Françoise Schepmans est bourgmestre de Molenbeek. D'où sont issus plusieurs terroristes. Alain Courtois est Premier échevin à Bruxelles. © HATIM KAGHAT POUR LE VIF/L'EXPRESS

Intégration : blues MR à Bruxelles

Françoise Schepmans est bourgmestre de Molenbeek. D’où sont issus plusieurs terroristes. Alain Courtois est Premier échevin à Bruxelles. Visée le 22 mars. Tous deux libéraux, ils partagent le même besoin d’agir après l’électrochoc des attentats.

Est-ce pour ne pas laisser au ministre de l’Intérieur, Jan Jambon (N-VA), le monopole du parler vrai et de la popularité qui l’accompagne ? Françoise Schepmans, bourgmestre de Molenbeek, et Alain Courtois, Premier échevin de la Ville de Bruxelles, tous deux MR, se sont donné rendez-vous dans un café bobo flamand du bout de la rue Antoine Dansaert, à Bruxelles, en face du canal. Pour parler de radicalisme et de ce qu’il conviendrait de faire pour reconquérir une jeunesse qui largue les amarres. La question que toute la Belgique se pose après les attentats de Paris et de Bruxelles, pratiquement taboue avant ces événements. « C’était soit le déni soit l’indifférence », résume la bourgmestre de Molenbeek. Le lieu du rendez-vous n’a pas été choisi au hasard. De l’autre côté du quartier Dansaert s’étendent les rues de Molenbeek où ont grandi les terroristes aujourd’hui connus du monde entier : les Abaoud, Abdeslam, Abrini et compagnie. Pour avoir nourri les frères El Bakraoui et Bilal Hadfi dans ses « quartiers » difficiles (Laeken, Neder-over-Heembeek), Bruxelles-Ville n’est pas dispensée d’autocritique. Passer le pont pour tenter d’en jeter d’autres, est-ce tout ce qui reste aux élus de base ?

Les deux libéraux sont bons camarades mais ils n’ont pas la même histoire. Le 27 avril dernier, jour de leur rencontre, Françoise Schepmans vient de faire les honneurs de l’athénée royal Serge Creuz à la reine Mathilde. Rien n’est trop beau, ni l’attention ni les subsides, pour redorer le blason de l’ancienne commune industrielle. Etat de grâce post-traumatique. Alain Courtois, lui, est encore sous le coup du dernier conseil communal de la Ville de Bruxelles, où deux cents commerçants ont réclamé la démission d’Yvan Mayeur, le bourgmestre socialiste avec lequel il fait équipe. Que faire de cet amoncellement d’échecs bruxellois : les attentats, le lockdown, les tunnels, le piétonnier et cette radicalisation rampante d’une partie de la population ? Aux yeux de l’observateur extérieur, il semblerait que Molenbeek remonte à la surface, ayant touché le fond, alors que la capitale continue sa descente aux enfers. En revenant vers le centre-ville, le Premier échevin considère un instant la Bourse. « Le drapeau israélien a-t-il encore été enlevé cette nuit », interroge-t-il ? « Non, mais il est déchiré », lui répond-on. Comme une image de la roche de Sisyphe. Maintenir un semblant de civilité.

En 2002, Françoise Schepmans, alors présidente du parlement de la Communauté française, s’était fait taper sur les doigts pour avoir témoigné du « repli identitaire » des communautés d’origine étrangère dans Le Vif/L’Express du 20 septembre. La jeune femme était alors conseillère communale de l’opposition, face à une majorité PS-Ecolo dirigée par Philippe Moureaux (PS). « Voir une femme totalement voilée, les mains gantées, me met mal à l’aise, alors qu’on vient de voter la parité au niveau politique, confiait-elle alors au Vif. La majorité des écoles ou des associations sociales, sportives ou culturelles de Molenbeek accueillent des jeunes, essentiellement d’origine arabo-musulmane, sans projet visant à s’ouvrir aux autres cultures. Cette absence de mixité sociale et culturelle rend très pesante la pression teintée d’islamisme radical qui s’exerce dans les quartiers. L’alliance du pouvoir communal et de certaines mosquées en vue d’inciter au respect de l’autorité reste marquée du sceau de l’ambiguïté : elle va jusqu’à autoriser la tenue de cours de religion dans les écoles communales. Tout cela ne peut qu’encourager le repli sur soi. »

Accueilli froidement par l’opinion mainstream de Bruxelles, et donc, ignoré, son rapport sur « l’intégration en panne » avait été amplifié par le président du MR de l’époque, Daniel Ducarme. « L’intégration est un échec », avait asséné ce dernier. Pas de quoi, pourtant, crier au scandale. Le MR avançait des remèdes : que l’accès au territoire soit subordonné à la connaissance d’une des langues nationales (principe du parcours d’intégration à l’époque déjà acquis en Flandre), que l’acquisition de la nationalité belge donne lieu à un serment solennel de fidélité à l’Etat belge et à ses valeurs démocratiques (dont l’égalité hommes-femmes), qu’il y ait davantage de mixité dans les quartiers. Il a fallu une bonne dizaine d’années pour que ces propositions soient prises au sérieux du côté francophone. Ensuite, Françoise Schepmans géra Molenbeek en coalition avec Philippe Moureaux (2006-2012).

