Liesbeth Homans © BELGA

Intégration: les francophones à la traîne

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

La Flandre s’irrite de ne pouvoir encore exporter son « inburgering » obligatoire en terre bruxelloise. La ministre N-VA Liesbeth Homans crache son venin sur l’inertie et les défaillances francophones : « Toujours pas un trajet d’intégration ! Bilan nul ! » Vraiment ?

Comme soeur Anne téléportée au plat pays, Liesbeth Homans prétend ne rien voir venir. Rien qui, depuis la contrée francophone, ressemble à ses yeux à une mobilisation digne de ce nom sur le long chemin qui doit mener à un parcours d’intégration en Région bruxelloise. O rage, ô désespoir. Le sang de la ministre régionale N-VA a fini par ne faire qu’un tour.

Au parlement flamand, les francophones ont eu l’insigne privilège de subir sa colère non contenue : où reste la déclinaison en français d’un « inburgering » bruxellois ? Sans fioritures, la ministre a balancé sa version : « Rien ! Nul ! Pas un trajet d’intégration ! » Et de monter sur ses grands chevaux : « Je demande, j’exige même, que la Communauté française prenne ses responsabilités. »

C’est chose faite. Non pas que les désirs de Liesbeth Homans aient été pris pour des ordres, mais un parcours d’accueil francophone est sur les rails, avec l’ouverture prévue au premier trimestre de deux bureaux d’intégration, soit l’équivalent de 4 000 places d’accueil destinées aux primo-arrivants bruxellois. La pasionaria N-VA aurait-elle loupé l’étape ? Pas le moins du monde. Liesbeth Homans ne veut croire que ce qu’elle voit. Elle s’en tient donc aux compteurs arrêtés à ce jour de la mi-janvier 2016 où elle est montée dans les tours : « 3 000 trajets d’intégration sont financés en Région bruxelloise par de l’argent flamand. A la Communauté française, c’est zéro. »

« Beaucoup de blabla. Too little, too late »

Opposer le langage implacable des chiffres à de fermes résolutions encore à concrétiser : c’était du caviar pour Liesbeth Homans, que lui a servi au parlement flamand son coreligionnaire de souche bruxelloise, le député Karl Vanlouwe. C’est comme ça, avec les francophones :  » Beaucoup de blabla. Too little, too late. »

L’inburgering, une ardeur flamande d’avance. Depuis douze ans, l’intégration civique est une affaire qui roule en Flandre. Familiariser les nouveaux arrivants venus d’horizons lointains aux normes et valeurs de la société dans laquelle ils atterrissent, leur inculquer les bases du néerlandais pour les aider à prendre pied dans leur nouveau biotope : les autorités flamandes se félicitent tous les jours d’avoir fait de ce parcours initiatique un passage obligé sur la voie de l’intégration, et de rendre punissable tout refus de s’y soumettre.

Le principe a eu nettement plus de mal à percoler au sud du pays. La Wallonie a fini par s’y convertir. Il reste aux Bruxellois à franchir le pas, étant entendu que pour corser l’affaire, francophones et Flamands relèveront le défi de l’intégration dans la région-capitale en jouant chacun leur partition. Obligatoire ou pas ? Telle fut, longtemps, la question centrale en débat. Elle est enfin tranchée : va pour un trajet d’intégration obligé en Région bruxelloise. Le principe reste à affiner puis à couler dans la loi. Pour une entrée en vigueur du dispositif, rien n’est attendu avant janvier 2017.

En attendant, la Flandre peut s’enorgueillir de faire depuis plus de dix ans la course en tête en Région bruxelloise. Crise de l’asile oblige, le gouvernement flamand annonce même un nouveau coup de rein : en plus des 3 000 trajets d’intégration déjà activés, il programme pour cette année 2 400 parcours supplémentaires. 5 400 parcours d’intégration seront ainsi financés à Bruxelles sur les deniers flamands : qui dit mieux ou en fait autant ? Pas les francophones, avec leurs 4 000 places qui restent encore à ouvrir.

