© HATIM KAGHAT

« Je suis sûr que par la culture, on peut éviter la haine et le radicalisme »

Le Vif

Plume et caméra sont les nouvelles armes de l’ex-truand. Il sort Tueurs, son premier film d’auteur réalisateur. Et garde un oeil sévère, énervé et profondément bleu sur une société qu’il voudrait plus juste.

Comment vous présentez-vous à quelqu’un qui ne vous connaît pas ?

Comme auteur réalisateur. C’est devenu mon métier à quasi plein temps. Pour en vivre, il faut d’abord que Tueurs (1), mon premier film, marche. J’anime aussi Crime parfait sur RTL-TVI, mais c’est alimentaire. Ma passion chronophage, c’est l’écriture. J’écris comme je rêve, avec des images qui passent. Mon kif c’est de traduire une émotion, la complexité et la tension d’un récit. J’aime raconter la petite histoire dans une grande histoire. Comme dans l’excellent film flamand Rundskop où un drame individuel se joue sur fond de mafia des hormones. Cette structure narrative m’a inspiré pour Tueurs.

Dans les librairies, quel rayon a votre préférence ?

Histoire, pour les biographies de grands hommes… En prison, j’ai lu énormément. Comme dans mon enfance. On n’avait pas la télé. Je dévorais un livre par jour, surtout des classiques, Stendhal, Rimbaud, Flaubert. Mes livres de chevet sont Martin Eden de Jack London et Voyage au bout de la nuit de Céline. Côté cinéma, j’ai besoin de me gaver d’émotions. Un de mes films préférés, c’est Leviathan d’Andreï Zviaguintsev, et en polar, H.E.A.T. de Michael Mann.

D’où vous vient cette appétence culturelle ?

Mes parents m’ont donné une éducation qui ouvrait beaucoup sur l’imaginaire et l’artistique. Mais pas sur la responsabilité des choix qu’on pose !

Et le choix fatidique c’est, il y a vingt-cinq ans, de basculer d’une vie familiale écolo-bobo d’étudiant vers le grand banditisme ? Quel a été le déclic ?

J’ai d’abord plongé dans le milieu de la sécurité pour changer d’univers, m’émanciper de mon père, chanteur d’opéra à forte personnalité. Je deviens bodyguard, je découvre les armes, l’argent. Je me sens appartenir à une élite. Puis, un jour, mon boss vole en prison pour magouille financière. Grâce à son réseau d’amis influents, il s’en sort. Là, du haut de mes 21 ans, je me dis :  » C’est comme ça que marche le système ?  » Avec des enfoirés qui se goinfrent, se soutiennent mutuellement et entubent tout le monde ? Plutôt que de juger, j’en tire la morale que  » pour réussir, il faut tricher « .

Avec un sentiment d’injustice ?

Non. Seulement la conviction qu’il faut faire comme eux. Mais à ma façon. Je deviens convoyeur de fourgon avec le projet de simuler mon propre braquage. Et ça marche ! Hélas, on me pince et je prends lourd : quatre ans ! Une injustice ! Je découvre la prison… Si après une semaine de préventive, on m’avait dit  » casse-toi, retourne à l’unif « , j’aurais signé des deux mains. A la place, la porte s’ouvre dans l’autre sens, vers la cour de promenade où des truands fascinants, du calibre de Francis Le Belge ou Marcel Habran, m’adoptent. J’étais comme un jeune figurant face à Depardieu qui lui promettrait  » on va t’apprendre à jouer « . Et je me forme avec une haine croissante du système. Au lieu d’avoir l’éclair de lucidité que je suis dans le faux, je m’évade, je fais mon premier vrai casse, début d’une longue série.

Vous estimez-vous hors la loi ?

Oui, avec des valeurs. Je puise aussi dans des lectures anarcho-gauchistes, une justification idéologique antisystème comme prétexte à mes actes. Alors que je ne suis qu’un égoïste qui veut jouir à fond de la société et piller les banques ! Car c’est grisant. José Giovanni, ex-gangster devenu réalisateur, va être un déclic capital. Quand je le rencontre, je suis en cavale mais j’écris déjà. Il me pousse à poursuivre dans cette voie qu’il a lui-même suivie. Sa résilience et sa capacité à décrocher m’inspirent et me donnent le courage d’affronter une ultime fois la prison, avec une lourde peine de quinze ans en 2006 mais pour solde de tout compte. C’était la condition pour repartir de zéro.

La gestion des émeutes à Bruxelles :
La gestion des émeutes à Bruxelles :  » Un laxisme gaucho-bobo qui dope l’extrême droite. « © HATIM KAGHAT/ID PHOTO AGENCY

Changer de vie, changer d’image… Pourtant, vos nouvelles activités – cinéma, bédé, télé – réfèrent toujours à votre univers criminel passé.

Mon passé, c’est vrai, occulte encore ma nouvelle v(o)ie. J’espère que pour mon deuxième film, on aura dépassé ce cap. Ce sera un thriller écologique et l’intrigue du troisième repose sur le financement de partis politiques par le trafic d’armes. Avec ces projets, je m’éloigne de Tueurs. Ce premier film devait être noir de noir. Si j’étais venu avec le scénario d’une fleur éprise d’une vache, on m’aurait rembarré… J’ai installé mon suspense dans un milieu que je connais bien mais je n’y raconte pas ma vie. C’est une réflexion sur comment on crée un ennemi public, avec les tueries du Brabant en toile de fond.