« J’ai toujours cru que le sport était le meilleur vecteur d’intégration et de multiculturalité. C’était le sens de mon engagement politique », se justifie Alain Courtois. L’ampleur de la tâche lui est apparue lorsqu’il est devenu échevin de l’Etat-civil et des Sports à la Ville de Bruxelles. De cet observatoire privilégié, impossible d’échapper à la complexité et aux tensions d’une grande cité multiculturelle : mariages blancs (« six fonctionnaires sont attachés à cette lutte, ça coûte, et toutes les communes bruxelloises, dont Saint-Josse, n’y sont pas sensibilisées »), explosion des « bébés-papiers » (la reconnaissance d’un enfant facilitant l’accès légal au territoire), mariages par procuration au Maroc (« une nouvelle mode, et on doit les avaliser ici »). L’ancien magistrat du parquet de Bruxelles évoque une époque révolue, quand il n’était pas question de marier un illégal car celui-ci était automatiquement privé de liberté. « Aujourd’hui, le parquet donne son feu vert à ces unions suspectes au motif que le mariage est un droit universel mais il devrait devenir un acte purement administratif », suggère l’échevin libéral.

Dans la foulée, Alain Courtois se dit heurté par la régression du statut de la femme et des jeunes filles « qui ne peuvent plus se promener seules dans la rue ». A son niveau, il fait de la résistance. « J’ai déjà refusé de célébrer huit mariages parce que la femme, souvent très jeune, ne voulait pas me serrer la main, et c’était le futur mari qui m’expliquait les raisons religieuses de son refus. Dans ces conditions, le mariage étant une cérémonie laïque, je n’étais pas en état de le célébrer. Il y avait parfois quarante personnes dans la salle… » En tant qu’échevin des Sports, il est choqué par le repli communautaire de certains clubs, y compris des formations qui évoluent en foot provincial. « J’exige qu’il y ait au moins une pompe à bière dans les buvettes où il n’y avait plus d’alcool. » Il le mentionne pour le principe. Avant de retrouver sa flamme : « Il faut régionaliser l’enseignement et lancer un emprunt gigantesque pour le financer. A Bruxelles, se prend-il à rêver, les jeunes apprendraient l’arabe, l’anglais et le français et ils auraient tous des tablettes. » Il enrage que sa ville tire si peu profit de sa jeunesse. La veille, au parlement bruxellois (il est aussi député bruxellois), des sociologues sont venus expliquer que les jeunes radicalisés souffraient d’un « vide ». Comme celui qui s’ouvre sous les pieds des élus ? Adepte du libéralisme social, Alain Courtois se raccroche à sa métaphore favorite : « Tout le monde, sans exception, doit pouvoir monter sur le terrain, mais une fois dans le jeu, les règles doivent être respectées au risque d’être pénalisé. »

L’exclusion des femmes, Françoise Schepmans l’a combattue bien avant 2016, en participant aux opérations « Femmes au café » destinées à affirmer la présence féminine dans l’espace public. La bourgmestre de Molenbeek est moins pessimiste que le Premier échevin de Bruxelles. Depuis qu’elle est en charge, elle n’aurait vécu que « deux cas » d’hostilité manifeste à son égard, en tant que femme. Pour le reste, elle ressent plutôt un mouvement de sympathie et une aspiration légitime au respect. « Les gens veulent retrouver un rôle, insiste-t-elle. C’est le moment de les impliquer, en restant fidèles à nos valeurs d’émancipation et de responsabilisation ». Mais les réformes tardent à son goût. « Les cours de citoyenneté et le parcours d’intégration que je défends depuis des années ne sont toujours pas obligatoires et ils ne vaudront que pour les primo-arrivants ».

Un autre regret récurrent : l’encadrement insuffisant des mosquées, des imams, professeurs et conseillers islamiques. Un sujet qui se traite aux niveaux fédéral et régional du pouvoir « car tout ne se résume pas au niveau local ». La bourgmestre est donc active en commission de l’Intérieur du Parlement fédéral (dont elle est vice-présidente) et prend langue avec les autres pouvoirs. Devançant le « big bang » d’une régionalisation éventuelle de l’enseignement, elle veut donner un coup de pouce à l’école, creuset des générations futures. « Il faut ramener les enfants de la classe moyenne dans le nord-ouest de Bruxelles, affirme-t-elle. Leurs parents les inscrivent parfois très loin, jusqu’à Waterloo. En septembre 2017, nous allons ouvrir une école secondaire à Molenbeek. C’est un projet original monté avec la commune de Berchem-Sainte-Agathe et plusieurs pouvoirs organisateurs, dont l’enseignement libre non confessionnel, en partenariat avec Beci, la chambre de commerce et d’industrie de Bruxelles, la Fédération Wallonie-Bruxelles et la Région de Bruxelles-Capitale. » Et si le décloisonnement, autant que l’intégration, était le vrai défi de Bruxelles ?

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