées du policier, c’est l’histoire de son oncle, connu sous le sobriquet du Petit Robert, le roi de la cavale. Son oncle est d’ailleurs au coeur du grand tatouage vieux de 20 ans qu’il a sur le bras.

Jean-Marie Vanoirbeek et l'un de ses tatouages. Celui-ci représente son oncle, le temps qui passe et un mantra bouddhique sur la compassion.
Jean-Marie Vanoirbeek et l’un de ses tatouages. Celui-ci représente son oncle, le temps qui passe et un mantra bouddhique sur la compassion.© ML

Ce tatouage raconte la privation de liberté, le temps qui passe inexorablement et la compassion qui est au coeur de sa vie. Ce n’est pas le seul tatouage du policier, loin de là, puisque son corps en est recouvert. Il ne compte d’ailleurs pas s’arrêter en si bon chemin. Si les premiers tatouages datent de plus de trente ans, beaucoup sont nouveaux. À 52 ans, le policier s’esclaffe en guise d’explication « j’aime ça, et j’ai décidé de me faire plaisir et d’en profiter. Ce n’est pas plus cher que des cigarettes, alors c’est un nouveau tous les mois ».

Le policier et le grand bandit

« Quand j’étais petit, mon père, qui avait quitté ma mère, ne s’est pas beaucoup occupé de moi. Vers 20 ans, j’ai cherché à le retrouver. Pas très difficile, il était employé à la poste. En le retrouvant, j’ai aussi retrouvé deux tantes et un oncle dont je n’avais plus que de vagues souvenirs. Or cet oncle n’était rien de moins que Petit Robert, le roi de la cavale. Il faisait partie du grand banditisme et était, en quelque sorte, l’ennemi numéro 1 en Belgique durant les années 1970 et 1980. Ce n’était pas un ange, mais ce n’était pas un monstre pour autant. Certains le surnommaient même  » le cambrioleur gentleman « , c’est dire. Seulement, suite à différentes évasions – il s’est tout de même échappé 6 fois au total – le système pénitentiaire l’a pris en grippe et décide de cumuler ses peines. Il est resté 10 ans à l’isolement. Dès que j’ai repris contact avec ma famille paternelle, j’ai été le voir aussi souvent que possible à la prison de Verviers. »

Cette découverte du monde carcéral l’interpelle et va lui faire voir l’autre côté du miroir. Jean-Marie va alors multiplier les démarches pour faire sortir son oncle avant la fin effective de sa peine. Des démarches payantes puisque le 28 mai 1996 son « oncle sort par la grande porte ».  » Il a quitté le milieu bruxellois et travaille maintenant comme aide-soignant », précise-t-il fièrement. La preuve, selon Jean-Marie, qu’une réinsertion paisible est possible.

En guise de boutade, son oncle, goguenard, lui avait un jour lancé « Au fond, on est tous dans l’administration. Ton père à la poste, toi à la police et moi dans la prison ». Et Jean-Marie de conclure: « C’est pas faux. »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire