Yves Desmet

In cauda venenum

Elio Di Rupo, préformateur. Saluons au passage le Palais dont l’imagination en matière de néologismes est apparemment sans limites. Mais qu’importe le nom du chat pourvu qu’il attrape des souris.

Par Yves Desmet, Editorialiste au Morgen

Que Di Rupo ait accepté tout schuss la demande – formulée, en fait, par De Wever – indique que les deux protagonistes ont réalisé davantage de progrès que ceux dont ils veulent convenir en public. Cela ne suffit toutefois pas pour entamer illico la constitution du nouveau gouvernement, mais l’entente entre les deux grands vainqueurs du 13 juin a été plus solide que ce qu’a laissé entendre De Wever lors de sa conférence de presse qui a suivi la fin de sa mission d’informateur.

Car, au jeu de poker et de bluff que ces deux-là jouent entre eux et face à l’opinion publique, il est de bonne guerre de faire semblant qu’on reste les mains vides. Ainsi, ils pourront, au cours des prochaines semaines, de nouveau faire état de quelques avancées.

Il vaut mieux aussi ne pas trop éprouver les perdants des élections en les confrontant avec une pénible réalité, à savoir que, hormis la N-VA et le PS, il n’y a plus que de petits partis dans l’arène politique, tout juste autorisés àélever respectueusement le doigt s’ils souhaitent faire partie de la prochaine coalition gouvernementale, dont le programme sera dressé, à peu de chose près, par le tandem Di Rupo-De Wever. La vérité ne peut leur être rappelée aussi brutalement. Aussi faut-il créer au moins l’illusion que les autres partenaires de la future coalition auront leur mot à dire.

Dans ces petits partis, la déception causée par le scrutin du 13 juin a cédé la place au calcul. A l’Open VLD, l’affaire est réglée : le désir d’une cure d’opposition y est à ce point ardent que les bleus flamands, en mettant la barre le plus haut possible, ont pratiquement exclu leur entrée dans le prochain cabinet. Clamer haut et fort que de nouveaux impôts sont à proscrire, c’est mettre un veto au futur gouvernement Di Rupo, condamnéà trouver – le plus tôt sera le mieux – la coquette somme de 22 milliards d’euros.

Et au MR, on en est même arrivé à se battre sans vergogne sur les pavés de la rue de la Loi, à tel point que la question se pose de savoir si le PS osera courir le risque d’embarquer des partenaires aussi peu fiables. Les choses étant ce qu’elles sont, l’option la plus probable semble donc la formation d’un gouvernement fédéral reflétant les couleurs des exécutifs des entités fédérées.

Mais avant qu’on en soit là, beaucoup d’eau coulera encore sous les ponts de l’Escaut et de la Meuse. La victoire de Bart De Wever fut trop massive pour qu’il puisse se replier sur la position qu’il affectionne : contempler le spectacle politique depuis la ligne de touche, assumer le rôle de leader d’un « parti fouet » (zweeppartij) et décider, comme bon lui semble, s’il entre au gouvernement et s’il y demeure. La N-VA n’est plus le frère cadet du cartel qu’elle formait naguère avec le CD&V, elle est le premier parti du royaume.

De Wever sait fort bien que personne ne tirera les marrons du feu pour lui. Tant que Bart De Wever ne réussira pas à convaincre ses interlocuteurs de négocier un accord qu’il pourra faire adopter par le congrès de son parti, et tant qu’il ne se décidera pas à entrer lui-même au gouvernement, une vraie percée dans les négociations, fût-elle partielle, risque de se faire attendre encore longtemps. In cauda venenum (dans la queue le venin), a dit De Wever.

On s’en apercevra quand l’heure de vérité aura sonné, lorsque le président de la N-VA se présentera devant son congrès en lui soumettant les concessions, inévitables, auxquelles il devra se résoudre et qui seront jaugées à l’aune des engagements que voudront bien prendre les francophones.

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