La majorité des biens laissés à l'abandon sont vétustes et nécessitent un solide investissement pour les remettre en état. © BELGAIMAGE

Immeubles inoccupés : les communes affichent un cruel manque de volonté

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Depuis une vingtaine d’années, les immeubles inoccupés sont dans le viseur politique et les multiples mesures prises ne parviennent pas à les éradiquer. Le ministre Furlan en concocte de nouvelles. Mais tant que les communes n’y mettront pas du leur…

Il y a des thématiques, comme ça, qui survolent les législatures sans jamais atterrir. En 1993, le Parlement fédéral votait la  » loi Onkelinx « . On allait voir ce qu’on allait voir ! Les bourgmestres réquisitionneraient enfin les immeubles inoccupés pour loger les sans-abris. On a vu : le texte n’a été appliqué qu’une fois. En 2003, le ministre socialiste Michel Daerden créait un impôt régional sur les biens vides. On allait voir ce qu’on allait voir ! Les propriétaires payeraient enfin, eux qui étaient trop souvent épargnés quand les communes décidaient. On a vu : dès 2005, la taxe repassait sous le giron communal, faute de pouvoir élaborer un véritable relevé.

Mais on allait voir ce qu’on allait voir ! Cette fois, la Région presserait les entités pour généraliser la taxe sur les immeubles inoccupés. Celles qui rechignent ? Privées de certains subsides ! On a vu : si les communes taxatrices sont passées de 30 à 230 en dix ans, à peine 20 % des biens supposés inhabités cracheraient effectivement au bassinet, de l’aveu de l’actuel ministre wallon du Logement, Paul Furlan (PS). Bon, cette fois, on va vraiment voir ce qu’on va voir. Le gouvernement wallon concocte un nouveau décret, passé en première lecture en juillet dernier et potentiellement d’application en 2017. Il doit faciliter la tâche communale, en permettant la prise en gestion unilatérale, la perception d’une amende administrative… On verra.

On ne demande qu’à voir. Tant de gens sont mal (ou pas) logés que l’idée que certains toits croupissent défie l’entendement. En Wallonie, 39 000 ménages patientent sur liste d’attente dans l’espoir d’occuper une habitation sociale. Du coup le politique tique, logique. Avec plus d’offres sur le marché, la pression immobilière fléchirait, CQFD. Pourquoi la chasse aux propriétaires réfractaires semble-t-elle alors si lacunaire ? 6,1 millions d’euros budgétés en 2014, soit une moyenne de… 26 500 euros par entité concernée !

Manque de rigueur

Y aurait-il si peu d’immeubles inoccupés ? Nul ne le sait. Première difficulté. Les années passent, les mêmes estimations (entre 15 000 et 30 000) restent… sujettes à caution. Les communes sont censées dresser un inventaire. En 2009, elles en comptabilisaient 7 720, mais  » l’exercice n’a sans doute pas toujours été mené avec toute la rigueur nécessaire « , nuançait le ministre de l’époque, Jean-Marc Nollet (Ecolo).

Depuis, plus aucun chiffre global n’a filtré. Les communes mettent toujours peu de coeur à l’ouvrage. Deuxième difficulté.  » C’est même le fond du problème, considère Philippe Defeyt, ancien président du CPAS de Namur. La lutte ne peut marcher que s’il y a une vraie volonté communale et si tous les acteurs concernés se concertent.  »

Pourtant, bourgmestres et échevins le savent, une habitation désertée ne rapporte pas un clou d’IPP et peut dévaloriser tout un quartier. Est-ce alors par paresse électorale ?  » Il est toujours politiquement suicidaire de s’attaquer trop de front à cette catégorie de la population « , épingle Nicolas Bernard, professeur de droit immobilier à l’université Saint-Louis.

Estimés entre 15 000 et 30 000, les immeubles inoccupés devraient, depuis 1993 et la
Estimés entre 15 000 et 30 000, les immeubles inoccupés devraient, depuis 1993 et la « loi Onkelinx », accueillir des sans-abris. Dans les faits, le texte n’a été appliqué… qu’une fois.© JEAN-MARC QUINET/ISOPIX

A leur décharge, le vide est difficile à débusquer. Troisième problème. Il faut y investir du temps, de l’argent, du personnel. Toutes les communes n’en disposent pas. A Charleroi, une cellule de contrôle a été créée en 2012, pour passer au crible les 20 000 logements du parc locatif privé.  » Bâtiment par bâtiment, rue par rue… Nos agents doivent parfois retourner cinq, six fois à une même adresse ! Ce travail prendra deux à trois législatures « , expose l’échevine Ornella Cencig (MR). A Namur, ville à la pointe, un  » groupe de liaison  » réunit chaque mois, depuis 2012, les différents services administratifs concernés.  » Police, parquet, CPAS, échevinats du logement, de la population, de l’urbanisme, des finances…, énumère l’échevine Stéphanie Scailquin (CDH). L’idée est de croiser les bases de données.  »

Seuils indéfinis

La plupart des communes se contentent d’un relevé visuel. Le Code wallon du logement définit un immeuble inoccupé comme étant vide depuis au moins douze mois et dépourvu de mobilier comme de domiciliation. Ses consommations en eau et en électricité doivent aussi être inférieures à un seuil minimal déterminé par le gouvernement wallon… qui ne l’a jamais fixé. Le décret Furlan devrait y remédier, portant la limite à 5 mètres cubes et 10 kilowatt-heure par an.

