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Il y a 20 ans éclatait l’affaire Dutroux

Il y a 20 ans, deux fillettes disparaissaient à Grâce-Hollogne, en région liégeoise. Leurs corps sans vie seront retrouvés 14 mois plus tard. Face à une opinion publique plus remontée que jamais, l’affaire au retentissement inouï a révélé les nombreuses carences de l’appareil judiciaire.

Samedi 24 juin 1995, il y a 20 ans, deux fillettes disparaissaient à Grâce-Hollogne, en région liégeoise. Julie Lejeune et Mélissa Russo avaient huit ans. Leurs corps sans vie seront retrouvés 14 mois plus tard à Sars-la-Buissière, enterrés dans le jardin d’une maison appartenant à Marc Dutroux.

Face à une opinion publique plus remontée que jamais, l’affaire au retentissement inouï a révélé les nombreuses carences de l’appareil judiciaire. On lui doit des réformes qui ont sensiblement changé l’organisation de la police et de la justice.

Marc Dutroux a été condamné le 22 juin 2004 par la cour d’assises d’Arlon à la réclusion à perpétuité avec mise à disposition du gouvernement pendant 10 ans. Il a notamment été reconnu coupable de l’enlèvement, la séquestration et le viol de Julie et Mélissa, An Marchal, Eefje Lambrecks, Sabine Dardenne et Laëtitia Delhez ainsi que de l’assassinat des quatre premières et de Bernard Weinstein.

Sa femme, Michelle Martin, a écopé de trente ans de prison et son complice Michel Lelièvre de 25 ans. Michel Nihoul, un homme d’affaire bruxellois, s’en est sorti avec cinq ans de prison pour trafic de drogue et association de malfaiteurs. Le 26 octobre 2010, la chambre du conseil de Neufchâteau a refermé le dossier « bis », ouvert pour permettre notamment l’analyse de quelque 6.000 cheveux et autres traces retrouvés dans les maisons et véhicules du psychopathe. Ce dossier n’a pas permis d’identifier de nouveau suspect, enterrant la thèse d’un réseau pédophile.

Les suites du Procès du siècle

Si une page s’est tournée à la fin du « procès du siècle », plusieurs questions subsistent, notamment sur les sévices infligés à Julie et Mélissa alors qu’elles étaient enfermées dans la cache de Dutroux et sur la manière dont elles sont mortes. Tout au long de l’enquête, les parties civiles n’ont cessé de dénoncer les errements du système répressif belge, mobilisant la population. La contestation populaire a atteint son sommet le 20 octobre 1996, lorsque 300.000 personnes vêtues de blanc sont descendues dans les rues de Bruxelles pour réclamer une police et une justice plus efficaces. Cette Marche blanche reste le plus grand rassemblement de l’Histoire de la Belgique d’après-guerre.

A cette occasion, Jean-Luc Dehaene, alors Premier ministre, s’était engagé à prendre une série de mesures pour améliorer le fonctionnement de la justice et sanctionner sur le plan disciplinaire les personnes fautives. Il avait également promis la création d’un centre national pour enfants disparus, que l’on connaît aujourd’hui sous le nom de Child Focus. Dans la foulée, une commission parlementaire a été mise en place.

Les auditions, retransmises en direct par les chaînes de télévision, ont connu un audimat « de pointe » de 700.000 téléspectateurs. Dans leurs conclusions, les députés ont confirmé des lacunes et des dysfonctionnements lors de l’enquête, principalement un manque de coordination et une concurrence malsaine entre les différents services de police. La commission, qui a exclu l’existence de protections, a aussi émis des recommandations quant à une nouvelle organisation judiciaire.

Il faudra toutefois attendre la brève mais interpellante évasion de Marc Dutroux un an plus tard pour que des réformes aboutissent. L’événement a valu la démission des ministres de la Justice, Stefaan De Clerck, et de l’Intérieur, Johan Vande Lanotte.

Les réformes de la justice, conséquences de l’affaire

Les mois suivants, une police intégrée à deux niveaux (la police locale et la police fédérale) est organisée. Les polices communales et brigades de gendarmerie disparaissent. La Loi Franchimont modifie la procédure pénale pour prendre davantage en compte les victimes et mieux les informer. Celles-ci peuvent dorénavant demander des devoirs d’enquête complémentaires et être entendues lors d’une demande de libération conditionnelle.

En 1999, un Conseil supérieur de la justice est créé pour dépolitiser la magistrature. Un tribunal d’application des peines, chargé notamment d’examiner les demandes de libération, voit le jour en 2007. L’instauration d’une école de la magistrature, également envisagée, est en revanche passée à la trappe. Les sanctions disciplinaires promises n’ont quant à elles jamais été prises. Des procédures ont bien été entamées mais soit aucune faute n’était avérée, soit les faits étaient prescrits, soit les poursuites ont été considérées comme nulles pour violation des droits de la défense.

Dutroux, Lelièvre et Martin de la prison vers la libérté?