Un effort francophone significatif mais tardif, sous le coup de la crise migratoire

Du coup, le lion flamand rugit de plus belle. Pour la cause, il a pris les traits de Liesbeth Homans. Qui s’agace de devoir constater que la Flandre fait bien plus que la part de 20 % d’effort qui lui incombe en Région bruxelloise en vertu d’une clé de répartition. Et qui s’offusque de voir les Bruxellois snober la main tendue et éluder une expertise flamande vieille de onze ans. « Nous avons à plusieurs reprises insisté auprès du ministre-président Rudi Vervoort (PS) et des autres personnes actives au gouvernement bruxellois. Ils refusent tout moment de concertation à propos de l’inburgering obligatoire. »

Cette pluie de reproches, cette impatience exprimée avec tant de virulence étonne la ministre bruxelloise Céline Fremault (CDH), ministre bruxelloise de l’Action sociale au sein de l’exécutif de la Commission communautaire commune où le dossier se gère entre Flamands et francophones bruxellois : « La ministre Homans invoque que les choses bougent  » lentement » à Bruxelles, alors qu’elles n’ont jamais bougé aussi vite sur ce dossier particulièrement compliqué institutionnellement. » Et de dérouler le programme en cours : un accord de principe sur le parcours obligatoire obtenu en novembre dernier, un projet d’ordonnance attendu pour février, les 4 000 places d’accueil francophones prochainement ouvertes. Et un courrier parti en décembre dernier du cabinet Fremault à l’attention de la ministre Homans, porteur d’un appel à une concertation assez rapide entre Flamands et francophones.

« Les efforts sont donc particulièrement significatifs », conclut Céline Fremault. Ils ont fâcheusement tardé à s’accomplir et le sont dans la précipitation, sous le coup de la crise migratoire, reconnaît-on dans les rangs francophones. Manifestement, ils échappent toujours à l’attention de Liesbeth Homans et de son parti. Pour une N-VA archidominante en Flandre mais qui siège dans l’opposition en Région bruxelloise, pointer une intégration à deux vitesses et la complexité un brin chaotique de la gestion bruxelloise est toujours bon à prendre.

Vers un parcours du combattant

Crise de l’asile et défi de la migration sont aux urgences. L’après-accueil, le stade de l’intégration, s’annonce tout aussi capital et explosif à gérer. La Région bruxelloise est aux premières loges : bon an mal an, 15 000, voire 20 000 primo-arrivants y débarquent, estime le Ciré (Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers). Avec 4 000 places francophones et 5 400 trajets flamands, la capacité d’accueil prévue ne permettra d’absorber que la moitié de cet afflux. « La Région bruxelloise n’aura pas les moyens de rendre le parcours d’intégration obligatoire dans son intégralité », prévient Sylvie de Terschueren, en charge des politiques d’intégration au Ciré.

Il faudra faire des choix: cibler les publics à atteindre ou bien mettre l’accent sur certains volets d’un parcours qui reste pavé d’incertitudes. A commencer par les motifs qui pousseront à opter pour l’une ou l’autre filière d’intégration. « On peut se demander comment les primo-arrivants, qui n’ont a priori d’affinité ni avec la langue de Vondel ni avec celle de Voltaire, se départageront entre les dispositifs francophone et flamand… »

L’offre n’aura pas la même consistance : les francophones sont encore très loin d’un parcours homogène et complet « à la flamande. » « Une harmonisation entre les dispositifs francophone et flamand s’impose. Ce qui passe notamment par une cohérence au niveau des contenus, des exigences et des publics concernés par le parcours », recommande le Ciré. Sinon ? Sinon, « ce « parcours initiatique » pourrait très vite devenir un parcours du combattant. » De façon un peu cavalière, Liesbeth Homans a pris les paris.

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