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J’y étais, tout est vrai. Au concert de Roger Waters.

Nicolas Vadot
Nicolas Vadot Dessinateur

Récemment de passage au Sportpaleis d’Anvers, l’ancien leader de Pink Floyd se porte comme un charme, malgré ses 74 ans (!!!). Dans le public, c’était 50 nuances de gris, surtout pour la couleur des cheveux.

Toujours amusant d’analyser la sociologie du public d’un concert de rock à guitares – ce genre musical du XXe siècle qui s’éteignit vers 2030, une fois les baby-boomers tous trépassés. Paradoxalement, le show anti-Trump du milliardaire gauchiste attire surtout des hommes blancs dans la force de l’âge. L’autre jour, un petit jeune de 30 ans qui regardait un de mes dessins sur lequel apparaissait notre homme, me demanda « C’est qui, Roger Waters? »

Dans les gradins, il y a à ma gauche un banquier en costard-cravate qui se remémore sa jeunesse insouciante durant les sweet seventies, lorsqu’il écoutait Shine On You Crazy Diamond (1975) pour oublier que deux ans plus tôt, le monde venait de basculer dans une crise dont il ne sortirait plus…

A ma droite, un gars un peu plus vieux, les cheveux aussi longs que du temps où il réfléchissait aux paroles de Time, sur l’album Dark Side of the Moon (1973): You are young and life is long / And there is time to kill today / And then one day you find / Ten years have got behind you… Sa tignasse autrefois folle et blonde est aujourd’hui toujours aussi longue, mais effilochée et presque blanche, alors que le haut de son crâne s’est dégarni au même rythme que progressaient les bourrelets de sa ceinture abdominale. Il est toujours habillé en rocker et porte fièrement son T-shirt délavé de la tournée Animals de 1977, mais ressemble plus à Léo Ferré à la fin de sa vie qu’au jeune éphèbe qu’il fut naguère.

Et au centre, moi, 46 ans, qui étais trop jeune pour vivre les grandes années floydiennes en direct, ne devenant fan qu’à la sortie de A Momentary Lapse of Reason (1987), le premier album du groupe SANS Roger Waters!

Heureusement, sur scène, Roger nous a trouvé le clone de David Gilmour – même look, même talent à la guitare et presque même voix. Il entonnera le final magnifique de Comfortably Numb, sorte d’oxymore que l’on pourrait traduire par « Confortablement anesthésié », l’état dans lequel nous sommes tous en regardant ce monde dirigé par des clowns en Italie et un dingue à la Maison-Blanche, en étant prisonniers des griffes d’un geek apprenti-sorcier, inventeur d’un réseau antisocial dont le but était de se taper des gonzesses lorsqu’il était à Harvard. D’ailleurs, à l’entracte (à son âge, Roger a le droit de faire une pause pipi!), l’écran géant nous balance un immense écriteau rouge sur fond noir: « Resist Mark Zuckerberg », un type qui n’était même pas né alors que le héros du jour voguait déjà en solo.

La différence principale entre un jeune et un vieux, c’est que le vieux sait ce que c’est d’avoir été jeune. En sortant du concert, j’avais l’impression d’avoir rajeuni en me confrontant à la modernité – celle qui imprègne le dernier album du maître, Is This The Life We Really Want? – celle frappée du sceau de la sagesse. Les Pink Floyd n’avaient pas 30 ans quand ils écrivirent ces lignes: « Every year is getting shorter, never seem to find the time… »

Roger n’est pas immortel, mais 20.000 personnes l’ont été grâce à lui, l’espace de deux heures. Merci l’artiste.

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