Kristof Calvo, le chef de groupe Ecolo-Groen à la Chambre, trouve que les partis progressistes doivent collaborer sur des dossiers concrets. © Belga

« Il faut un parti de gauche progressiste pour stopper la N-VA »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Seule une alliance entre socialistes, écologistes et progressistes du CD&V et de l’Open VLD permettrait de contrer les nationalistes en 2018 et 2019. Avec une liste et un nom communs. Parmi ceux qui en sont partisans, Daniel Termont, bourgmestre de Gand SP.A. A peine désigné deuxième meilleur maïeur du monde par la fondation City Mayors – un « honneur », sourit-il, Daniel Termont reprend son bâton de pèlerin pour défendre son idée d’un nouveau parti de gauche progressiste en Flandre. Entretien exclusif.

Vous êtes un partisan de la mise en place d’un cartel des partis progressistes SP.A et Groen, à l’image de ce que vous avez initié concrètement à Gand?

Je suis plus convaincu que jamais d’une telle nécessité. Aujourd’hui, en Flandre, toutes les voix de droite se concentrent sur la N-VA. Le Vlaams Belang a pratiquement disparu, l’Open VLD et le CD&V ont perdu beaucoup de voix. Même nous, nous avons perdu des voix à leur profit. Voilà pourquoi ils ont obtenu plus de 30% en mai 2014. Si l’on analyse les résultats des dernières élections, on ne peut pourtant pas dire que la gauche a perdu en Flandre, et certainement pas en Belgique. Au contraire: nous progressons! Le problème, c’est que le voix sont dispersées en Flandre entre Groen, le SP.A, le PvdA… Je suis convaincu que pour répondre en Flandre à la gestion de droite actuelle, nous devons proposer une alternative de gauche et faire en sorte que ces voix soient regroupées en un groupement. Oui, je suis favorable à un cartel.

Les partis se se présenteraient donc ensemble aux élections, comme le CD&V et la N-VA en 2003?

En effet. Cela n’empêcherait pas les partis de continuer à exister, mais leurs candidats se retrouveraient sur une liste commune. Nous avons prouvé à Gand que cela était possible. Il y avait sur notre liste des candidats Groen, SP.A, mais aussi une série de sans-abris de la gauche. Je peux vous assurer qu’il y a actuellement beaucoup d’insatisfaction au sein de l’ACV (Ndlr – équivalent de la CSC) au sujet de la politique du gouvernement Michel. Je suis persuadé que certains seraient tentés par une alternative et un programme social de gauche. Ce qui s’est passé à Gand peut être reproduit au niveau flamand.

Avec des listes communes au parlement flamand et au fédéral?

A tous les niveaux, oui. Pour le moment, c’est difficile pour le SP.A car nous sommes en pleine élection présidentielle, avec deux candidats, Bruno Tobback et John Crombez. Ce qu’ils ont fait jusqu’ici, ce sont des grandes déclarations d’amour via la presse, mais cela ne fonctionne pas comme ça. Il ne faut évidemment pas mentir: si vous êtes partisan d’une telle option, vous le dites. Mais on ne déclare pas sa flamme à une jolie fille dans le journal. On la courtise et, si on établit une relation, on le déclare publiquement. A Gand, nous avons négocié durant des mois à huis-clos, pour apprendre à nous connaître les uns les autres, tester nos sensibilités… Cela fut parfois difficile, mais c’était une discussion ouverte et honnête. Puis, nous sommes arrivé à un accord et nous l’avons rendu public. Cela fut une grande surprise dans la ville.

Vous avez aujourd’hui du temps pour préparer une telle alternative: les prochaines élections sont en 2018 au niveau communal et en 2019 aux niveaux flamand et fédéral…

C’est en effet le moment idéal, d’autant que Groen et le SP.A sont tous deux dans l’opposition. Nous pouvons donc travailler à l’élaboration d’une telle alternative. Mais quel est le problème? Chaque fois qu’il en a été question par le passé, soit Groen était dans une situation de faiblesse, sans élus au parlement, et craignait que le SP.A ne l’avale purement et simplement; soit, comme aujourd’hui, Groen est dans une ligne ascendante et n’est guère demandeur car il souhaite prolonger sa progression. Les opposants à cette idée ont toujours des arguments pour se justifier.

