© Gaëtan Nerincx/Huma

« Je me méfie des grandes causes »

Le Vif

Cent ans après la Première Guerre mondiale, quelles sont les causes qui nous poussent encore à l’engagement ? Et jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour les défendre ? C’est l’objet de la grande enquête Radio France – RTBF – Le Vif/L’Express. L’avis de Gabriel Ringlet, théologien et écrivain.

Par Laurence van Ruymbeke
S’engager a-t-il toujours du sens aujourd’hui ? Est-ce nécessaire à l’accomplissement réussi d’une existence ?

Qu’est-ce qu’une existence réussie ? Je pense à Albert Camus. Voilà bien un écrivain que l’on dit « engagé ». Et comment ! Mêlé ardemment à l’actualité de son temps et prix Nobel de littérature en 1957. Aujourd’hui encore, je reste marqué par son discours de remerciement quand il dira à l’Académie Suédoise qu’un artiste peut rater sa vie ou son oeuvre, et que ce n’est pas grave ! Car ce qui le justifie, ce n’est pas d’abord cette vie et cette oeuvre, mais d’avoir allégé la somme des servitudes qui pesaient sur ses semblables. Je reste bouleversé par cette haute conception de l’engagement qui le situe d’abord dans l’ordinaire des jours.

Vous vous méfiez donc des grandes causes ?

Oui ! Mais je peux le dire positivement. Les grandes causes ne sont pas toujours là où on le pense. Il y a parmi nous, tous les jours, des hommes et des femmes qui traversent l’impossible et dont on ne parle pas à la Une des journaux. J’en rencontre surtout dans mon courrier. Il m’arrive de m’arrêter longuement devant une lettre et de me dire : « Quelle est la source d’un tel courage ? D’où lui vient cette force ? » Comment dire à ceux qui désespèrent, les plus jeunes surtout, que la vie ordinaire est immense ? Comment leur dire de se méfier de l’idéalisme ? De ne pas suivre ceux qui entraînent trop haut, ou trop bas. Que la grande aventure se cache souvent dans la grisaille…

A qui pensez-vous quand vous évoquez une situation d’engagement « dans la grisaille » ?

Au docteur Denis Mukwege, ce gynécologue qui a fondé, à Bukavu, l’hôpital de Panzi. Sa vie est sans cesse menacée parce qu’il a protesté publiquement contre la barbarie sexuelle dont les femmes sont victimes à l’Est du Congo. Ce brillant spécialiste qui aurait pu faire fortune en Europe a choisi de rejoindre son pays pour redonner espoir à tant de femmes victimes de viols collectifs. Il s’agit, bien sûr, d’une personnalité très connue. Mais derrière Denis Mukwege, que d’anonymes qui se battent chaque jour, loin ou près de nous, pour guérir et soulager tant de blessures !

Quelle est la cause qui pourrait vous mobiliser, vous, jusqu’à, peut-être, sacrifier votre vie pour elle ?

Ce ne sont pas des choses qui se décident en chambre ! Jésus ne souhaitait pas la croix. Il y a été acculé pour avoir osé se battre aux côtés des exclus. Les moines de Tibhirine n’ont pas choisi le martyre. Ils y ont été entraînés pour cause de solidarité avec leurs frères musulmans. Alors moi, sobrement, du bout des lèvres, je peux dire que jamais je n’accepterai que la religion enferme et réduise la liberté. J’ai misé ma vie sur une parole d’Évangile qui veut l’homme debout. Cet engagement, j’espère le tenir, quoi qu’il en coûte. ?

Participez à l’enquête Répondez au questionnaire, jusqu’au vendredi 4 avril à minuit. Les résultats seront communiqués et décortiqués sur La Première et dans Le Vif/L’Express, courant juin.


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