Vingt ans après l’enlèvement de Julie Lejeune et Mélissa Russo, Marc Dutroux, l’auteur principal des faits, est toujours derrière les barreaux. Condamné en 2004 à la réclusion à perpétuité avec mise à disposition du gouvernement pendant 10 ans, ses chances de sortie sont minces.

Michel Lelièvre, son complice, est lui aussi incarcéré mais a déjà bénéficié de sorties pénitentiaires. Il ne désespère pas de voir ses demandes de libération conditionnelle aboutir, à l’instar de Michelle Martin, l’ex-épouse de Marc Dutroux sortie de prison en 2012.

Michelle Martin a quitté la prison de Berkendael le 28 août 2012, après 16 ans d’enfermement et un arrêt de cour de cassation estimant conforme à la loi la décision du tribunal de l’application des peines (TAP) de la libérer sous conditions.

La condamnée a séjourné deux ans et demi au monastère des Clarisses à Malonne. Les soeurs devant déménager en juillet à Woluwe-Saint-Pierre, elle s’est ensuite installée, en avril dernier, dans la propriété floreffoise de Christian Panier, l’ancien président du tribunal de première instance de Namur. « J’ai la conviction que la réinsertion est ce qui fait la différence entre la justice de la vengeance et la justice de civilisation », avait alors expliqué celui-ci.

Michelle Martin suit actuellement des cours de droit à Namur.

En 2004, elle avait été condamnée par les assises d’Arlon à 30 ans de prison pour association de malfaiteurs impliquée dans les enlèvements et les séquestrations d’enfants, séquestrations, tortures et pour avoir participé au viol d’une jeune Slovaque. Sa libération conditionnelle a suscité un tollé dans l’opinion publique. En réaction, le législateur a adopté en 2013 une loi qui durcit l’accès à la libération conditionnelle. Cette loi prévoit notamment qu’un condamné à 30 ans ou à perpétuité ne puisse plus introduire sa demande de libération qu’après 15 ans de réclusion, au lieu de 10 précédemment. La décision sur une demande introduite par un condamné à 30 ans ou plus doit en outre être adoptée à l’unanimité de cinq juges, et non plus à la majorité simple de trois juges.

Dans le cadre d’une demande de libération de Marc Dutroux, le TAP a demandé à la cour constitutionnelle notamment si la règle des cinq juges n’était pas contraire au principe de non-rétroactivité: cette règle s’applique à Marc Dutroux alors qu’il a été condamné avant l’entrée en vigueur de la loi. Le 28 janvier 2015, la cour constitutionnelle a répondu par la négative. Il s’agit d’une règle procédurale qui ne modifie pas la peine, a-t-elle justifié.

A noter que la prolongation des délais nécessaires pour pouvoir demander une libération conditionnelle, elle, ne s’applique qu’aux personnes condamnées après l’entrée en vigueur de la loi. En théorie, Marc Dutroux est donc libérable depuis le 30 avril 2013. En pratique cependant, ses demandes ont peu de chance d’aboutir. Ses perspectives de réinsertion sociale sont inexistantes, d’après le parquet.

En février 2013, le TAP a rejeté sa demande de port de bracelet électronique pour ce motif. Sa peine de prison à perpétuité est de plus assortie de 10 ans de mise à disposition du gouvernement (du TAP aujourd’hui). Cette peine complémentaire permet, le cas échéant, d’empêcher sa libération à l’échéance de sa peine principale.

Michel Lelièvre est lui aussi toujours incarcéré. Condamné à 25 ans de prison pour association de malfaiteurs, enlèvements et séquestrations d’enfants ainsi que pour trafic de drogue, il peut demander une libération conditionnelle depuis 2005, ce qu’il a fait à plusieurs reprises.

En juin 2013, le TAP de Bruxelles lui a accordé cinq permissions de sortie pénitentiaire en guise de préparation et de test à une éventuelle détention limitée. Il souhaitait suivre une formation en menuiserie mais l’association qui avait accepté de l’accueillir a finalement fait marche arrière en raison de la pression médiatique. Le TAP a donc rejeté sa demande de détention limitée pour absence de plan de réinsertion. « La médiatisation de mon client ne l’aide pas. Dans sa situation, mettre en place un plan de reclassement est très compliqué », admet son avocate Me Benjamine Bovy. Certains médias le présentent comme un violeur, alors qu’il n’a jamais violé d’enfant, pointe-t-elle aussi, « même s’il est conscient de l’horreur des faits qu’il a commis ».

D’après son avocate, Michel Lelièvre espère autant qu’il appréhende le jour où il sortira de prison. « Il est détenu depuis près de 20 ans et il est conscient de ses faiblesses. C’est pourquoi il ne veut pas sortir à n’importe quel prix. Il veut mettre en place quelque chose de solide. »

Michel Nihoul, enfin, est sorti de prison en 2006. Blanchi pour tous les faits liés aux enlèvements d’enfants, il avait écopé d’une peine de cinq ans d’emprisonnement pour trafic de drogue et association de malfaiteurs. Il a depuis fondé une ASBL d’aide aux justiciables et a publié un livre autobiographique intitulé Taisez-vous!

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