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Jean-Luc Crucke : « Pas besoin de De Wever pour nous réformer »

Le Vif

La Wallonie profite de l’action du fédéral, affirme Jean-Luc Crucke, vice-président du MR. Le président de la N-VA ne parle qu’aux Flamands lorsqu’il évoque la flamandisation de la Belgique.

Député wallon aux accents régionalistes prononcés, Jean-Luc Crucke avait été le premier à plaider pour une alliance du MR avec la N-VA. Il ne regrette rien.

Le MR craint-il la crise interne à la N-VA parce qu’elle pourrait faire resurgir la nervosité communautaire ?

Depuis longtemps, je dis que la N-VA, comme les autres partis flamands d’ailleurs, parle d’abord aux Flamands avant de s’adresser à la Wallonie. Et c’est logique, parce que le système institutionnel est ainsi fait. La N-VA insiste sur le fait que c’est toujours la faute des Wallons comme d’autres en Wallonie la rejettent sur les Flamands. Ce petit jeu, il faut en sortir. Depuis la sixième réforme de l’Etat, nous avons de plus en plus de compétences au niveau régional et, si cela ne fonctionne pas, c’est avant tout la faute de ceux qui sont au pouvoir.

Mais ne sera-t-il pas plus difficile de gouverner au fédéral avec la N-VA si elle augmente la pression confédérale ?

La seule chose qui m’intéresse, c’est la responsabilité que l’on assume quand on est au pouvoir. La N-VA s’est engagée à mener des réformes sociales et économiques et je constate que c’est un partenaire loyal, à aucun moment on ne la prise en défaut. Cette réforme du pays sert tout autant Bruxelles et la Wallonie que la Flandre.

L’action du fédéral est donc bonne pour la Wallonie ?

Une réforme socio-économique bien faite au fédéral, c’est bon pour tout le monde. Et j’aimerais de temps en temps que les partis flamands, en ce compris la N-VA, comprennent que lorsque l’on fait des réformes pour créer des richesses en Wallonie, c’est évidemment bon pour eux aussi. C’est dans l’intérêt de tous que la Wallonie et Bruxelles fonctionnent mieux. Les premiers partenaires commerciaux des Flamands, ce sont les Wallons, et vice-versa.

Bart De Wever se réjouit, dans sa lettre ouverte, d’une « flamandisation de l’Etat ». Cela a choqué du côté francophone…

J’ai bien entendu ce que le PS disait. C’est de la discussion à cinq balles : nous sommes dans le registre de « la faute de l’autre ». Quand De Wever joue à ça, je trouve qu’il tombe bien bas, c’est tout, les Wallons ne se feront plus attraper par ce message-là. Ce qu’il dit sur le plan communautaire ne m’intéresse pas, ce n’est pas cela qui fera en sorte que la Wallonie fonctionne mieux. La seule chose qui le permettra, ce sont des réformes internes et c’est un débat que nous devons avoir entre nous, pour lequel nous n’avons pas besoin des Flamands.

La pression de la N-VA ne demande-t-elle pas un débat entre francophones sur une régionalisation accrue à l’image des propositions du ministre-président, Rudi Vervoort, pour réformer Bruxelles ?

Oui, et c’est très bien. Monsieur Vervoort semble enfin comprendre un certain nombre de choses. C’est un vrai débat de savoir comment les Régions pourront avoir plus de moyens demain, pour mieux se gérer. L’enseignement est une des matières à régionaliser. Je sais qu’il n’y a pas d’unanimité au sein du MR à ce sujet, mais je continue à m’exprimer en ce sens à titre personnel, parce que cela ne fonctionne pas au niveau de la Communauté française. Cela va prendre du temps, nous ne sommes pas dans un pays de révolutions, mais d’évolutions. Mais encore une fois : pas besoin de De Wever pour ça.

Mais ce confédéralisme dont on parle…

Ça ne veut rien dire ! Ce vocable emmène trop de vérités et de contre-vérités. Moi, je prône quatre Régions fortes dans un Etat fort : voilà un schéma clair et lisible pour les citoyens. Je ne suis ni favorable à un rattachement à la France, ni à la suppression de l’Etat belge.

La bonne nouvelle, c’est que la N-VA semble avoir renoncé à son rêve indépendantiste…

J’ai toujours pensé qu’il y avait deux tendances au sein de la N-VA, l’une avec un profil davantage socio-économique, l’autre davantage flamingante – disons les choses comme elles sont. Le débat qui vient d’avoir lieu, c’est celui-là. Je n’ai pas à m’ériger en donneur de leçons : c’est leur problème. Mais je ne peux que me réjouir de leur volonté confirmée de mener des réformes libérales. Notre famille est au centre de cette majorité fédérale. Nous n’avons pas été pris en otages, nous faisons la synthèse.

Alors, une Suédoise 2, pourquoi pas ?

Là, je rejoins ceux qui disent que l’électeur décidera, ce serait une erreur de se prononcer trop tôt. Mais ce schéma permettant de poursuivre ces réformes serait intéressant, c’est clair, parce qu’il porte ses fruits. J’attends que l’on fasse en Wallonie le même travail concret. Vous ne m’entendrez jamais dire que tout va mal en Wallonie, il y a des choses merveilleuses ‒ et je suis bien placé pour le dire après l’avoir traversée à pied durant vingt-quatre jours, cet été.

Les ministres N-VA sont populaires en Wallonie, 19 % des Wallons seraient prêts à voter pour ce parti : cela signifie-t-il quelque chose ?

Je ne pense pas que 19 % des Wallons sont prêts à voter pour des flamingants, mais je suis sûr qu’ils sont plus de 20 % à vouloir des réformes profondes. Voilà le signe qui est donné. Or, cela fait quinze ans que nous sommes dans l’opposition régionale.

Cette popularité montre qu’un discours tranché n’effraye pas ?

Je répète souvent ce que disait Arnaud Decléty, qui fut ministre wallon de l’Economie : « Oser, risquer, gagner ». Je m’inscris dans cette tendance-là, qui ne cherche pas toujours à arrondir les angles ou à reporter les échéances budgétaires pour faire porter les charges sur les générations futures – la gauche gère la Wallonie de manière irresponsable.

Cela dit, le budget est compliqué au fédéral aussi, non ?

C’est le moins que l’on puisse dire, surtout si les prévisions budgétaires ne correspondent pas à ce qui a été annoncé. Mais je me permettrai de limiter mon propos à la Wallonie.

Vous, régionaliste, avez une complicité objective avec le nationalisme de la N-VA ?

Je ne parlerai pas de complicité, non. Quand la N-VA parle de communautaire, il n’y a rien qui peut nous rapprocher. Mais je constate qu’un politologue sérieux comme Dave Sinardet souligne qu’il n’y a pas de majorité en Flandre pour faire exploser ce pays. Peut-être que certains au sein de la N-VA s’en sont rendu compte.

La présence de la N-VA peut contribuer à sauver la Wallonie ?

(Silence) Non. Par contre, la présence de partis flamands, en ce compris la N-VA, permettant un programme gouvernemental tel qu’il a été convenu au fédéral, c’est profitable pour tout le monde, même pour la Wallonie. Je suis de ceux qui sont persuadés qu’il y aura encore une réforme de l’Etat, mais ce n’est pas l’urgence. Aujourd’hui, il faut réformer ce pays.

Pour cela, il faudra bien dix ans ?

C’est toujours dangereux de chiffrer. On ne détient pas toutes les clés.

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