Quelle place ont les tueurs du Brabant dans votre imaginaire ?

A l’époque, j’étais ado et j’habitais à Braine-l’Alleud, près du Delhaize braqué le 27 septembre 1985. Des gens que je connaissais ont été cognés, blessés, voire tués à cette occasion. Cet événement m’a toujours poursuivi… Tout est dans le dossier pour comprendre que quelques gendarmes ont pu manipuler l’enquête et opérer avec quelques voyous, ex-militaires ou barbouzes. La volonté, c’était la stratégie de la tension pour renforcer l’Etat policier. Ce n’est en rien du banditisme ordinaire. Le plus gros butin s’élevait à 23 000 euros. Aucun vrai braqueur n’aurait bougé pour cette somme ou se serait mis à buter hommes, femmes, enfants, jusqu’à en poursuivre un pour le tuer à bout portant. Et aucun braqueur ne conserverait pendant des années tous les indices de ses méfaits pour un beau jour déposer le tout au fond d’un canal…

La prison, c’est comme mettre quelqu’un qui doit arrêter de fumer dans un fumoir

Que reste-t-il, dans votre vie actuelle, de cette période entre casses et prison ?

Je fréquente encore des gens avec qui j’ai des liens indéfectibles noués par un vécu commun très fort, à condition qu’ils aient eux-mêmes raccroché. Quant au code de valeurs, ce sont quasi celles des scouts (rire) : disponibilité, fidélité, solidarité… Il m’arrive de courser un mec qui vole le sac d’une vieille ou de m’interposer si un type importune une fille ou terrorise quelqu’un. Je ne crains jamais d’aller au contact.

Dans un contexte comme les récentes émeutes, vous auriez fait quoi ?

Face à 300 mecs, je m’encours. Courageux mais pas inconscient ! Par contre, les flics auraient dû plus agir. Parfois, quelques coups de matraques c’est salutaire face à des petites frappes qui estiment que parce qu’elles n’ont rien, elles peuvent tout prendre, tout casser. Il fallait en choper une poignée, leur coller une solide peine d’intérêt général, les obliger à ramasser pendant des heures des crasses, à réparer leurs dégâts, les faire réfléchir… Aujourd’hui, ce que retient le public, c’est l’impunité patente après des atteintes graves à la sécurité et l’ordre public. En adoptant un laxisme gaucho-bobo, on dope l’extrême droite et alimente la haine de la société et de l’autre.

Quelle autre actu vous fait bondir ?

Les attentats. Dont tous leurs auteurs sont passés par la case prison, qui est devenue une fabrique de terroristes après avoir été une fabrique de braqueurs. Le début de la solution est une prison plus dure mais plus juste. Faire cinq ans de Légion étrangère et en sortir avec un bagage, c’est mieux que de passer dix ans de prison à ne rien foutre, fumer des joints, jouer à la PS4 et en sortir avec la haine. La prison est un aspirateur social. Le délinquant tombe dans le sac, quand celui-ci est plein on relâche la poussière dans la société, avant de venir la réaspirer, inchangée. Alors qu’on peut former les gens en prison, les intégrer dans un processus de réinsertion valorisante comme en Scandinavie. Il faut dégoûter de la prison ceux qui y arrivent, surtout les jeunes. Le problème est que ce n’est ni un repoussoir ni une structure qui éduque ou sanctionne. C’est un milieu entre potes où l’on s’en fait de pires encore. C’est comme mettre quelqu’un qui doit arrêter de fumer dans un fumoir. Pour aider ces jeunes, il ne faut pas les conforter dans leur oisiveté.

Vous avez créé l’asbl Chrysalibre pour oeuvrer à la réinsertion des détenus ?

Ouais. Mais sans réel soutien. L’association se limite à fournir des livres et dvd aux prisons car je suis sûr qu’on peut éviter la haine et le radicalisme par la culture. Un disque, un livre peuvent changer quelqu’un. Mais ce n’est pas assez. Il faut mettre des éducateurs partout. Dans les prisons, les quartiers, les écoles. La prison devrait être une école de rattrapage qui forme, (re)donne une ambition et un horizon.

Et l’espoir d’une société plus juste ?

En effet, la majorité des gens en ont ras-le-bol d’être harassés d’impôts et de tracas pendant que des arrivistes et des fraudeurs s’en mettent plein les poches. Il y a vingt ans, on aurait relativisé l’affaire Nethys. Aujourd’hui, on dit  » merde, stop !  » Un Moreau va être obligé de gicler car c’est un bandit. Beaucoup de gens, dont moi, aspirent à une société réellement plus juste, plus équilibrée, plus saine et moins matérialiste.

Par Fernand Letist.

(1) Tueurs : sortie le 6 décembre.

(2) Armé de résilience, par François Troukens, First Editions, 432 p.

Bio express

1969 Naissance à Nivelles, le 31 décembre.

1992 Premier méfait. Convoyeur de fonds, il simule l’attaque de son fourgon et s’empare du magot. Arrêté, jugé puis incarcéré, il est condamné à quatre ans. Il s’évade et devient une figure du grand banditisme.

1998 Naissance de son fils, le 13 août. Qui va peser dans son choix de changer de vie. 2010 L’année de sa libération sous conditions et de l’obtention de ses diplômes de psycho-pédagogie et de cuisine.

2017 Récolte tout ce qu’il a semé et cultivé comme auteur réalisateur (livres, scénarios, films) depuis dix-sept ans.

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