Mais le résultat, c’est que vous êtes dans l’opposition, en laissant un boulevard pour la N-VA, non?

Absolument. Nous laissons la voie libre à la droite. Voilà pourquoi je crois absolument que cela doit réussir.

Les majorités actuelles tant en Flandre qu’en Wallonie pourraient donner une nouvelle impulsion à cette idée?

Je ne pense pas qu’en votant le 25 mai 2014, les gens se douteraient du nombre de dégâts que peut provoquer un gouvernement de droite. Ils sont aujourd’hui confrontés à ces mesures et ils doivent savoir qu’il existe une alternative crédible, unie et non divisée. Ce cartel rassemblerait le SP.A, Groen, le Mouvement ouvrier chrétien, mais aussi nos amis du PvdA.

Ici, dans ma ville, je plaide en faveur de cela depuis vingt-quatre ans. Je suis devenu bourgmestre il y a huit ans. Un avant avant cela, j’avais déjà proposé à Vera Dua, alors présidente des verts au niveau flamand, de faire une liste commune jusqu’à la veille de la remise des listes. Elle a toujours refusé, affirmant qu’une telle formule était invendable au niveau flamand. Mais une nouvelle génération est arrivée chez Groen, qui travaille de façon incroyable, avec qui cela me semble possible.

Ce serait une situation win-win. Un + un n’est pas deux, mais un + un fait trois! J’ai toujours dit que comme cela, nous pourrions obtenir une majorité absolue à Gand. On m’a traité de fou. Mais c’est bel et bien arrivé en 2012: notre cartel décroché -26 sièges sur 51. Cela prouve qu’un tel rassemblement de la gauche progressiste en Flandre serait bien plus fort contre la droite et pourrait obtenir une majorité de gauche, tant au niveau flamand qu’au niveau fédéral.

Y’a-t-il déjà des contacts dans ce sens?

Je ne sais pas, je ne suis pas président de parti, mais je pense pas, non. Nous devons d’abord savoir qui sera notre président en juin. Ensuite, il faudra prendre du temps, faire preuve d’empathie les uns à l’égard des autres, ne pas se présenter comme les plus forts… Il faut pouvoir exprimer ses amertumes, entendre ce que les autres ne trouvent pas positifs chez nous, parler en toute ouverture. C’est ce que nous avons fait ici à Gand. Et au bout du compte, nous nous sommes rendu compte que nous étions d’accord à 97%.

Vraiment?

Oui, mais ces similitudes étaient formulées différemment dans nos programmes respectifs.

C’est peut-être plus facile à réaliser dans une ville, non?

Peut-être, oui. Mais quand vous regardez les programmes flamands de Groen et du SP.A, vous retrouvez 80 ou 85% de points similaires, formulés là aussi différemment.

Nous devrions pouvoir présenter une liste commune qui ne serait ni sous le nom du SP.A, ni sous le nom de Groen, mais sous le label d’une gauche progressiste. Je pense à la capacité que nous aurions d’attirer les gens du Mouvement ouvrier chrétien, tous ces sans-abris politique qui pensent à gauche.

Je crois à un tel projet parce que la Flandre n’est pas de droite! Vraiment pas! Les Flamands se sont laissé floués par Bart De Wever, mais ils sont en majorité soucieux de défendre la sécurité sociale et refusent une grande aventure avec la suppression d’un certain nombre de droits… Seule la gauche peut leur rendre cette sécurité.

Bart De Wever a réussi à construire l’idée que la Flandre est de droite, conservatrice. Un beau produit marketing, non, qui est devenu en dix ans le premier parti de votre Région?

