Gérald Papy

Incidents au Pukkelpop : « Ce racisme qui se répand »

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Comment peut-on être fan de Kendrick Lamar et raciste ? Les deux jeunes filles agressées au festival Pukkelpop à Hasselt ont sans doute ressassé depuis samedi la question de cette incongruité entre les chants d’un groupe de jeunes vantant le passé colonial criminel des agents de Léopold II (« Coupe les mains, le Congo est à nous ») et les sons du rappeur afro-américain dont la vie est un plaidoyer contre toute discrimination.

L’incohérence des actes et les remords exprimés depuis par un des agresseurs  » effrayé par son propre comportement  » inclineraient à reconnaître aux auteurs les circonstances éventuellement atténuantes de l’effet de groupe, de l’ivresse et de l’imbécilité crasse. Pareille indulgence contribuerait cependant à banaliser un délit qui doit de moins en moins l’être.

En Europe commence à poindre un climat où le racisme et la discrimination contre les musulmans non seulement s’expriment ouvertement mais se traduisent aussi, à l’occasion, en actes violents. Parce qu’elle était voilée, une jeune fille a été violentée, le 2 juillet dernier, à Anderlues par deux hommes dont on ignore encore l’identité. Une dizaine de personnes ont été mises en examen, le 27 juin, par la justice française pour avoir projeté de s’en prendre à des imams radicaux, des anciens détenus pour terrorisme et des  » femmes voilées choisies au hasard dans la rue « . Les suspects disaient appartenir à un groupe dénommé Action des forces opérationnelles et, selon le spécialiste de l’extrême droite Jean-Yves Camus,  » se sentaient investis d’une mission de service public par substitution « . Aux dires de notre ministre de la Justice Koen Geens relayant des informations de la Sûreté de l’Etat,  » la Belgique compterait plusieurs dizaines d’activistes d’extrême droite prêts à mener des actions violentes et à enfreindre la loi sur la base de leur cadre idéologique « .

Faut-il pourrir un peu plus le contexte sensible que l’on connaît par des prises de parole lapidaires et incendiaires ?

Toute crise économique exacerbe les tensions sociales. On commence à sortir de celle de 2008. Mais la reprise est encore fragile. Le défi posé par l’arrivée des migrants depuis l’exode des réfugiés syriens de 2015 a été mal géré par une Union européenne divisée et erratiquement par une Belgique partagée. Le zénith de la crise est sans doute surmonté. Mais, faute de dialogue apaisé, ses conséquences risquent de peser encore sur le vivre-ensemble.

Le contexte est indubitablement sensible. Faut-il le pourrir un peu plus par des prises de parole lapidaires et incendiaires ? Le militant américain de la lutte contre l’extrême droite Jared Holt explique dans une interview au Vif/L’Express combien le discours de Donald Trump depuis son élection a rencontré les attentes des cercles suprémacistes blancs et a déculpabilisé leurs prises de position racistes. Celui d’un Theo Francken en Belgique n’atteint pas les mêmes sommets d’exagération et d’indignité. Pour autant, à quoi servent, égrenées à intervalles réguliers, ses saillies agressives et ses tweets méprisants ? Sa politique ferme, voire radicale, à l’égard des migrants, qui suffit à séduire l’électeur de droite, n’en a pas besoin. Les dérapages verbaux, eux, n’ont pour fonction que de flatter cette frange de l’électorat qui hésite aujourd’hui entre le Vlaams Belang et la N-VA. Mais ils ont potentiellement aussi pour conséquence d’instiller dans certains esprits, à Hasselt ou ailleurs, une minimisation de l’aspect transgressif du racisme et un sentiment d’inaltérable impunité. A tort.

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