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Jean-Luc Crucke: « Oui, la facture d’énergie est une deuxième feuille d’impôt »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Jean-Luc Crucke (MR), ministre wallon de l’Energie, veut sortir tous les cadavres du placard : fusion Ores-Resa, réforme de Publifin, départ de Moreau, pacte énergétique… Chaud devant !

Dans un entretien au Vif/L’Express, Jean-Luc Crucke (MR), ministre wallon en charge du dossier sensible de l’Energie, reconnaît que la facture est « une deuxième feuille d’impôt et promet de faire le ménage ». Les affaires ont secoué les intercommunales de la distribution, du scandale Publifin aux suspicions concernant Ores. La difficulté du gouvernement fédéral à confirmer la sortie du nucléaire à l’horizon 2025 démontre combien la transition énergétique est épineuse, au regard de nos engagements en matière de réchauffement climatique. Notre pays a tardé à prendre les devants. Le « système » semi-public est remis en question. Et les consommateurs ont bien des raisons d’être mécontents.

La facture : c’est un souci

En novembre 2017, l’association de consommateurs Test-Achats lançait une pétition pour interpeller les autorités sur le dérapage de la facture énergétique : « Pour une consommation d’électricité moyenne, elle est passée de 700 euros fin 2014 à presque 900 euros en septembre 2017. Ce qui nous a valu d’être, en 2016, le pays connaissant la plus forte hausse et d’occuper la troisième place dans le classement européen des pays au tarif le plus cher. » A ce jour, la pétition, qui réclamait également une commission d’enquête sur la question, a récolté près de 15 000 signatures.

« Je peux parfaitement m’inscrire dans cette réflexion-là, nous déclare Jean-Luc Crucke. La facture d’énergie est, en effet, devenue une deuxième feuille d’impôt. Le coût réel de l’électricité ne représente que 30 % de la facture. Tout le reste, ce sont des frais d’investissements – qui peuvent se justifier -, des taxes, des redevances, des obligations de service public (OSP : compteurs à budget, éclairage public, fourniture des clients protégés)… Au fil des ans, on a déplacé un certain nombre de politiques sur la facture, parfois à raison, parfois à tort. » Le ministre entend « mettre fin à la dérive des OSP qui se prenaient en catimini au sein du gouvernement et rejaillissaient dans la facture. L’ancien gouvernement voulait augmenter le nombre de clients protégés de façon aveugle. Nous avons opté pour un système plus juste dans lequel le CPAS joue le rôle d’alerte. » Le mal est toutefois bien plus profond que ces simples obligations.

Fusion des réseaux : pas de tergiversation possible

Test-Achats démontrait que les taxes et le coût des réseaux constituent les deux principales raisons du dérapage de la facture : « Sur ce qui est payé pour l’électricité, 78 % en moyenne vont en rémunération du réseau, en prélèvements et en TVA, et ce pourcentage est de 53 % pour le gaz naturel. » Pour le porte-parole de l’association de consommateurs, Jean-Philippe Ducart, c’est « un problème clairement politique ».

Les affaires Publifin et Ores ont mis en lumière un système complexe expliquant partiellement ces coûts trop élevés pour la distribution. La priorité politique de la nouvelle majorité wallonne, MR-CDH, est explicite : obtenir la fusion des deux distributeurs, Ores et Resa, filiale de Publifin en charge du réseau. « Tout pousse au rapprochement, insiste Jean-Luc Crucke. Ils font le même métier et il y a des coûts qui peuvent être diminués. Quand les Flamands ont opéré une révolution semblable au sein de la distribution, ils ont épargné 100 millions. C’est de l’argent qu’on peut investir ailleurs ou qui peut soulager la facture du citoyen. Mais il y a une histoire qui justifie la coexistence des deux distributeurs. On doit en tenir compte. Dans son analyse de notre décret-programme, la Cwape (régulateur wallon) se dit favorable à une harmonisation des tarifs mais évoque une période transitoire de dix ans. Ça me semble raisonnable. »

Le 9 février, Stéphane Moreau et Fernand Grifnée, dirigeants de Resa et d’Ores, se sont rencontrés pour évoquer une fusion. « Entre eux, il y a plus de proximité que je ne le percevais dans l’opposition, relève le ministre. Les cinq mois de la commission d’enquête sont passés par là. Une de ses conclusions, c’est que la distribution est un monopole public qui doit être isolé du reste du secteur de l’énergie. » Les ténors du MR et du PS liégeois, Daniel Bacquelaine et Jean-Claude Marcourt, ont conforté le scénario de fusion. Pas le bourgmestre de la Ville, Willy Demeyer (PS), ni la cheffe de file libérale Christine Defraigne. « J’appliquerai à la lettre les recommandations de la commission d’enquête », tranche Jean-Luc Crucke. Qui donne une date butoir : ce 16 mars, les dirigeants des deux distributeurs doivent confirmer leur volonté de convoler en justes noces et préciser le timing.