En effet. Nous devons être honnêtes: autant j’ai pu gagner ces élections à Gand parce que j’étais populaire, autant Bart de Wever a gagné en Flandre parce qu’il était populaire. Les personnalités ont joué un rôle important. Mais si vous présentez aux électeurs un programme positif, crédible, pédagogique, alors vous pourrez récupérerer quantité de gens qui ont voté pour la N-VA parce qu’ils étaient contre l’establishment ou contre le PS. De Wever a joué le coup habilement en ne cessant de dire qu’il était contre le PS, contre Di Rupo, contre Magnette… mais le PS n’a rien à dire en Flandre! Le SP.A a en partie été victime de cela.

Il a été beaucoup question des transferts Nord-Sud, éhalement. Mais vous savez, il y a aussi des transferts d’Anvers vers le Limbourg ou de la Flandre orientale vers la Flandre occidentale. Que chaque province soit indépendante alors. Et nous, qui sommes une grande ville, déclarons notre indépendance à l’égard de notre périphérie. C’est risible! Le nationalisme, à la longue, c’est du narcissisme: moi, moi, moi…

Voilà comment De Wever a dupé les Flamands. Mais je vois aujourd’hui des dockers qui disent à la télévision qu’ils ne voteront plus jamais pour lui parce qu’ils voient ce qu’est le résultat. Ce n’est finalement pas une mauvaise chose qu’il y ait un tel gouvernement de droite parce que la classe ouvrière voit ce que cela donne.

En outre, la N-VA déçoit les anciens électeurs du Vlaams Belang parce qu’elle a misé sur les thèmes nationalistes avant de renoncer à toute avancée institutionnelle en formant le gouvernement fédéral. En tant que nationaliste, je me sentirais trahi, pour le moins.

Il y a tant de raisons pour lesquelles nous devons créer cette alternative de gauche. Voilà aussi pourquoi je regrette qu’il y ait des gens au sein du SP.A, de Groen et certainement du PvdA qui considèrent les structures plus importantes que le projet. Ils se trompent! Ils s’accrochent à leur siège, alors qu’ils devraient le laisser tomber. Regardez ce qui se passe en Grèce avec Syriza, en Espagne avec Podemos… Une telle alternative naît depuis la base. Mon pronostic, c’est que si les partis restent accrochés de la sorte aux structures à gauche, et ne se préparent pas à collaborer, nous arriverons à une situation similaire: ce mouvement naîtra de la base. Et nous aurons tous à le regretter…

Voulez-vous jouer un rôle dans la mise en place d’un tel cartel?

Beaucoup de gens me poussaient à poser ma candidature en tant que président de parti, mais je ne vais pas le faire. Je vais bientôt avoir 62 ans, je pense que celui qui deviendra président de parti doit mener les élections de 2018 et 2018. Or, à ce moment-là, j’aurais 65 ans et j’arrêterai. Place aux jeunes.

Mais je mettrai toute ma force, ma motivation et mon expérience pour aider ceux qui arriveront à la tête du parti pour essayer de construire une tel cartel ouvert gauche alternative. Car c’est à mes yeux la seule façon de stopper la N-VA et la droite en Flandre.

Le dossier dans Le Vif/L’Express de cette semaine. Avec :

– John Crombez (SP.A) : « La façon moderne de faire de la politique, c’est de réunir les gens autour de projets positifs. C’est ce que nous devons faire avec Groen »

– Bruno Tobback (SP.A) : « Je veux collaborer de toutes les manières possibles avec Groen »

– Stefaan Vercamer (CD&V) : « Il y a des points fondamentaux sur lesquels nous divergeons »

– Marc Swyngedouw (KUL) : « Il y a de la place en Flandre pour un tel parti de gauche progressiste »

– Vincent Van Quickenborne (Open VLD et bourgmestre de Courtrai) : « Je ne vois d’ailleurs pas pour quelles raisons on devrait faire des pas dans cette direction »

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