Peter D'Hondt et Kathleen Stinckens © Saskia Vanderstichele

« Je m’étonne qu’il y ait tant de gens au QI en dessous de la moyenne qui obtiennent sans peine leur permis »

Une amende monstrueuse? Pas de pitié. L’examen de conduite ? Un quiz amélioré. Le permis à points ? Une discussion absurde. La légalisation du cannabis? Carrément dangereuse. Notre confrère de Knack s’est entretenu avec Kathleen Stinckens et Peter D’Hondt, les juges de police les plus tranchants du pays.

Peter D’Hondt: Pour moi, il n’y a qu’un chiffre qui compte: la baisse du nombre de morts sur la route. Je constate que le nombre de morts a baissé de 3000 par an dans les années septante à 760 en 2017. Trois mille morts ! (à Stinckens) Est-ce qu’aujourd’hui il y a encore autant de monde à Oud-Heverlee Louvain ? Imaginez-vous que chaque année on fasse exploser une bombe qui tue tout le public OHL : ce serait la révolte. Mais sur la route, on trouvait ça normal.

Kathleen Stinckens: On trouve manifestement que les morts sur la route, c’est moins grave, parce qu’il s’agit de cas individuels. Au fond, on ne parle d’un accident que s’il y a de nombreuses victimes, tel que l’accident de bus à Sierre. Ou il faut qu’il y ait des infractions flagrantes, comme l’affaire autour de Merel De Prins (La petite fille de 12 ans est morte écrasée à Vilvorde. Le chauffeur n’avait pas de permis, a été libéré pour des raisons médicales et puis réincarcéré, NLDR).

D’Hondt: Il est positif que les médias aient trouvé le chemin vers le tribunal de police. Pour voir ce qu’il s’y passe, et surtout, ce qu’il ne se passe pas.

Vous croyez à la répression ?

D’Hondt: Quand j’ai commencé en 1994, j’ai remarqué que je voyais les mêmes personnes revenir régulièrement. C’est comme si ces personnes cochaient une liste de courses : passer chez le boulanger, le boucher, le coiffeur et puis le juge de police. Si on constate que chaque semaine on a un tête-à-tête avec les mêmes pécheurs, il y a trois possibilités. Soit ce sont eux qui ont un problème, soit c’est le juge, soit c’est la sanction. (pause) Et souvent, c’est une combinaison des trois.

Depuis le 21 janvier, il est plus difficile d’emprisonner les criminels de la circulation. Cela mine-t-il votre travail ?

Stinckens: Je trouve que c’est dommage. Jusqu’à il y a peu, nous avions le droit d’arrêter immédiatement les multirécidivistes à partir d’une peine de prison d’un an. À présent, ce n’est possible qu’à partir de trois ans. L’explication que j’entends, c’est qu’en appel l’arrestation immédiate est presque toujours réformée. C’est une affirmation étrange : personnellement, je ne l’ai vécu que quelques fois. La deuxième raison que j’entends, c’est qu’une arrestation immédiate exerce un impact trop important sur la vie sociale et familiale du condamné.

D’Hondt: Alors que c’est justement le but! C’est parce que l’impact sur la famille est si grand, qu’on l’implique dans le problème. Si la famille voit le mari et père arrêté sur place et emmené en prison, elle lui reprochera peut-être son comportement.

Mais la prison est-elle vraiment le lieu où les chauffards prennent conscience de leurs actes ?

D’Hondt: Entre nous, je les libère presque toujours après une semaine. Pour moi, il ne s’agit pas de la peine de prison en elle-même, mais de l’impact du moment. « Justice seen to be done » est une arme extrêmement puissante.

Stinckens: Pour les affaires de moeurs et le terrorisme, l’arrestation immédiate à partir d’un an est toujours possible. On aurait également pu appliquer cette exception aux criminels de la route, mais on ne l’a pas fait. À tort, car les gens que Peter et moi faisons enfermer sont les terroristes de la circulation.

D’Hondt: Je vous garantis qu’il y aura bientôt des collègues qui prononceront des peines de trois ans et un jour, pour pouvoir « enfermer » un condamné. C’est du cynisme pénal où le pouvoir judiciaire compense l’exécution des peines défaillantes.

Bientôt, il y aura des peines plus sévères pour les délits de fuite. Une bonne chose ?

Stinckens: On ferait mieux de supprimer les catalyseurs de délit de fuite: l’alcool, et la conduite sans permis. Si l’on supprime ces causes, la plupart des gens auront la décence de rester sur place en cas d’accident.

D’Hondt: On ne l’enseigne pas non plus. À l’examen de conduite, on ne vous demande jamais comment se comporter après un accident. Cela en dit long sur la banalité de l’obtention du permis de conduire en Belgique. C’est un quiz amélioré.