Départ de Moreau : ce n’est plus le débat

Stéphane Moreau va-t-il quitté Nethys/Publifin ? Et l’intercommunale va-t-elle abandonner ses participations dans des activités connexes, dont la presse ? « Au vu de l’évolution du dossier, on voit bien que le management de Nethys va faire un pas de côté, juge Jean-Luc Crucke. Dès lors qu’on prévoit un nouveau management pour Publifin, il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que c’est celui-là qui gèrera ce qui restera à gérer… Il y a trois mille personnes derrière et on ne change pas une telle société du jour au lendemain. L’intelligence du CA actuel de Nethys, c’est de comprendre que cette mutation de société – dont la vente d’outils concurrentiels qui n’ont rien à faire dans un groupe public, comme la presse – doit prendre du temps. »

Ores-Mitsch : fin de la récréation

Ores, la principale intercommunale de distribution en Wallonie, a aussi été dans la tourmente, l’an dernier. Jean-François Mitsch, conseiller communal socialiste de Genappe, mettait en doute un double marché colossal impliquant Electrabel et Ores, pour la revente du réseau, via sept intercommunales de financement. Les pouvoirs publics auraient été floués et le consommateur malmené dans sa facture. Fin janvier 2018, un rapport de l’administration wallonne, commandité par le gouvernement, a démenti toute entourloupe. « Je n’ai pas d’éléments me permettant de dire que les craintes soulevées attestent d’opérations soit frauduleuses, soit inéquitables par rapport au consommateur et aux actionnaires », acquiesce Jean-Luc Crucke.

Le conseiller communal, entre-temps exclu du PS, n’en démord pas. Il souligne que le rapport n’aborde pas les deux volets du marché incriminé et poursuit le démontage du mécanisme, éléments nouveaux à l’appui. « Il y a une instruction en cours, c’est le rôle de la justice et je ne vais pas m’y immiscer, écarte le ministre. Monsieur Mitsch a récemment téléphoné au cabinet pour dire qu’il avait de nouveaux éléments et qu’il voulait être reçu. Je mets fin à la récréation : qu’il nous les communique et on transmettra l’information à qui de droit pour l’analyser. Mais on ne va pas passer son temps dans des réunions pour un dossier les suspicions ne sont pas avérées. » Des cadavres dans les placards, c’est celui sur lequel le monde politique a décidé de serrer les rangs.

Dividendes aux communes : il faut oser y renoncer

Cette immersion dans le système de l’énergie en Belgique francophone a mis le doigt sur un mécanisme contestable : les communes, via les intercommunales dont elles sont actionnaires, touchent des dividendes, d’autant plus importants que la facture est élevée. Le ministre reconnaît que c’est « limite. Il y a un principe économique qui vaut pour tout monopole public : tout investissement doit permettre un retour raisonné et raisonnable. Mais il faut aussi reconnaître que ce dividende est un impôt supplémentaire pour le citoyen. La commune pourrait très bien y renoncer. La question mérite d’être posée. »

Bourgmestre de Frasnes-lez-Anvaing (Hainaut), Crucke reconnaît avoir toujours encaissé ces dividendes. « Ça m’a permis de maintenir les additionnels à l’IPP plus bas. D’autres ont gardé un IPP plus haut… Le débat mérite d’être posé mais il faut être réglo avec les communes, déjà en difficulté sur le plan budgétaires, et veiller à ce qu’elles soient refinancées. C’est un débat plus général que celui de l’électricité. »

Pacte énergétique : décider aujourd’hui

Conclu par les ministres régionaux de l’Energie sous l’égide de la ministre fédérale, Marie-Christine Marghem (MR), le Pacte énergétique confirme que la Belgique sortira du nucléaire en 2025. Mais l’approbation du texte reste suspendue à l’avis de la N-VA, qui a réclamé de chiffrer le processus. Le remplacement du nucléaire par les énergies renouvelables aura un coût qui risque, lui aussi, de se retrouver sur la facture du consommateur. « Certains veulent mettre la pendule avant l’heure, ironise Crucke. Ces chiffres doivent se retrouver dans le Plan national énergie-climat qui concrétisera le Pacte et qui sera contrôlé par l’Europe. »

Pour le ministre wallon, il n’y a aucun doute : il faut mettre en oeuvre la sortie du nucléaire. Parce que c’est une loi. Et un objectif indiscutable. Mais n’a-t-on pas trop tardé à concrétiser cette loi qui date du début des années 2000 ? « Oui. Même si je dois rendre justice à certains de mes prédécesseurs, comme Melchior Wathelet (CDH). Que dit aujourd’hui Johan Albrecht, professeur à l’université de Gand et auteur d’un rapport sur la sortie du nucléaire ? Si on ne le fait pas maintenant, on devra le faire après. Et ça coûtera plus cher. Si on ne donne pas d’indication claire, les investissements et les sursauts technologiques n’auront pas lieu. Nous, politiques, avons l’obligation de mettre tous les moyens en oeuvre pour y arriver. On n’est pas sûr à 100 % de réussir mais si on ne décide pas aujourd’hui, on sera encore moins sûr demain. Je ne veux pas renoncer à cet engagement. »

Et si ça ne réussit pas, il sera toujours temps de retarder la sortie du nucléaire après le scrutin de 2019.

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