Le Centre d’études en habitat durable (CEHD), mandaté par le ministre, a réalisé une étude sur cette base à Charleroi, Namur et Seraing.  » Il s’agit d’établir un outil de mesure et d’identification de la vacance que toutes les communes pourront utiliser « , détaille son auteure, Stéphanie Cassilde. Mais même les seuils de consommation d’eau et d’électricité ne sont pas évidents à établir. Des habitations occupées ne consommaient quasi rien (merci, panneaux solaires et citernes à eau de pluie) tandis que des maisons vides crevaient l’un ou l’autre plafond (une fuite suffit).  » Il est donc important de croiser toutes les sources et, idéalement, de faire un constat visuel.  »

Autre difficulté : des immeubles ne sont pas des logements. Seul l’abandon des premiers est taxé. Même si 90 % des appartements d’un même bâtiment sont inhabités, les autorités ne pourront pas agiter le bâton financier.  » Nous avons voulu mettre en place une taxe sur les logements spécifiquement, mais la tutelle régionale l’a annulée « , regrette Stéphanie Scailquin.

Puis, les propriétaires ont toujours une pièce pour boucher le trou. Une bonne pièce, habituellement. Succession houleuse, entrée en maison de repos, attente de permis d’urbanisme, manque de moyens, vente qui traîne, mauvaise expérience locative… Les méchants spéculateurs ou les emmerdeurs sont rares. A Namur, sur 147 dossiers traités par les services communaux, seuls deux ont fait l’objet d’une procédure judiciaire. A Charleroi aussi, ces profils restent  » très minoritaires « , confirme Ornella Cencig.

Mais ceux-là ne lésinent pas sur les moyens de contestation. Abusant des subterfuges (une échelle et deux paquets de plâtre pour simuler des travaux) comme des recours en justice. Après avoir été condamnée une première fois à rembourser toutes les taxes prélevées car le règlement n’expliquait pas suffisamment pourquoi les biens publics étaient exemptés, Charleroi vient d’être déboutée une deuxième fois parce que le règlement n’avait été affiché qu’à l’intérieur de l’administration et non à l’extérieur, alors que la loi exige qu’il soit visible 24 heures sur 24.

Coûteuses procédures. Coûteuses prises en charge, aussi. Le Code wallon prévoit que les pouvoirs publics, par exemple via une agence immobilière sociale, puissent prendre le bien en gestion, en rétrocédant un loyer au propriétaire, minoré des frais de rénovation. Car comme la majorité des logements sont vétustes, un paquet d’argent est nécessaire pour les remettre en état. Des subsides existent, mais ils ne sont pas infinis. Et rares sont les opérateurs qui peuvent se permettre d’avancer les fonds.

Alors pour certaines communes, c’est tout vu. Les immeubles inoccupés attendront. D’autant que le problème n’est peut-être pas si aigu que ça. L’étude du CEHD a conclu à une vacance de 2,7 % à Charleroi et de 0,28 % à Namur. Olivier Hamal, président du Syndicat national des propriétaires et copropriétaires, se tue à le répéter.  » On n’a rien contre le fait qu’on prenne des mesures, sous forme de taxe ou autre. Mais ça ne doit pas devenir idéologique ! Il y a très peu de spéculateurs. Puis, ce qui vraiment nous heurte, c’est que le public ne donne pas l’exemple.  »

Wallonie – Bruxelles, même combat

Au dernier décompte bruxellois, plus de 45 700 ménages attendaient un logement social. Les 3 154 biens publics actuellement non loués ne résoudraient pas à eux seuls la crise immobilière qui plombe la capitale. Les immeubles privés pourraient-ils y remédier ? Ils seraient entre 15 000 et 30 000, mais comme en Wallonie, les chiffres sont bancals. Depuis 2009, une cellule  » logements inoccupés » a été créée par la Région. Celle-ci délivre également des amendes administratives (111 en 2015) s’ajoutant aux taxes communales. La Région tente de rapatrier cette taxation, mais seules 10 communes ont pour l’instant consenti à la rétrocéder. La ministre Céline Fremault (CDH) vient de lancer un appel à projets pour élaborer une méthodologie permettant d’identifier plus précisément les habitations vides. La Région change, les mêmes problèmes restent.

Selon le cabinet Furlan, il y a, en Wallonie, 4,9 % de logements publics inoccupés, dont 1,36 % sont non louables et doivent faire l’objet de grosses rénovations. Qui tardent parfois à se concrétiser, faute de fonds.  » Comme quoi, les privés aussi peuvent avoir le même problème !  » raille Olivier Hamal. Dans le Hainaut, au 31 décembre 2014, il y avait ainsi 1 962 biens non loués dont 1 032 non louables, parmi lesquels 632 proviennent de la Carolorégienne. A Namur, en revanche, seuls 10 logements sont non louables.  » Avant de mettre notre groupe de liaison en place, on a d’abord mis de l’ordre dans nos propres affaires « , glisse Philippe Defeyt. Taxation bien ordonnée…

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire