© Belga

« Il faut réintroduire l’amateurisme en politique »

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

La démocratie participative : le thème est à la mode. A Mons, John Joos défend l’idée depuis belle lurette. Petite leçon de réforme politique. Pas sûr que ça plaira aux partis traditionnels.

Charles Michel en apôtre du référendum. Elio Di Rupo en homme sandwich pour une convention citoyenne rassemblant des personnes tirées au sort. La démocratie participative a soudain le vent en poupe, au moment où la contestation populaire, via les grèves générales ou le rejet des partis traditionnels, semble atteindre doucement un seuil critique. Le Premier ministre MR et le président du PS ont certainement visionné Demain, le documentaire événement de Cyril Dion et Mélanie Laurent qui démontre, par des expériences réussies, qu’une autre forme de démocratie est possible. A Paris, le mouvement alternatif Nuit Debout, éphémère ou durable, pourrait bien faire des petits au-delà de la frontière française. Bref, la démocratie participative est sortie du chapeau, comme une tentative d’apaiser les foules.

En Belgique, à Mons, dans le fief du leader socialiste, un élu indépendant a fait de la participation citoyenne à la vie politique son cheval de bataille, depuis de nombreuses années. John Joos observe dès lors les récentes sorties de Michel et Di Rupo d’un oeil amusé mais sceptique. « Bien que peu ambitieuses, ces propositions sont de bonnes nouvelles, pour autant qu’elles soient sincères. Car il peut s’agir d’une manoeuvre de récupération, voire d’étouffement, des revendications pour une autre démocratie, par les partis traditionnels », réagit le tout jeune quadra, créateur de la plateforme Mons-Citoyen. Aux élections communales de 2012, ce parti atypique a engrangé 4,3 % des voix des Montois, avec une demi-liste de vingt candidats et à peine 4 000 euros pour faire campagne. Un ovni politique.

John Joos a justement rencontré Elio Di Rupo, le 21 avril dernier, après que le bourgmestre de Mons ait évincé le MR de la majorité. « Il ne s’agissait pas de proposer mes services, explique-t-il, mais d’échanger des idées. » Et la discussion s’est révélée très instructive pour… le socialiste. « Plusieurs conseillers PS m’ont dit que Di Rupo avait été séduit par ma manière de voir les choses. Cela m’a surpris. » Quelques jours plus tard, le chef de file socialiste lançait son concept de convention citoyenne dans Le Soir et, plus récemment, son nouveau programme de majorité, avec le CDH, qui prône que Mons devienne « un laboratoire de nouvelles formes de démocratie, participative, contributive ». Pour ce faire, « la majorité utilisera notamment les instruments informatiques adéquats ». C’est mot pour mot le programme de Mons-Citoyen…

« Depuis des années, je propose le principe d’une conjonction entre la démocratie et les nouvelles technologies permettant aux citoyens de participer activement aux débats politiques », souligne le conseiller indépendant, en ajoutant : « Aujourd’hui, les politiques se servent des réseaux sociaux. Pourquoi ne pas utiliser ceux-ci autrement pour servir la politique ? » Pour John Joos, cela ne passerait pas par les réseaux sociaux privés tels que Facebook qu’on sait capables de manipuler l’information, même s’ils s’en défendent. Il s’agirait plutôt de mettre en place son propre réseau de participation citoyenne sur le Net, avec identification formelle des participants via leur numéro de carte d’identité, par exemple.

A bout de souffle

« Notre projet est de réintroduire de l’amateurisme en politique, résume John Joos qui prend la nouvelle majorité montoise au mot. La démocratie représentative n’est qu’une démocratie partielle. Elle ne suffit plus. Les politiques se coupent des électeurs une fois qu’ils sont élus, après une campagne qui est devenue plus commerciale qu’électorale. Les citoyens n’ont aucun contrôle après le scrutin. Ce système-là a définitivement vécu. » Pour celui que des élus PS traitaient encore de populiste en 2012, il ne s’agit pas d’un rejet de la politique mais bien de la particratie. « Le système majorité-opposition n’est plus constructif, affirme-t-il. Les débats binaires sont stériles, parfois même désastreux, on le voit aujourd’hui avec les grèves. La politique de bac à sable, les stratégies de pouvoir, les double discours n’intéressent plus personne. »

Ce chantre d’une mise à jour de la démocratie veut simplifier les règles d’accès au débat public. « Aujourd’hui, il faut être initié pour faire de la politique, ce n’est pas normal, déplore-t-il. Les partis sont devenus des groupements de professionnels qui maîtrisent tous les rouages législatifs. Résultat : cela fait quarante ans que les élus discutent des mêmes problématiques de société en apportant de moins en moins de solutions intelligentes et de plus en plus de solutions d’exclusion. Exemple : on ne s’attaque plus au chômage mais aux chômeurs… »

Pour John Joos qui, en 2000 déjà, créait l’asbl Parlement local pour les jeunes (qui a vécu six ans), c’est une évidence : il n’y a pas que les politiques qui réfléchissent. « Je m’en rends compte ne fût-ce que sur Facebook, les citoyens ont des idées novatrices, tournées vers l’avenir, sourit-il. Ils veulent reprendre la parole, devenir acteurs. L’enjeu est désormais de pouvoir canaliser ces énergies positives. » Plus proche des gens, le réseau local de participation serait une première étape. Au niveau régional ou fédéral, John Joos imagine un système de consultation sur les projets à gros budget. « Comme la gare de Mons », glisse-t-il. Parallèlement, il souhaite que le système se réforme de l’intérieur : fini le cumul des mandats et ceux-ci ne seraient renouvelables qu’une fois.

Nuit Debout, le film Demain, les Indignés… L’idéaliste lucide – tel qu’il se nomme lui-même – se réjouit que quelque chose se soit enfin déclenché. Mais il avertit : « Les alternatives risquent de se faire soit récupérer soit marginaliser. En France, Nuit Debout se détache déjà du système, c’est dangereux. Si les politiques n’ouvrent pas leur porte, les alternatives vont se multiplier sur le côté. Ce sera de pire en pire. Les gouvernements mèneront alors des politiques de plus en plus autoritaires. On le voit déjà. Or l’autoritarisme et les politiques d’exclusion ne correspondent pas à l’idée qu’on se fait de la démocratie. »

John Joos, qui rêve que son initiative essaime dans d’autres communes, prône une nouvelle intelligence politique : pour cela, il faut jeter des ponts avec les citoyens. Et peut-être aussi l’inscrire dans les programmes des partis. « Les politiques veulent tout réformer, la justice, l’enseignement, la fiscalité, mais pas la démocratie, constate-t-il. Mais comment imaginer que celle-ci fonctionne bien si elle ne se remet jamais en question ? »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire