Olivier Mouton

Jamais nous n’avons eu autant besoin d’être Euro

Olivier Mouton Journaliste

Enfin ! Le football va nous débarrasser un mois du marasme ambiant en Europe. Oublions les grèves, les menaces et le Brexit ? Si seulement c’était possible…

Ne nous en cachons pas, cet Euro tombe à point. Pour ceux qui aiment le foot sans craindre l’indigestion, à tout le moins. Mais pas seulement. Avec le soleil revenu, les terrasses au menu, l’insouciance retrouve droit de citer après des mois d’une morosité sans failles, des attentats du début de l’année aux inondations des dernières semaines en passant par les grèves sauvages, le Belgium bashing et les querelles de basse politique. Voilà un peu d’air. Même si l’on parvient déjà à s’étriper au sujet de la charnière centrale de la défense des Diables ou de la coiffure de Marouane, quand il ne s’agit pas de s’inquiéter pour l’avenir de la tarte au riz de Verviers.

Ne boudons toutefois pas notre plaisir : l’Euro de foot, c’est l’image scintillante de la cohésion européenne, de sa domination mondiale et de son art de vivre. Le miroir d’un continent qui a encore des raisons de croire en lui-même. Quant aux Diables, ils parviennent à positionner notre pays en voie d’évaporation parmi les outsiders d’un tournoi relevé, ce n’est pas rien, à l’heure où rien de ce qui vient de chez nous ne semble bon. Oui, le football a un talent que l’on sous-estime : les Bleus, s’ils ne font pas la grève dans un bus, pourraient même ressouder un pays qui craque de toutes parts.

Cela dit. Il faudra quand même une sérieuse dose de détachement pour oublier que nous vivons dans une ère de craintes. Jamais un événement dans l’histoire n’aura été organisé sous une telle angoisse sécuritaire, sous état d’urgence. 90.000 policiers, gendarmes et soldats mobilisés en France, des polémiques au sujet de l’existence même des fans zones, l’interdiction de regarder les matchs sur les terrasses… Le football était déjà devenu un spectacle formaté pour la télévision, une bulle financière symbolisée par les salaires indécents des joueurs, il se transforme désormais en une cage dorée hypersécurisée, avec des stars sous une protection rapprochée digne des chefs d’Etat. C’est le monde à l’envers et l’on ne cessera pourtant de croiser les doigts afin que l’insoutenable ne survienne pas, gâchant la fête et brisant des vies. Le monde contemporain est comme cela : il faut « vivre avec »…

Cet Euro ne pourra pas non plus faire fi du mécontentement qui gronde. « Je me demande quel visage, quelle stupeur, ou quel étonnement a un supporter qui arrive ce jeudi de Pologne ou d’Angleterre, qui découvre la France avec son cortège de manifestations, ses poubelles dans les rues, les inondations dans Paris, la circulation impossible, les trains arrêtés, le métro cra-cra, les taxis au ralenti etc. », écrivait jeudi un journaliste français dans une « lettre à France ». Chez nous, on continuera à faire preuve de patience pour se déplacer après l’échec des négociations à la SNCB : des grèves sont annoncées par la CGSP à partir du 12 juin. Pour une semaine dans tout le pays, mais deux semaines dans la partie francophone du pays, là où la grogne syndicale est la plus tenace. Refrain connu : chère Wallonie, tu te tires une balle dans le pied… Du pain et des jeux ? Le foot capitaliste ne fera pas oublier qu’un fossé social se creuse dans toute l’Europe.

Ne boudons toutefois pas notre plaisir : l’Euro de foot, c’est l’image scintillante de la cohésion européenne, de sa domination mondiale et de son art de vivre.

Ah, et tout cela ne sera peut-être rien au lendemain du premier tour de l’Euro, avant que ne commencent les choses sérieuses des huitièmes de finale. Le 23 juin, le référendum sur le Brexit, la sortie ou non de l’Angleterre de l’Union européenne, risque bien d’être une douche froide au beau milieu de cette fête sportive consacrant précisément l’unité du continent. Sacrés Anglais, qui n’ont jamais réellement accepté la mainmise d’autres pays sur ce jeu dont ils ont créé les règles ! Les voilà prêts à semer la zizanie au beau milieu d’un rendez-vous censé revitaliser l’Europe… Ce qui ne les empêchera pas d’espérer enfin que leur équipe de Lions remporte une compétition (à la loyale, cette fois, après le scandale de la Coupe du monde 1966…).

Cher François Hollande, vous qui allez inaugurer l’événement. Cher Charles Michel, vous qui allez assister à Belgique – Italie avant que le Roi ne soutienne les Diables face à l’Irlande. Chers Angela, Matteo, David, Viktor, vous tous dirigeants qui allez profiter de cette plateforme pour nourrir l’image de votre pays et en profiter en retour. N’oubliez pas que les temps sont durs pour tout le monde. Que nous avons besoin d’une bouffée d’air frais pour réoxygéner le projet européen, réenchanter notre imaginaire avec des projets porteurs pour l’avenir.

Vraiment, jamais nous n’avons eu autant besoin d’être Euro. Le jeu va nous changer les idées, le suspense va nous extasier (ou nous ronger le sang) et le printemps va enfin donner sa pleine mesure. Mais au-delà de ces plaisirs simples, d’autres messages viendront des pelouses vertes de France. Des équipes métissées et bien « intégrées » donneront la mesure de l’Europe de demain – et pas des moindres à l’égard de la France, de l’Allemagne ou de la Belgique. Des pays « exotiques » au sein de cet Euro élargi à 24 équipes ouvriront les portes et les fenêtres de l’Union à l’image de l’Albanie, de l’Irlande du Nord, de l’Islande, de la Turquie ou de la Russie. Des « vieilles nations » repartiront à la conquête de leur destinée – comme la France, l’Allemagne, l’Angleterre ou l’Italie.

Allez les Diables rouges, vous avez tout pour remporter ce tournoi ! Prouvez-nous que Bruxelles-la-mal aimée sait aussi produire une génération dorée et titrée, cette fois. Imposez Bruxelles comme la capitale d’une Europe qui gagne. Et qui se supporte par-delà les grèves, les menaces, les inondations…

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