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J’y étais et tout est vrai: Avec José Happart, sous les pieds de Charles Michel

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

L’un après l’autre, ils déboulent des berlines officielles pour s’engouffrer au rez-de-chaussée du Bozar. Charles Michel (MR), Jan Jambon (N-VA), Kris Peeters (CD&V), Alexander De Croo (Open VLD), Johan van Overtveldt (N-VA), le gratin de la suédoise rallie la réception de Nouvel An du Voka, la puissante organisation patronale flamande. Geert Bourgeois (N-VA), ministre-président flamand, est aussi de la partie. Une brochette d’huiles, inconscientes de la bête tapie juste sous leurs pieds.

Le vieil hérisson fouronnais est aussi de sortie, ce lundi 8 janvier. Calé dans un siège, dans la pénombre de la salle de cinéma située à l’étage inférieur du Bozar, où se projette un film qui lui doit lui rappeler sa turbulente jeunesse. Pour les 50 ans du cinéma belge, on rejoue ce soir-là « Que sont devenus les Fourons aujourd’hui ? », film réalisé en 1984 par Jean-Jacques Andrien. José Happart compris, le peuple fouronnais mêlé à des sympathisants sont montés à Bruxelles, bannière de l’Action fouronnaise au vent, pour se repasser les images en noir et blanc de ce 20 mai 1979 haut en couleurs.

C’était un dimanche propice à une de ces « promenades » dont les flamingants avaient le secret pour venir aboyer « Voeren Vlaams », au coeur de six villages légalement annexés à la Flandre depuis 1962, mais peuplés de Wallons inconsolables d’avoir été séparés de Liège. Une de ces journées qui fleuraient le gourdin, où les insultes ont plu comme les coups de matraque. Cet après-midi chahuté immortalisé sur la pellicule par Jean-Jacques Andrien conduira à la mémorable rencontre entre le porte-parole du combat fouronnais, José Happart, et Baudouin, roi des Belges, sur une bretelle d’autoroute à hauteur de Verviers.

« Nous sommes toujours debout ! »

Dans la salle, on se récrie à la vue des « hordes fascisantes » (sic) venues du nord ; on s’émeut au témoignage de cette vieille fermière stoïque face à « ces flamins qui viennent nous faire enrager » ; on s’indigne de ces gendarmes partis à la chasse aux résistants wallons, maîtrisés et emmenés menottes au poing. On sourit à la vue de José Happart et des militants de l’Action fouronnaise, l’air moqueur face aux trublions et aux forces de l’ordre. Au moins, ça fait des souvenirs.

Patrick Leboutte, critique de cinéma, a planté le décor à l’intention des jeunes dans la salle : « Fourons, c’est l’histoire d’un déplacement de frontière, des gens dépossédés sans avoir été déplacés. Vous allez voir la version fouronnaise de Fort Alamo mâtinée d’Astérix le Gaulois ».

Rideau au bout de 55 minutes. Nico Droeven, bourgmestre de Fourons de 1988 à 1994, se charge de prolonger l’émotion. La voix tremble un peu, quand les mots s’enchaînent : « La population fouronnaise a subi un vrai viol. On nous a annexés contre notre gré. On a commencé à résister, on a voulu nous faire taire. Aujourd’hui encore, le bourgmestre (NDLR : Huub Broers, N-VA) fait la chasse aux francophones. Nous ne sommes plus entendus, on cherche à nous éteindre, on nous dépossède de nous-mêmes. On nous hait, on nous use par un flamingantisme rampant, administratif, qui fait tout pour nous dégoûter d’être francophones. Mais nous sommes toujours debout. On ne nous fera pas disparaître. Jamais ! »

« Les fachos qui défilaient à Fourons sont au pouvoir »

Applaudissements, quelques « Fourons wallons ! » s’échappent, vite étouffés. L’heure n’est plus à la soirée militante. Fourons, affaire classée. Absent du podium, l’acteur principal, José Happart (PS). A 70 ans, le hérisson ne fait plus trembler. Il se fait presque philosophe autour d’un verre : « Il y a 40 ans, Fourons a devancé la réalité de l’intolérance que nous vivons aujourd’hui. Son drame, c’est qu’on a voulu faire de ses habitants polyglottes de purs Flamands. La N-VA haineuse était inscrite dans les astres. Les Fouronnais ont été abandonnés par lâcheté politique. Les partis n’ont jamais eu les c… pour les défendre. Fourons est un dommage collatéral des compromis communautaires en Belgique. »

Au niveau supérieur, autour des mange debout dressés par le Voka, on n’a rien entendu, rien vu. On ne s’est douté de rien. Une volée d’escaliers sépare deux Belgique, deux planètes. Quarante ans d’écart, et pourtant un fil conducteur. José Happart déroule, à sa façon : « Les fachos qui défilaient dans les Fourons sont aujourd’hui au pouvoir. »

Sonne l’heure du retour à Fourons. L’assistance gagne la sortie où s’égaillent de jeunes cadres dynamiques, costard bleu foncé et tailleur sombre de circonstance, avec à la main le petit cadeau glissé dans un sac en papier offert par le Voka. Les huiles ont déjà pris congé. Le pire a été évité : l’improbable face-à-face entre une suédoise bien flamande et l’ex-hérisson fouronnais assagi mais jamais complètement. Reste à imaginer les sourires crispés, les regards qui se détournent, peut-être une poignée de mains obligée. Le hasard tragi-comique du calendrier a mal fait les choses.

Pierre Havaux

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