© Frédéric Pauwels/Luna

Ingrid Colicis: « Les gens ont compris l’impuissance des politiques »

Comment être femme politique et militante socialiste en 2010? En osant prononcer des vérités qui dérangent, répond l’échevine carolo Ingrid Colicis. Ses vérités: la sidérurgie ne se maintiendra pas à Charleroi, les élus sont démunis face aux conséquences de la crise. Entretien.

Le Vif/L’Express. Le PS fête ses 125 ans. Quelle importance revêt pour vous cet anniversaire?
Ingrid Colicis. Il rappelle que les avancées sociales ne tombent pas du ciel. La jeune génération se lève avec la sécurité sociale et se couche avec la sécurité sociale. Or il suffit de voir le débat autour de la réforme des soins de santé voulue par Barack Obama pour se rendre compte que ça ne va pas de soi. Les Américains ont dû attendre soixante ans de plus que nous pour obtenir un embryon de sécurité sociale.

L’Etat-providence, ce sont les socialistes qui l’ont apporté. Mais que constate-t-on aujourd’hui? Depuis le début des années 1980, le combat se resserre, il devient plus pointu: la place des handicapés dans la société, l’antiracisme, l’aide à la jeunesse, les droits de l’enfant… Ce sont des combats importants, mais des combats souvent centrés sur des communautés. On travaille par morceaux de société, on ne travaille plus sur la société entière.

Les socialistes auraient-ils renoncé à leur ambition de transformer la société?
Non. Moi, je la transforme à travers mes compétences. Depuis que je suis échevine des Sports, le sport pour tous est mon seul leitmotiv. A Charleroi, où près de 30% des gens sont au chômage, c’est la priorité des priorités. Pour jouer dans un club de foot, par exemple, il faut compter 200 euros d’inscription, plus le matériel… Je ne vois pas pourquoi un enfant qui vient d’une famille monoparentale n’aurait pas le droit de faire de l’équitation. Je ne supporte pas l’idée que des enfants soient coincés chez eux devant la Nintendo parce que papa et maman n’ont pas assez d’argent. Pour cette raison, on avait énormément développé les chèques-sports à Charleroi. Beaucoup de parents me disaient: sans ce chèque de 100 euros, je ne peux pas inscrire mon enfant dans un club. Malheureusement, le chèque-sport a été supprimé par la Communauté française…

Vous l’avez dénoncé au travers d’une carte blanche dans Le Soir, cosignée avec Raoul Hedebouw, le porte-parole du PTB. Cela ne vous gênait pas de faire cause commune avec un parti d’extrême gauche, contre une décision prise par le gouvernement de la Communauté française, dans lequel siège le PS?
Je l’assume. Je ne suis pas toujours d’accord avec le PTB, loin de là. Mais sur ce sujet, nous étions d’accord. On a essayé d’élargir la liste des signataires, notamment en sollicitant des élus Ecolo, mais ils ont refusé. J’ai maintenu ma signature, parce que j’estimais que c’est un combat qu’on ne devait pas perdre. Je voulais adresser un message de désapprobation au ministre qui a pris cette décision, et à ceux qui l’ont acceptée.

Mais cet épisode prouve au moins qu’au PS, on peut encore s’exprimer. Un: je n’ai pas demandé l’autorisation. Deux: il ne m’est rien arrivé après la publication de la carte blanche.

Pourquoi le Parti socialiste compte-t-il si peu de « frondeurs » dans ses rangs?
Peut-être parce que les autres manquent de courage, tout simplement. Moi, j’ai toujours eu un côté kamikaze. Je pense que ce parti peut s’autoriser un petit peu d’audace. On pourrait en attendre davantage de la jeune génération, mais certains sont extrêmement ambitieux et ne prendront jamais le risque de perdre un mandat ou un dossier important parce qu’ils se sont exprimés. On gagne toujours plus en se taisant… Je suis très fâchée avec le ministre des Sports, André Antoine, alors que je suis échevine des Sports de la plus grande ville de Wallonie. J’aurais plutôt eu intérêt à aller manger chaque semaine avec lui. Mais il y a des moments où les valeurs qu’on défend sont primordiales.

Comme élue socialiste à Charleroi, vous ne vous sentez pas démunie face aux drames sociaux provoqués par la crise économique?
Si, on se sent impuissant. Et je pense que les gens ont compris cette impuissance. C’est nouveau. Lors du conflit social chez AGC Automotive, à Fleurus, en 2005, les travailleurs plaçaient encore de l’espoir dans l’action des politiques. Ils nous disaient: sauvez-nous, faites quelque chose! Maintenant, en cas de pertes d’emplois, les travailleurs ne se tournent plus vers le politique. Après l’annonce des restructurations chez Carrefour, personne n’a demandé aux bourgmestre et échevins de Charleroi de se mobiliser. Parce que, à la limite, que pourrait-on faire?

A mon tout petit niveau, j’ai interdit à Carrefour de mettre un pied dans le stade de Charleroi, lors du départ de la Flèche wallonne. On a exigé de la société ASO, qui organise la course, de bannir tous les panneaux Carrefour. Cela a foutu en l’air un contrat de sponsoring de 50.000 euros. Je m’en fous, j’en suis très fière. C’est tout ce que j’ai pu faire, mais c’était une façon de dire: respectez un peu les gens! Carrefour ne peut pas mettre à la rue 500 personnes, car c’est probablement deux magasins qui vont fermer à Charleroi, et organiser par ailleurs un luxueux petit-déjeuner pour soigner son image.

En attendant, vous n’empêchez ni les licenciements chez Carrefour ni l’arrêt quasi total de la sidérurgie dans le bassin carolo.
Non, par rapport à ça, je ne sais rien faire. Concernant la sidérurgie, on voit bien que le déclin se confirme de jour en jour. Les activités devaient reprendre après trois mois, après six mois, après un an. Et ce n’est toujours pas le cas. On évoquait la construction d’une nouvelle cokerie. On sait depuis trois semaines qu’elle ne sera pas construite. Or c’était la perspective de 400 emplois. La sidérurgie ne se maintiendra pas.

Alors, qu’attend-on pour former et reconvertir ces travailleurs qui sont au chômage économique depuis deux ans? Quand on sait souder une tôle, peut-être qu’on sait fabriquer un panneau photovoltaïque. Qu’attend-on pour lancer de nouvelles entreprises, avec des subsides de la Région wallonne?

La sidérurgie à Charleroi, c’est donc fini?
Ce le sera dans quelques années. Mais cela demande du courage politique, et du courage syndical, de le reconnaître. Mettre en oeuvre de vraies politiques de formation et de reconversion implique une condition sine qua non: admettre que la sidérurgie, ce n’est pas une perspective d’avenir. Cela reste un énorme tabou. Mais c’est un tabou à briser. Le côté révolutionnaire de la politique, aujourd’hui, c’est parfois ça: prendre le risque de dire aux travailleurs que leur usine va fermer dans cinq ou dix ans.

Propos recueillis par François Brabant

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