L'empereur Auguste et Bart De Wever © .

« Je ne me fierais pas à un politique qui prend Auguste comme exemple »

Le Vif

Dans son dernier livre intitulé « Dynasty: The Rise and Fall of the House of Caesar », l’historien et auteur de bestsellers britannique Tom Holland retrace la vie des cinq premiers empereurs romains. On peut parler d’une chronique de sexe, de scandale et de carnage. Mais on peut aussi tirer un parallèle étonnant avec le monde politique d’aujourd’hui.

Tom Holland écrit l’histoire avec le flair d’un auteur de thrillers. « Depuis que Rome est tombée, on abuse de son héritage. D’une part, nous ressemblons énormément aux Romains, mais d’autre part, ils étaient beaucoup plus cruels et extrêmes. Mais Rome reste un prisme intéressant pour comprendre les problèmes actuels. »

Dans son livre, l’auteur raconte les événements après la guerre civile sanglante et le meurtre de Jules César en 44 avant Jésus-Christ. Cet assassinat a constitué un point de rupture dans l’histoire romaine. Alors que Rome était une république depuis des siècles, Auguste a pris le pouvoir vers 30 avant Jésus-Christ, devenant ainsi, même s’il ne se donnera jamais ce nom, le premier empereur.

Il ne fait pas de doute que la naissance de l’empire est toujours pertinente aujourd’hui. Ainsi le président de la N-VA Bart De Wever a déclaré l’été dernier dans une interview qu’il admirait l’empereur Auguste et qu’il voyait certains parallèles entre eux. Holland rit de cette comparaison. « Je ne me fierais à aucun politique qui prend Auguste comme exemple. Pendant des siècles, les Romains ont cru que le pouvoir ne pouvait jamais tomber entre les mains d’une seule personne. Auguste était un autocrate qui souhaitait mettre fin à cette idée. C’est un modèle assez glaçant.

De Wever admire l’empereur Auguste parce qu’il optait pour des réformes graduelles. Jules César était un révolutionnaire et c’est pour ça qu’il a été assassiné. Son successeur Auguste a modifié la société beaucoup plus progressivement. César avait trop d’allant et son pouvoir ne l’avançait à rien, alors qu’Auguste lui a réussi à réaliser quelque chose.

Tom Holland : Auguste était un révolutionnaire. Ce n’est pas parce qu’on prend le temps de consolider sa révolution, et qu’on laisse les gens s’habituer aux changements radicaux, qu’on n’est pas révolutionnaire.

D’ailleurs, quand vous dites qu’Auguste réformait progressivement, vous oubliez qu’il a levé une armée alors qu’il était adolescent pour conquérir le consulat et qu’il a organisé le massacre d’une partie substantielle de l’élite romaine. Il avait quelque chose d’un chef de maffia. Il a commencé par prendre le pouvoir de façon incroyablement brutale avant de se présenter comme un souverain pacifique. Aucun politique démocrate ne souhaite être comparé à ce genre de personnage, non ?

De Wever prétend que le pouvoir d’Auguste était fondé sur le respect et non sur la crainte. Pour lui, c’est la seule façon d’avoir du succès à long terme.

Dans une certaine mesure, c’est vrai. Auguste était respecté. Ainsi, il se prévalait de supporter une plaisanterie à ses dépens. Mais la crainte jouait un rôle important. Aucun Romain ne pouvait oublier ce dont Auguste était capable. Il a même banni sa fille au fin fond de l’empire lorsqu’elle a commencé à mettre ses objectifs politiques en danger. Quand on lui faisait obstacle, Auguste n’hésitait pas une seconde.

Pourtant, les Romains adoraient Auguste. Comment est-ce possible s’il était aussi impitoyable ?

C’est à nouveau la crainte qui entrait en jeu. Auguste a pris le pouvoir après une guerre civile dévastatrice. Les Romains s’étaient entredéchirés comme des loups. Ils avaient une peur bleue que sans Auguste la guerre recommence. C’est une constante en politique. Les politiques qui ont du succès ne séduisent pas uniquement en présentant un avenir radieux, mais aussi en agitant la crainte du passé.

Y a-t-il des politiques modernes avec autant de talent pour la propagande?

Auguste a inspiré tous les autocrates qui souhaitent renverser la démocratie. La comparaison avec le président russe Vladimir Poutine est aisée. Poutine se présente comme un serviteur du peuple russe qui tient les valeurs démocratiques en haute estime. En même temps, il promet qu’il rétablira la gloire russe après l’effondrement économique sous Boris Eltsine. Poutine a conclu le même accord avec le peuple russe qu’Auguste avec les Romains. En échange de paix et de prospérité, il peut établir une autocratie.

Dans votre livre, vous soulevez la question intéressante de la migration et de l’assimilation. Les Romains aussi se demandaient si et comment on peut intégrer des étrangers dans la société.

Rome a profondément influencé la mémoire collective de l’Europe, y compris sur le plan de la migration. L’une des raisons principales du succès de la ville, c’était sa capacité à intégrer les étrangers dans la société. Les peuples conquis qui reconnaissaient l’empire avaient leur place dans le régime et pouvaient même accéder à la citoyenneté.

Mais en même temps, les Romains avaient très peur. Ils trouvaient que chacun devait s’adapter à leurs normes. En outre, ils craignaient en permanence que les étrangers renversent leur ordre. De temps en temps, la panique éclatait. Même Auguste craignait, après l’échec d’une campagne contre les Germains, que Rome s’effondre. Cette situation résonne dans l’Europe d’aujourd’hui. Le vieux continent aurait tout intérêt à accueillir et intégrer les migrants. Mais on craint que les étrangers qui refusent d’accepter la civilisation européenne soient destructeurs. Nous avons hérité notre attitude ambiguë à l’égard des migrants de Rome, certainement parce que les grands flux migratoires ont joué un rôle dans la chute de Rome, ce qui nous a inspiré une crainte permanente.

Jelle Dehaen

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