La nouvelle formation à la conduite flamande est-elle une bonne chose?

D’Hondt: J’entends que seul un candidat sur quatre réussit. C’est d’ores et déjà bon signe. Je m’étonne du nombre de gens au QI en dessous de la moyenne qui obtiennent sans peine leur permis. C’est frappant, car je trouve le Code de la route bien compliqué.

Êtes-vous plus sévères pour les jeunes?

D’Hondt: Je ne veux pas viser les jeunes. Je dis seulement qu’aux grands maux les grands remèdes. Le début de la carrière d’un automobiliste détermine son comportement à venir. Les interdictions de rouler sont encore plus efficaces parmi les plus jeunes chauffeurs. Un jeune type qui va au dancing avec des pinces à vélo accrochées à son pantalon réfléchira à deux fois avant de recommencer à rouler comme un sauvage.

Stinckens: Je m’inquiète du nombre croissant de chauffeurs qui roulent sous influence de drogue. Les mécanismes de contrôle pour détecter la drogue sont défaillants. Nous ne disposons toujours pas d’analyse de salive permettant de contrôler la consommation de stupéfiants. Pour pénaliser quelqu’un pour usage de drogue au volant, nous devons faire une prise de sang.

La hausse du nombre de morts dus à la drogue n’est guère étonnante: si à Anvers on saute dans l’Escaut, on fait l’objet d’un test positif à la cocaïne.

Vous plaidez pour une guerre contre la drogue.

D’Hondt: Je combats la proposition de Tom Decorte, Jan Tytgat et Paul De Grauwe pour réguler le marché du cannabis. On m’a toujours appris que le THC (l’élément actif dans le cannabis, NLDR) entraîne une absence psychique. Aujourd’hui, le taux de THC dans le cannabis est dix à quinze fois plus élevé que dans les années septante. Cela signifie que le cannabis équivaut pratiquement aux opiacés.

Stinckens: Combien de fois est-ce que je n’entends pas dire les consommateurs de cannabis: « C’est permis non ? Ce n’est pas punissable de fumer un joint. » Et donc ils montent dans la voiture, alors que le cannabis augmente considérablement le risque d’accident.

Où en est la numérisation de la Justice?

Stinckens: (soupire) Il y a dix ans qu’ils développent Mercurius, une banque de données centrale qui enregistre tous les permis et les interdictions de conduire.

Comment se fait-il que ça dure aussi longtemps?

D’Hondt: C’est ce qu’on se demande aussi.

Stinckens: Les données sont pourtant disponibles. Le système informatique utilisé par les tribunaux de police contient toutes les interdictions de conduire. Dès qu’une interdiction de conduire est signifiée, elle va immédiatement au SPF Mobilité. La police a accès à ces systèmes informatiques, mais manifestement elle ne peut pas les lire. Je ne me prononce pas sur la responsabilité dans ce dossier.

D’Hondt: Et pour rendre l’histoire tout à fait kafkaïenne: pour obtenir des informations sur les permis de conduire il faut s’adresser au Service Mobilité. Mais Mercurius ne fonctionne pas encore. En d’autres termes, si la police n’a pas vérifié sur place si le contrevenant possède un permis de conduire, nous ne pouvons pas le voir au tribunal non plus.

Stinckens: Et on cite toujours l’argument de la vie privée pour le non-partage d’informations. Quand il s’agit de circulation, c’est soudain de première importance. Eh bien, cet argument ne rime à rien. Quand on vient à la séance, on entend tout sur les accusés : leur nom, leur adresse, leur salaire, leur attitude au volant.

Les critiques n’ont-ils pas raison? Tout cela ne va-t-il pas très loin ?

D’Hondt: (soupir) Tout le monde veut plus de sécurité et de vie privée. Eh bien, ça ne va pas ensemble. Pour citer Lénine : la confiance n’exclut pas le contrôle.

Puis je vous qualifier d’optimistes malgré tout?

Stinckens: Je puise du réconfort dans le fait que la police et le parquet prennent la sécurité routière au sérieux. La Justice et la Mobilité sont toutes deux à la recherche de méthodes plus efficaces pour s’en prendre aux infractions au Code de la route. Au sein de la formation de la police, ils sont beaucoup plus précis. Parfois, on écoute même nos avis. Jusqu’il y a peu de temps encore, c’était impensable.

D’Hondt: Le travail que nous fournissons paie. Ces dernières décennies, le nombre de morts sur la route a baissé spectaculairement, le parquet et la police coopèrent de mieux en mieux, et qui sait je vais peut-être vivre l’instauration du permis à points. Dans un pays aussi désespérément dispersé que la Belgique, c’est tout de même quelque chose.

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